Publié le 20 Sep 2016 - 04:18
DR MAMADOU D. BÈYE (MÉDECIN URGENTISTE, DIRECTEUR DU SAMU NATIONAL)

“Notre solution pour avoir des chiffres exacts”

 

Les évacuations sanitaires ont toujours été non comprises par les Sénégalais. Dans cet entretien, Dr Mamadou Bèye explique, de façon générale, comment elles se font, le profil des patients qui en bénéficient, les pathologies les plus fréquentes et les problèmes auxquels ils sont confrontés. Le Directeur du Samu national donne également la solution pour avoir des chiffres fiables et exacts sur les évacuations sanitaires au Sénégal.

 

 

Quel patient peut bénéficier d’une évacuation sanitaire à l’étranger ?

 C’est en général une personne qui a une assurance. Je prends l’exemple du touriste qui vient dans un pays avec une assurance. Dans ce cas, ce n’est pas le plateau médical qui intervient. Dès que la personne a une assurance, elle lui permet un rapatriement sanitaire. Il y a également certains de nos compatriotes qui vont se traiter à l’étranger, parce qu’ils ont beaucoup de moyens. Il y en a qui vont se traiter à l’étranger, parce que simplement, ils ont une maladie qui ne peut être traitée ici. Je prends l’exemple de certains cancers qui nécessitent des soins très poussés en radiothérapie.

Ils vont dans certains pays développés pour se faire traiter. Il y a également certaines chirurgies qui n’existent pas ici dont celles cardiaques très poussées et qui sont très complexes ; certains soins comme la rééducation. De temps en temps, on peut avoir un malade pris en charge ici, opéré pour une paralysie qui nécessite une rééducation très poussée. Ces centres de rééducation sont très chers. Ils n’existent pas dans nos régions et les patients peuvent également être évacués à l’étranger. Soit, c’est leur assurance qui paie, soit, l’Etat les assiste un peu. Le plus souvent, le coût est tellement élevé que souvent ce sont les compagnies d’assurance qui paient. Le coût n’est pas seulement lié au déplacement du patient, il est lié également aux frais sanitaires sur place, et ces frais sont parfois très onéreux.

Quel est le coût de ces évacuations ?

Tout dépend des soins nécessaires, de la durée d’hospitalisation, du lieu d’hospitalisation. Cela peut aller de quelques petits millions à des dizaines de millions. Tout dépend du soin demandé. L’hospitalisation peut s’avérer très chère.

De qui émane la décision d’évacuer ?

Il y a les médecins conseils des compagnies d’assurance. La décision peut émaner d’ici. Le médecin traitant d’un patient qui voit que l’état de son patient nécessite des soins qui n’existent pas ici. C’est de moins en moins le cas. Il y a deux types d’évacuation sanitaire. Un patient peut être évacué avec l’accompagnement. Il prend un avion de ligne où il est assis. En général, il n’y a que le billet d’avion qui est payé et peut être le billet d’avion du personnel qui l’accompagne. De temps en temps, le patient peut être dans un état très critique. C’est vraiment une civière qui est mis en place dans l’avion, comme si c’est une chambre d’hospitalisation. Là, les billets sont très chers, parce que le patient peut payer une dizaine de places dans l’avion. Parce que ce sont des places de passagers qu’on rabat pour placer une civière et le matériel dont a besoin le médecin pour son travail dans l’avion. Ce qui fait que le coût peut être très varié, en fonction de l’état critique du patient.

Quels sont les acteurs qui interviennent dans ce processus ?

Tout dépend de l’état du patient. Un patient peut avoir un  accompagnement simple, même un généraliste peut l’accompagner, avec tous les risques possibles. Parce qu’un patient même qui était stable peut se dégrader pendant le vol où on a besoin de compétences pour intervenir. Mais un patient qui a une détresse vitale, quand il est évacué, nécessite un plateau technique dans l’avion qui lui permet d’avoir des soins intensifs continus. Le plus souvent, c’est les réanimateurs et les médecins urgentistes qui sont habilités à faire cette évacuation.

Combien de personnes sont évacuées par année au Sénégal ?

