Publié le 25 May 2014 - 19:43
DISCOURS D'ADIEU DE L'AMBASSADEUR DES USA

Lewis Lukens indexe un déficit de leadership au Sénégal 

 

C'est dans les locaux de West african research center (WARC) à  Fann-Résidence à Dakar que l'ambassadeur des Etats-Unis dans notre pays a fait ses adieux au Sénégal. Dans un discours qui rompt d'avec la langue de bois, Lewis Lukens parle du Sénégal comme il ne l'a jamais fait en trois ans de présence à la tête de la représentation diplomatique américaine. En le peignant sous de multiples visages. Démocratie, leadership, droits de l'Homme, environnement des affaires, jusqu'aux ordures qui meublent les artères de la capitale à partir de l'aéroport... 

 

''Il me semble (...) que le Sénégal s’écarte parfois du leadership dans le champ de la politique étrangère, alors même que les soldats et les diplomates sénégalais s’acquittent de leur tâche de façon exemplaire.'' C'est l'une des phrases lâchées hier par Lewis Lukens, ambassadeur des Etats-Unis au Sénégal, qui prononçait son discours d'adieu au siège du Warc. Précisant ses propos, il a laissé entendre que «la voix forte du Sénégal ne s’est pas fait entendre lors du vote des Nations-Unies pour condamner l’agression de la Russie en Crimée, l’utilisation des armes chimiques en Syrie et les violations des droits de l’Homme en Corée du Nord et en Iran''. 

«Crimée, Syrie, Iran, Corée du Nord : où est le courage sénégalais ?»

Lewis Lukens analyse cette posture sénégalaise en ces termes : «rester en retrait dans ce genre d’occasions est certes commode sur le plan diplomatique, et certains estimeront peut-être que c’est une attitude qui convient pour un petit pays. Mais où se trouve le courage ? Le Sénégal se distingue dans le monde parce que tant de personnes dans ce pays ont le courage de leurs convictions, comme le capitaine Diagne. Le Sénégal ne devrait pas se contenter de moins en matière de politique étrangère''. 

Citant l'exemple du capitaine Mbaye Diagne, tombé en 1994 au Rwanda alors qu'il servait dans le cadre de la Mission des Nations-Unies pour l’assistance au Rwanda (MINUAR), Lewis Lukens a relevé que ''sans armes et face à un danger extrême, (il) a sauvé des centaines, voire un millier de Rwandais de la mort''. Pour lui, «c'est un exemple du courage et du leadership que le monde en est venu à attendre du Sénégal...». Ce qui justifie que ''le Conseil de sécurité des Nations Unies a créé une médaille – la première du genre – pour le capitaine Mbaye Diagne..

Je suis fier de dire que notre propre gouvernement a rendu hommage au capitaine Diagne en 2011''. Le diplomate Us a rappelé que c'est l'ex-secrétaire d'Etat Hillary Clinton qui «a attribué (cette) médaille du courage à sept personnes à travers le monde et la veuve du capitaine Diagne l’a reçue en son honneur.» Puis il a enchaîné sur la Promotion des droits de l'Homme pour saluer ''la longue tradition de tolérance et … d’ouverture'' du  Sénégal en relevant du reste le même déficit de leadership à ce  niveau. 

«Le Sénégal peut jouer un rôle de leader dans la décriminalisation de l'homosexualité» 

«Etre un leader signifie se positionner d’un point de vue moral, même si cela s’avère difficile ou inconfortable (…) Je pense aussi que l’égalité des droits pour les homosexuels est un mouvement inévitable de l’histoire, et j’espère que le Sénégal se tiendra à la pointe de ce mouvement», a soutenu Lewis Lukens. Même si le président Macky Sall «a dit à notre président que cette question prendrait du temps au Sénégal'', celui que EnQuête avait surnommé «l'Irakien» «espère que l’attitude de tolérance du Sénégal ne fera que grandir et que ce pays continuera à être un leader dans la région''. 

