Publié le 27 Aug 2019 - 01:18
AMATH DANSOKHO

Trépas d’un opposant organique

 

Etre un homme de conviction, c’est avoir l’esprit en mouvement, disait un académicien. C’est ce qui a, sans doute, caractérisé le dynamisme et l’authenticité de l’engagement politique d’Amath Dansokho. L’emblématique opposant marxiste, décédé vendredi, a été inhumé hier à Saint-Louis et élevé au rang de Commandeur de l’ordre national du Lion. A titre posthume.

 

Il a été comme la voix de celui qui crie dans le désert. Pas forcément entendu, pas même sûr d’être écouté, mais cet entêtement sacerdotal à ne jamais renoncer à sa ‘‘prophétie’’, quelles que soient les incompréhensions, les indifférences, les railleries, a été son trait de caractère principal. Dans l’arène politique actuelle où le clivage des lignes a littéralement effacé toute identité ou appartenance doctrinale, l’engagement communiste authentique d’Amath Dansokho va manquer.

‘‘Mon seul regret est que j’aimerais avoir beaucoup de voix ; et que l’autorité et l’estime dont je bénéficie des couches sociales se traduisent dans l’urne. Peut-être que cela se fera un jour. J’aurais souhaité que notre pays se développe, se modernise le plus rapidement possible’’. Telle fut sa réponse à la question d’une journaliste de ‘’Walf Grand-Place’’ de savoir qu’est-ce qu’il aurait voulu concrétiser en tant que politicien.

Le baobab a tiré sa révérence, vendredi dernier à Dakar, au moment où la viduité de 40 jours d’une autre identité remarquable de la gauche sénégalaise, Ousmane Tanor Dieng, arrivait à terme. Mais le natif de Kédougou était encore plus à gauche du socialisme. Un communiste convaincu qui avait opté pour la forme la plus pure de la doctrine : le marxisme. Un idéal auquel il n’a jamais vraiment renoncé, sur ces six dernières décennies, de casser la domination des minorités économiques et politiques de la nouvelle bourgeoisie d’après indépendance sur les classes populaires sénégalaises. Son parcours tumultueux d’opposant aux trois premiers présidents du Sénégal démontre, à souhait, que seule la mort pouvait venir à bout de cette forte personnalité.

Amath Dansokho a quitté très tôt la maison familiale du Sénégal oriental pour aller faire ses études dans le Nord, à Saint-Louis, sa ville de cœur (où il passa l’examen d’entrée en 6e à l’école Duval) et où il repose, depuis hier dimanche. Après son Baccalauréat, il s’inscrit au Département d’économie de l’université de Dakar, mais embrasse finalement le journalisme, puisque sa réputation de contestataire qui l’avait précédé l’aida à se faire élire directeur de publication du journal ‘‘Dakar Etudiant’’, écourtant ses études, du coup.  Les positions anti-françaises du journal obligèrent Senghor à l’interdire de parution et Dansokho ira mensuellement à Conakry pour se faire imprimer, avant de s’exiler plus tard à Prague, en continuant d’embrasser le journalisme, cette passion qu’il a rencontrée en cours de route.

Conviction chevillée au corps

S’il y a une convergence de vues, une quasi-unanimité, c’est que le défunt Amath avait la conviction chevillée au corps. En dépit de l’attachement sincère qu’il vouait à Me Wade (à la famille Wade dans l’ensemble) et leur proximité politique, il n’a pas hésité à critiquer ouvertement les choix du ‘’Pape du Sopi’’, devenu président de la République, en Conseil de ministres. Ce qui lui a valu un passage éphémère au département de l’Urbanisme et de l’Habitat qu’il a quitté en novembre 2000, à peine plus d’un semestre après l’alternance. Un poste qu’il avait également occupé dans le gouvernement socialiste d’Habib Thiam, entre 1991 et 1995. Abdoulaye Wade, son professeur de mathématiques économiques en 1962 à l’université de Dakar, et son avocat deux ans plus tard, quand il fut arrêté pour activités clandestines en pleine répression du communisme, tient à revenir sur sa décision. Il aura tout fait pour que le leader du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) revienne dans le gouvernement, après l’avoir ‘‘congédié’’. Peine perdue. Dansokho lui oppose systématiquement une fin de non-recevoir.

‘‘C’était le 9 novembre 2006, lorsqu’il m’a demandé, pour la neuvième fois, de rentrer dans le gouvernement. Ce que j’ai toujours refusé. Car, comme on ne partage pas les mêmes convictions, je risque de me faire limoger, 24 heures après’’, racontait en riant Amath dans une interview accordée à ‘’Walf Grand-Place’’ en 2010.

Ce n’était pas les seules fois qu’il apposait un veto aux desiderata de Wade, puisqu’il aura également décliné la prise en charge médicale proposée par ce dernier ; l’assurance de son épouse, travaillant à l’Oms, le couvrant totalement. La tentative de dévolution monarchique du pouvoir le pousse à renouer avec ses vieilles amours de jeunesse : l’engagement au service du peuple.

