Publié le 19 Apr 2017 - 01:04
AMADOU KA (ENSEIGNANT-CHERCHEUR EN SCIENCES POLITIQUES A L’UGB)

‘’Avec le départ de Mamadou Ndoye, c’est la Ld qui perd’’

 

Selon Amadou Ka, enseignant-chercheur en sciences politiques à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, La Ligue démocratique, le Parti de l’indépendance et du travail, et And Jëf/Pads sont symptomatiques de la crise qu’a connue la gauche sénégalaise. Et aujourd’hui, avec  le départ de Mamadou Ndoye de la tête du parti d’Abdoulaye Bathily, c’est l’avenir même de ces formations politiques  qui se pose. Entretien.

 

Quelle appréciation faites-vous de la démission de Mamadou Ndoye du secrétariat général de la Ligue démocratique ?

Je voudrais d’abord rappeler que la première cassure qu’a connue la Ligue démocratique, c’est au lendemain des élections présidentielles de 2000 quand Abdoulaye Wade est arrivé au pouvoir et que la Ld a fait son choix sur Abdoulaye Bathily et Seydou Sy Sall pour siéger au gouvernement, et Mbaye Diack avait été oublié. Il faut se rappeler cette situation qui n’est pas un phénomène nouveau chez les ‘’Jallarbistes’’.

A présent qu’il a quitté la tête de la Ld, quel est, selon vous, l’avenir politique de Mamadou Ndoye au sein de la gauche ?

Je n’ai jamais rencontré Mamadou Ndoye. Mais j’ai beaucoup d’admiration pour lui, pour ses contributions. Sur de grandes questions, il lui est arrivé assez souvent de prendre position. Et puis, c’est une des lumières de la Ld. Il faut le dire. Je pense qu’il continuera à servir la gauche. Mais cette gauche partisane d’une ligne qui veut développer une certaine autonomie par rapport à BBY. Il peut être un élément extrêmement utile et c’est la Ld qui perd.

Est-ce que le compagnonnage avec le président de la République n’est pas en train de coûter aux partis de gauche, membres de BBY, leur unité et leur cohésion ?

 Ce ne sont pas uniquement les partis alliés du Président qui connaissent des difficultés. Il y a aussi des partis qui sont dans l’opposition qui connaissent des difficultés. Il y a par exemple le parti de Cheikh Bamba Dièye (Ndlr : Front pour la démocratie et le socialisme/Benno jubbel) qui vient de connaître une dissidence. Les gens disent d’ailleurs que c’est une dissidence qui a été nourrie ou entretenue par Macky Sall. Donc le phénomène de dissidence et de cassure traversent pratiquement toutes les formations politiques sénégalaises. Maintenant, il est évident, comme vous l’avez dit, que les partis qui tournent autour du pouvoir ont connu davantage ces difficultés, que ce soit la Ld, que ce soit le Ps. Les partis, en réalité, ne portent pas une ambition sérieuse. Parce qu’une ambition, ça doit transcender les trajectoires particulières ou individuelles.

Comment voyez-vous l’avenir de la gauche ?

L’avenir de la gauche sénégalaise, c’est un petit peu tous ceux qui sont en train de s’agiter autour de la Confédération pour la démocratie et le socialisme (Cds) dont la coordination est actuellement assurée par le Pr Pape Demba Sy. Il faudrait aujourd’hui imaginer l’avenir mais en dehors de ces cadres traditionnels parce qu’ils ont fait leur temps. La descente aux enfers a en réalité démarré depuis 1990, quand Amath Dansokho a accepté de siéger au gouvernement d’Union nationale de majorité élargie d’Abdou Diouf. La Ld d’Abdoulaye Bathily a fait de la résistance mais en 1993, ils ont accepté de venir aux responsabilités et And Jëf faisait tranquillement sa résistance à laquelle d’ailleurs il a  mis fin à partir des années 2000 quand Abdoulaye Wade est venu au pouvoir.