Répondant aux questions de journalistes sur l'insistance des Etats-Unis d'Amérique sur cette question, l'ambassadeur américain «ne pense pas exercer du terrorisme sur la culture locale» en défendant la décriminalisation de l'homosexualité. «Dans 30, 40 ans, j'espère qu'on verra un monde où chaque citoyen sera accepté, qu'il soit homosexuel ou pas. Je pense qu'un adulte doit être libre d'être en relation amoureuse avec la personne qu'il veut.

C'est quelque chose de privé qui ne doit pas être criminalisé (…). Je pense que le monde change. On a dépassé le 10e anniversaire du premier mariage gay. Aujourd'hui beaucoup de pays acceptent cela. Je ne parle pas de mariage gay ici au Sénégal. Je parle de décriminalisation du mariage homosexuel. Le Sénégal peut jouer un rôle de leader en Afrique dans ce domaine-là...», s'est-il expliqué.

''Les ordures que je vois chaque jour sont une immense source de déception pour moi''

D'une tonalité peu diplomatique, le discours de Lewis Lukens est  aussi revenu sur des questions inattendues. «La situation environnementale au Sénégal constitue un frein au développement économique du pays. On peut dire que la première impression que de nombreux visiteurs ont du Sénégal est mitigée. En sortant de l’aéroport, on peut voir des gens qui travaillent dur, les vagues de l’Océan Atlantique qui déferlent sur les plages du Virage et les baobabs, arbre emblématique du Sénégal et des Sénégalais. Et on peut voir aussi des ordures sur le bord de la route. Une grande quantité d’ordures !'' a-t-il souligné en le regrettant. 

«Les ordures que je vois chaque jour sont une immense source de déception pour moi, car je vois à quel point cela freine le Sénégal. Je pense que s’il y a une chose qui s’est confirmée dans tous les pays où j’ai travaillé et vécu au fil des ans, c’est que l’environnement et l’image d’un pays vont de pair. Les entreprises qui réussissent, et les pays qui vont de l’avant, comprennent le lien entre environnement et santé. Les tas d’ordures qui jonchent le pays sont dissuasifs pour l’investissement et engendrent de sérieux risques pour la santé», a-t-il ajouté. 

Environnement des affaires

L'ambassadeur Lukens évoque aussi dans la dernière partie de son discours, les problèmes  d'environnement des affaires. «L’an dernier, le Sénégal a été classé cent soixante-seizième sur cent quatre-vingt-neuf pays, dans le rapport Doing Business” de la Banque mondiale. J’ai entendu des réactions diverses (par rapport à ce classement). Beaucoup de gens étaient vraiment perplexes, se demandant “comment un pays comme le Sénégal – un leader dans sa région, doté d’institutions solides – peut-il avoir un classement aussi bas ?” Certains se sont plaints (en soulignant) que l’index devait être biaisé et que les efforts du Sénégal n’étaient pas suffisamment reconnus''.

Mais poursuit-il, ''d’autres ont choisi de prendre ce rapport comme une critique constructive. Pour ces personnes-là, le Sénégal doit redoubler d’efforts pour améliorer l’environnement des affaires, afin de remédier à certains problèmes réels et d’améliorer son classement. Je trouve encourageant que cette réaction semble prévaloir et que le gouvernement semble réellement focalisé sur ces questions'', tranche-t-il. 

Mais si les défis sont nombreux, Lewis Lukens croit cependant savoir qu'«il y a de nombreuses raisons d’être optimistes sur les perspectives économiques du Sénégal et sur nos relations (NDLR, avec les Etats-Unis). Le gouvernement a lancé un ambitieux programme de développement intitulé “Plan Sénégal Emergent”, axé sur les réformes économiques et la promotion des investissements du secteur privé.

Il a aussi entrepris de cibler l’amélioration du climat des affaires, la réforme foncière et les réformes du secteur de l’énergie, afin de contribuer à rendre le Sénégal plus compétitif pour les investissements''. Pour le diplomate en fin de mission, ''le Sénégal a de grandes ambitions et de bonnes perspectives pour se développer encore davantage en tant que plate-forme régionale de transport et de logistique''.

LAMINE SENE

 
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