Publié le 9 Sep 2015 - 18:23
DJIHADISME

Au Mali, en territoire peul, la naissance d’un futur Boko Haram

Photo du présumé Hamadoun Koufa, non daté, publié par le site malien d'information

 

Un nouveau groupe djihadiste, qui sème la terreur et appelle à s’en prendre aux intérêts français, prône l’instauration d’un « califat peul »

 

Les faits - Au Nigeria, la secte islamiste Boko Haram vient de s’affilier à l’Etat islamique. Au Mali, pas très éloigné, le Front de libération du Macina devient une menace sérieuse pour l’armée malienne, les soldats français et les casques bleus. Derrière les attaques de ce mouvement, un prêcheur radical du nom d’Hamadoun Koufa, qui voudrait rétablir l’empire peul du Macina, un régime théocratique de la fin du XIXe siècle.

Déjà menacé par les autonomistes touaregs, les rebelles arabes, les djihadistes d’al-Qaïda au Maghreb Islamique (Aqmi) et d’al-Mourabitoune de Mokhtar Belmokhtar, le Mali est dorénavant confronté à l’extrémisme peul. Cet extrémisme à un nom : le Front de libération du Macina, un groupe armé composé d’anciens du Mouvement pour l’unicité et le djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et de quelques éléments d’Ansar Dine. Lancé en janvier 2015, il opère dans une région peuplée majoritairement par les Peuls. Son terrain d’action s’étend de la frontière mauritanienne à celle du Burkina faso. Pour les militaires, il s’agit d’une « buffer zone », espace tampon entre le nord et Bamako, qu’il est impératif de mieux surveiller.

Depuis le début de l’année, les combattants du FLM ont attaqué plusieurs villes au centre du Mali : Nampala, Tenenkou, Dioura, Boulkessi, Gathi-Lemou, Dogofry… Selon Human Rights Watch, ils ont exécuté au moins cinq présumés guides ou informateurs de leurs adversaires. Ils ont incendié des bâtiments publics et distribué des tracts menaçant les individus qui pourraient collaborer avec les soldats maliens et les forces internationales. On leur prête aussi une participation à l’attaque de l’hôtel Byblos à Sévaré, une semaine plus tôt, qui a fait 4 victimes dans les rangs du personnel onusien. Dernier fait d’armes : l’assassinat de l’imam de Barkérou, Aladji Sékou, le 13 août. Une stratégie de pénétration lente par la terreur.

Le FLM serait dirigé par le mystérieux Hamadoun Koufa, donné un temps mort lors de l’intervention française de 2013. « Il est difficile d’identifier la chaîne de commandement du mouvement, indique un officier français, même si nos informateurs nous parlent régulièrement de Koufa. Car, hormis les attaques de janvier, le FLM n’a presque rien revendiqué. »

Né à Koufa, le patron du FLM porte le nom de son village. Il aurait entre 40 et 50 ans. Ancien élève de l’école coranique, il se fait connaître en passant sur les radios locales de la région où il s’enflamme lors de prêches en pulaar et attaque les imams modérés, de tendance soufiste. Dans les années 1990, il intègre la Dawa, une secte rigoriste mais non violente d’origine indo-pakistanaise, dont les imams sont arrivés au Mali sous le couvert d’associations humanitaires des pays du Golfe. C’est là qu’il aurait noué des liens privilégiés avec Iyad Ag Ghali, une figure historique de la rébellion touareg, qu’il a ensuite rejoint dans le septentrion malien en 2012. Comme l’ex-chef rebelle, il se radicalise davantage et se lance dans la « guerre sainte ».

Nombre de spécialistes assurent qu’il a participé à la conquête territoriale des djihadistes en janvier 2013. Il jurait alors qu’il prendrait Mopti et irait prêcher à la grande mosquée de la ville. Un mode opératoire que l’on retrouve aujourd’hui chez ses combattants. Ils prennent possession des villes en milieu de semaine pour pouvoir assurer la prière du vendredi, où ils prônent un islam très radical, appelant les femmes à se voiler, les populations à s’en prendre aux intérêts français. Pour ces mêmes experts, Ag Galhi est le parrain du Front de libération du Macina.