Il sera très difficile de répondre à cette question. On est en train de faire des propositions dans ce sens, pour que les évacuations sanitaires, à travers l’aéroport de Dakar, soient répertoriées au niveau du Samu. Parce que, dans certains pays, tous les patients qui bénéficient d’une évacuation sanitaire doivent avoir l’autorisation du Samu. Certains pays de la sous-région, comme la Côte-d’Ivoire, ont commencé cela. Quel que soit le type d’évacuation sanitaire, tout patient qui est évacué à travers l’aéroport doit avoir l’autorisation du Samu. Ceci permet à l’Etat d’avoir une cartographie, des chiffres très nets par rapport au nombre d’évacués, de répertorier les pathologies évacuées, les destinations. Ce sont des renseignements très importants qui peuvent permettre même d’améliorer et de corriger les insuffisances qu’il y a dans notre système de santé.

Y-a-t-il un quota défini pour cela ?    

Il n’y a pas de budget pour cela. La finalité d’un Etat ce n’est pas d’évacuer, c’est d’améliorer son plateau technique, d’évoluer tous les jours. Ce qu’on a vu, ces 25 dernières années : il y a des malades qu’on n’aurait jamais pensé traiter ici, qui y sont traités. Je prends l’exemple de la coronarographie, de la chirurgie cardiaque, des prothèses de hanches, de genoux, des patients très graves en réanimation qui sont pris en charge, de certaines opérations très complexes. L’amélioration de tous les jours permet de diminuer les évacuations. Malgré cela, de temps en temps, on peut assister à des évacuations sanitaires. Il n’y a pas de budget défini, surtout au niveau du ministère de la Santé. Mais, il y a quand même l’action sociale. Au niveau de l’Etat, il y a beaucoup de structures à vocation d’appui social qui peuvent, de temps en temps, aider. Il y a également les organisations non gouvernementales, des directions, la famille.

Vous luttez pour qu’il n’y ait pas d’évacuation sanitaire. Comment comptez-vous mener ce combat ?

Oui, c’est le but, et celui de tout Etat ambitieux. Faire en sorte que ce qui nécessite une évacuation sanitaire ailleurs soit traité ici. Que les moyens, la technicité augmentent, que le plateau technique également soit à la hauteur. Que le personnel également ait les compétences qu’il faut pour que les évacuations soient les plus amoindries possibles. Le budget des évacuations sanitaires dans la zone Uemoa est parfois supérieur au budget de certains ministères de la Santé de certains pays membres. C’est effarent. C’est une hémorragie financière tellement importante qui pourrait être investie dans nos régions pour améliorer notre système de santé. On doit grandir en termes de compétences, d’aptitudes, de possibilités techniques de sorte que l’arsenal de maladies à prendre en charge soit le plus large possible. C’est un moyen très efficace de réduire les évacuations sanitaires.

Etes-vous de l’avis de ceux qui soutiennent que certaines évacuations ne se justifient pas ?

Parfois il y a des évacuations sanitaires de luxe. Parce que, j’ai beaucoup de moyens, je ne vais pas me faire opérer ici, je me fais opérer ailleurs. C’est un choix. On ne peut même pas les appeler évacuation sanitaire. Parce que, c’est quelqu’un qui décide d’aller faire une opération qui existe ici. Ces patients gagneraient mieux à être traités ici, parce que ce n’est pas seulement le plateau technique qui compte, mais l’environnement familial aussi. Il y a également des personnes qui ont une assurance et qui peuvent demander à ce qu’elles soient évacuées. On ne peut pas dire que ce sont des évacuations de complaisance, mais, c’est parce qu’ils ont une assurance qui leur permet d’être traitées ailleurs.

Quelles sont les pathologies les plus fréquentes dans ces évacuations ?

Les pathologies cancéreuses, cardiovasculaires sont très souvent évacuées.

On évacue vers quel pays ?

Avant, c’était surtout vers la France, mais de plus en plus, on fait des évacuations vers le Maroc. On voit même beaucoup de ces sociétés marocaines, tunisiennes qui viennent faire la promotion. On les reçoit presque tous les jours. On les rencontre dans les centres médicaux. Ils ont parfois même des bureaux à Dakar, parce que le plateau technique commence à évoluer dans ces régions.

Y-a-t-il un suivi après l’évacuation ?

Oui, habituellement, il y a beaucoup de malades évacués à l’étranger, qui sont envoyés par leur médecin traitant, qui, après les soins reçus à l’étranger, retournent dans leur pays où le suivi est fait par le médecin traitant. Je prends l’exemple des patients opérés du cœur ou qui suivent des traitements assez poussés, cardiovasculaires, à l’étranger, et qui retournent dans leur pays. C’est le médecin traitant qui continue les soins.

 

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