Il y a une sorte de gestion de la gauche ; c’est une forme de participation responsable, celle qu’on lui connaissait du temps des syndicats qu’on applique maintenant au plan des rapports entre la gauche et ceux qui étaient au pouvoir, que ce soit sous Diouf, que ce soit sous Abdoulaye Wade et actuellement sous Macky Sall. Donc, cette gauche, dans sa configuration actuelle, ne me semble pas être une gauche d’avenir. Il faudrait donc repenser tout cela et c’est tout le combat du Pr Pape Demba Sy et puis de Madièye Mbodj de Yoonu askan wi, une bonne frange du Pit et de la Ld. Parce que les gens sont en train de réfléchir autour de la nécessité de former un grand parti de gauche. Je pense qu’on va vers l’éclatement et c’est dans l’intérêt même de la gauche que ces structures traditionnelles éclatent.

Est-ce que cette tentative de regroupement au sein de la Cds ne peut pas aboutir par exemple à une liste commune de la gauche aux prochaines  Législatives ?

Je ne pense pas qu’il faille poser le problème en termes d’avenir immédiat de la gauche. Parce que c’est toujours une erreur de suspendre l’avenir de celle-ci à une échéance électorale et puis, qui est à trois mois de nous. L’avenir de la gauche transcende les prochaines législatives et même peut-être la présidentielle à venir. Il faut au préalable prendre le temps de construire et de consolider un grand parti de gauche. Parce que dans ce pays, on a un besoin de gauche quoi qu’on puisse dire. Quand on parle d’une droite, on a nécessairement besoin d’une gauche qui est une solution alternative. Mais si on doit poser le débat en termes de pourcentage ou bien de nombre de sièges à avoir pour les élections à venir, on fausse tout.

La gauche n’a jamais atteint un pourcentage important à l’issue des élections. Est-ce qu’elle peut aujourd’hui espérer un avenir meilleur ?

La Ld, le Pit et And Jëf sont symptomatiques de la crise qu’a connue la gauche sénégalaise. Parce que celle-ci, même si au départ, n’était pas unie, la Ld et le Pit ont pour ancêtre le Pai. Aujourd’hui, des discussions s’organisent autour de la nécessité de fédérer toutes les forces. Jamais la gauche ne s’est réunie autour d’un bloc. C’est extrêmement difficile.

Il y a eu des coalitions. Mais c’est la première fois depuis quelques années qu’on assiste à un mouvement d’ensemble de regroupement du Pit, de la Ld, de And Jëf et d’autres formations. Ensemble, je pense que les gens peuvent faire quelque chose. Maintenant, vous avez raison. Je pense que le meilleur pourcentage qui a été obtenu par un parti de gauche, c’est avec Landing Savané lors des élections de 1993. Mais ce qui est sûr, c’est que divisée électoralement, la gauche ne pèse certainement pas lourd. Mais quand elle va vers l’unité, elle peut présenter une force sérieuse et dans la décennie à venir, un candidat crédible pour la présidentielle. Mais cela suppose un temps de construction. Cela ne s’improvise pas.

Est-ce que la composition de cette Confédération ne pose pas problème dès lors qu’il y a des partis qui sont dans BBY et d’autres dans l’opposition ?

L’exigence de clarification s’impose. Le problème, c’est quand est-ce qu’elle s’imposera ? On ne peut pas aller dans un regroupement ou vers un Parti fédérateur alors que les sensibilités sont éparpillées dans différents courants et dans différentes positions politiques. Je suis d’accord avec vous. Il y a des gens qui y vont pour des intérêts bassement matériels. C’est vrai. Il faut avoir le courage de le dire. Que ce soit Bathily, que ce soit Amath Dansokho, il y a longtemps qu’ils ont quitté la révolution. Ils sont de plus en plus dans des trucs de rentabilité immédiate. Mais néanmoins, je reste optimiste. 

PAR ASSANE MBAYE

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