« Ce chef touareg est plus dangereux que ses alliés d’Aqmi car il est respecté par les populations du nord », ajoute l’officier français. Paria de la communauté internationale qui l’a placé sous sanctions, Ag Galhi n’a pas participé aux négociations de paix. Ecarté de toute solution politique, il tente de réorganiser le djihadisme malien en s’appuyant sur les communautés locales. Ses alliés d’Aqmi ont longtemps été accusés de ne promouvoir que des Algériens, les anciens du Groupe salafiste pour la prédication et le combat passés par l’Afghanistan, dans leurs structures de commandement. « Ag Galy veut répartir les zones d’influence : Kidal aux Touaregs, Tombouctou aux Arabes et la région de Mopti-Sévaré aux Peuls », poursuit l’officier français. Derrière cette réorganisation se joue le contrôle des routes de la drogue et le partage de ses gains. Plusieurs petits avions chargés de cocaïne se sont posés, ces derniers mois, au centre du pays avant que leur cargaison soit récupérée par les groupes armés.

A Paris comme au siège des Nations Unies à New York, on prend cette nouvelle menace peule très au sérieux. 

Une série d’enquêtes a été confiée aux services spécialisés pour mieux connaître l’histoire du FLM, son mode d’action, ses liens avec les autres groupes armés, ses motivations politico-religieuses et son ambition territoriale.

« Il existe une dimension djihadiste prégnante chez les Peuls, explique André Bourgeot, directeur de recherche au CNRS. L’objectif du FLM est d’instaurer une théocratie et de restaurer le califat du XIXe siècle, l’ancien Empire du Macina ».

En 1818, Amadou Hammadi Boubou, un modeste marabout peul guidé par sa foi, met en déroute à Nankouma une coalition de Bambara et d’Ardos, chefs traditionnels peuls. Il prend alors le nom de Cheikou Amadou et, par une série de guerres saintes, soumet l’ensemble de la région pour la soustraire à l’influence du royaume de Ségou. Il en convertit la population et met en place un empire théocratique, la Diina, qui sera finalement détruit par le conquérant Toucouleur El Hadj Oumar Tall en 1862 *.

« Son message universaliste pourrait fédérer beaucoup de monde, notamment chez les jeunes désabusés », ajoute André Bourgeot.

Le FLM pourrait aussi tenter de puiser dans un vivier de 30 à 35 millions de Peuls répartis du Sénégal au Cameroun. Une communauté qui partage les mêmes origines mythiques et références historiques aux états théocratiques comme ceux du Macina, du Fouta-Toro ou du Sokoto. Population d’éleveurs à l’origine nomade, les Peuls n’ont pas échappé à la sédentarisation. La communauté compte des intellectuels, des hommes politiques comme le nouveau chef d’Etat nigérian, des grands commerçants et de nombreux administrateurs publics. Réputé discrets, nombre d’entre eux ont des revendications identitaires à travers le pulaaku, un ensemble de valeurs et de codes propres à cette ethnie. Au Mali, ils vivent dans une région déshéritée, abandonnée par l’Etat (la police et la gendarmerie ne se sont pas suffisamment redéployées) et qui a perdu la manne des touristes du pays dogon.

« Pour l’instant, le mouvement n’a pas atteint la taille de Boko Haram, conclut l’officier français. Tout au plus, il représente 50 à 80 combattants, essentiellement peuls mais aussi dogons et sonrais, et des supplétifs (guetteurs, informateurs) utilisés dans les opérations qu’ils peuvent mener avec Ansar Dine de Ag Ghali. Les risques de contagion régionale sont donc encore limités. Mais il faut faire attention : des liens pourraient se nouer avec les combattants de Boko Haram et les Peuls radicalisés du Burkina Faso ».

* Communication de Francis Simonis, maître de conférences à l'Université d'Aix-Marseille, lors d'un colloque à l'Institut des mondes africains à Paris en juin.

(l’opinion.fr)

 

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