Publié le 6 Mar 2024 - 19:20
DÉCÈS DE BABACAR MBOW, UN BAAY FAAL ÉCOLOGISTE ET MILITANT DE L’ÉCONOMIE SOLIDAIRE

Ndem perd son ‘’Djewrine’’ spirituel et social

 

A l'ombre des prières et du recueillement, s'est éteint un guide spirituel émérite. Babacar Mbow, un ascète avant-gardiste, écologique et social, a finalement rendu son dernier tablier de serviteur de la communauté baay faal.  Membre fondateur du village de Ndem dans le Baol, il a révolutionné les questions de développement durable et d’autonomisation des communautés rurales dans le Baol.

 

Durant ses 68 ans, il a fait de sa vie un cadeau pour les autres en restant lui-même. Il a servi l'humanité sans la nuire. Il a influencé sans dénaturer. Un leader et un avant-gardiste loin de ces tintamarres de certains marabouts et hommes politiques qui n'existent que par le verbe et les réseaux sociaux. Cette révolution spirituelle et temporelle était l’œuvre d’un homme : Babacar Mbow. Un baay faal bien loin des clichés, dreadlocks, calebasses et ‘’zikr’’ à tout bout de champ. Cet adepte de Mame Cheikh Ibra Fall, illustre guide des baay faal, avait lui opté pour la spiritualité et le développement responsable de sa communauté.

Depuis le sol de Mbacké Kadior où il repose désormais, son legs matériel et spirituel résonne encore dans tout le Baol.

Depuis son installation à Ndem au cœur du Baol en 1985, il a radicalement métamorphosé cette bourgade. Cet écologiste avant l’heure a développé à Ndem, un village situé à 11 km de Bambey au cœur de sa communauté baay faal, un éco-village qui accueille une entreprise artisanale et un marché.  À l’initiative de l’ONG de Ndem dont il a assuré la présidence, il a aussi mis en œuvre divers projets autour de sept axes : hydraulique, santé, éducation, agricole, microcrédit, énergie, création d'emplois ont amélioré les conditions de vie de la cette population de 500 habitants.

Cet enfant du quartier de Médina à Dakar, qui a fait des études en France où il a rencontré sa femme Sokhna Aïcha, a su devenir ‘’Djewerine’’ (chef des disciples en français) chez les baay faal qui l’ont toujours fasciné. Il s’engage corps et âme dans cette voie de sacerdoce et de service à côté de son mentor et guide spirituel le khalife général des baay faal, Serigne Cheikh Dieumbe Fall.

Proche de l’islamologue suisse Tariq Ramadan

Ce modèle économique et de société s’articule autour de l'entreprise artisanale Les ateliers de Maam Samba, qui a joué un rôle considérable dans la création d'emplois et la lutte contre l'exode rural des villages environnants, comme en témoigne Lamine Mandiang, un des habitants et responsable de l'auberge solidaire. C’est en juin 2014, lors de notre séjour rural des étudiants du Cesti, que nous avons fait la rencontre de cet homme affable, joyeux et toujours prompt à engager des discussions autour de la spiritualité et de la philosophie. Cet amour de la sagesse et du gout de la réflexion autour l’islam lui permettra de gagner le respect et l’amitié de l’islamologue suisse Tariq Ramadan. ‘’Je fais partie de ceux qui ont influencé Tariq Ramadan à ses débuts en Suisse. C’est un vrai intellectuel. Il est venu ici à plusieurs reprises’’, nous avait-il confié.

Ce dernier lui a rendu un vibrant hommage sur les réseaux sociaux. Il a laissé ses empreintes à vie dans ce bas monde, comme le qualifie son ami Tariq Ramadan. ‘’Sa vie n’avait qu’une adoration, une qibla, une destination. J’étais jeune et dans le Sahel, à Ndem, au Sénégal, assis à côté de lui, il m’a enseigné à communiquer dans le silence et à me rappeler que le temps ne se compte pas en heures, mais en confiance et en amour’’, avait déclaré le philosophe helvète. Les deux hommes et leurs familles entretenaient de très bonnes relations, à en croire Fallou Mbao qui est un des fils de feu Babacar Mbao.

L’alliage spiritualité et travail, recette du succès de Ndem

Pragmatique et très ouvert à la discussion sur les questions mystiques, il était loin de cet absolutisme et ce dogmatisme qui mal interprétaient l’islam. Sa conception du baay faal reposait sur l’esprit du travail et de l’éducation. Cette influence lui avait permis de faire convertir des dizaines d’Occidentaux à la religion musulmane, entraînant un métissage exceptionnel à Ndem. Français, Britanniques, Suisses et Américains membres de cette ‘’confrérie soufie’’ rythmaient parfois par les ‘’zikr’’ (chants religieux) ou par des débats métaphysiques le village.

Après le déclic de Ndem, direction Mbacké Kadjor en 2015 où il repose depuis le vendredi 1er mars 2024.  Il était missionné par le khalife général des baay faal, Serigne Cheikh Dieumbe Fall, à redonner vie à l'ancien site de pèlerinage de Mbacké Kadior (lieu de rencontre de Cheikh Amadou Bamba - fondateur du mouridisme - et de Cheikh Ibra Fall - fondateur de la confrérie baay faal). Serigne Babacar Mbow avait mis toute l'expérience de 30 années de développement communautaire à Ndem au service d'un nouveau projet pour "revaloriser le patrimoine du mouridisme".

Amadou Camara Gueye

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