Dansokho devient l’une des éminences grises de Benno Siggil Senegaal et le Pit, qui a défait le régime socialiste plus d’une décennie plus tôt, joue un rôle moteur dans le triomphe d’une adversité politique qui fait réussir au Sénégal sa 2e alternance. Le marxiste qui a défait le socialisme de Diouf et le libéralisme de Wade ne pouvait naturellement pas s’embarrasser d’une obséquiosité déférente devant la nouvelle tête de file du libéralisme sénégalais, Macky Sall. Sa profonde nature intellectuelle chasse au galop son affiliation de circonstance au président de la République actuel.

‘‘Je ne suis pas dans le gouvernement pour cautionner, pour quelque raison que ce soit, des choses qui sont contre les intérêts des populations. Il faut être clair avec les responsables et que cette situation ne se reproduise plus. Ce qui s’est passé dernièrement n’est pas explicable. C’est inadmissible’’, dira-t-il en 2015 dans une interview avec ‘’L’Observateur’’ quand, dans la continuité des délestages de 2011, le nouveau gouvernement peinait à rétablir adéquatement le courant. Macky Sall ne lui en tient pas rigueur, le compagnonnage continue et Dansokho reste ministre d’Etat auprès du président de la République du Sénégal jusqu’à son décès vendredi 25 août 2019 à l’âge de 82 ans. 

Contrairement à beaucoup de partis alliés dans la mouvance présidentielle, il a pris la sage décision de léguer les rênes du Pit en 2010 à Magatte Thiam qui a lui-même été remplacé par Samba Sy, lors du 16e Congrès du Pit qui fit de Dansokho son président honoraire. L’opposition n’était ni feinte ni circonstancielle, avec l’ancien maire de Kédougou. Ce ‘‘senghoriste fanatique en classe de Cm2’’, comme il s’est décrit lui-même, s’est d’abord retourné contre le président-poète, à un moment où il ne faisait pas bon d’être communiste, marxiste de surcroit, signataire du manifeste du Pai, et proche de Majmouth Diop, figure de proue du communisme sénégalais.

Une option politique et des actions radicales inspirées des révoltes de mai 1968 l’obligent à passer à la case prison puis à l’exil chez les voisins malien et guinéen, avant le grand froid européen de Prague. Un éloignement de sa patrie qui prend fin en 1977 et sera couronné en 1981 par la création du Pit dont il devient le secrétaire général, trois ans plus tard, à la mort de Seydou Cissokho.

Opposant bienveillant

Quoique ses critiques aient été très virulentes à l’égard d’Abdoulaye Wade notamment, elles ne sont que l’expression d’une conviction politique. Le défunt opposant avait pris soin de ne jamais franchir la ligne ténue entre adversité et inimitié. Alors que la Crei s’acharnait de plein fouet sur Karim Wade, Amath Dansokho, qui a refusé de lui rendre visite à la prison de Rebeuss pour ne pas entretenir la confusion, lui apporte tout son soutien.

‘‘Karim sait que j’ai beaucoup d’affection pour lui, Syndiély davantage. Je ne suis pas dans des calculs de méchanceté. Je ne suis pas dans ce que les gens font. Je ne suis pas en quête de pouvoir. Je sais qu’il y a des problèmes et qu’il faut leur apporter des solutions’’, dira-t-il dans le journal ‘’L’Observateur’’.

Son petit-fils Thierry Wone, membre de la bande musicale French Connexion, assure, lors d’une interview, que les enseignements et conseils d’Amath Dansokho transcendaient clivages politiques ou contingences de quelque ordre que ce soit. ‘‘On n’a peut-être pas choisi le même corps de métier, mais ce qui est sûr, c’est que mon grand-père compte beaucoup dans ma vie. Il m’a inculqué la culture du travail, de l’effort et du respect. Quand j’habitais chez lui à Mermoz, il m’a appris, par son mode de vie et ses actions, qu’il ne faut jamais considérer les gens comme des ennemis. Ce n’est pas parce que quelqu'un n’a pas le même point de vue que toi qu’il ne faut pas lui ouvrir la porte. Aujourd’hui encore, sa porte est ouverte à tout le monde. Que tu sois son ami, son adversaire politique, tu es la bienvenue chez lui. Cela m’a beaucoup inspiré’’, a-t-il avancé dans un entretien avec site internet Leral.

D’ailleurs, pour la famille, Dansokho était chiche en information, mais concédera tout de même être élevé dans une famille aisée polygame à Kédougou, mais restera viscéralement monogame, épousant une femme médecin qui fera de lui l’heureux papa d’Alkaly, de Laurence, d’Adèle et d’Elsa. Des allers-retours interminables entre l’Hexagone et le Sénégal rythment sa fin de vie dont un mal bien pernicieux le terrassait par intermittence. Condamné par les avis médicaux ‘‘à mourir sous peu’’, en 2010 déjà, Dansokho déjouera le pronostic fatal encore presque une décennie, pour finalement passer l’arme à gauche ce vendredi.

‘‘Non ! La mort, c’est le cadet de mes soucis. Je sais que ça viendra un jour’’, affirmera-t-il devant la journaliste Ndèye Awa Lo. Stoïque devant le trépas comme il l’a été devant l’adversité politique.  

OUSMANE LAYE DIOP

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