Publié le 6 May 2016 - 23:03
DR MAURICE SOUDIECK DIONE, ENSEIGNANT-CHERCHEUR A L’UGB

‘’Retrouver le Président Sall serait suicidaire  pour le Pds) 

 

 

Enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis (Ugb), Maurice Soudieck Dione est d’avis que des retrouvailles avec le parti présidentiel seraient suicidaires pour le Parti démocratique sénégalais. Ainsi dans cet entretien avec EnQuête, le Dr en Sciences politiques estime que l’idée de retrouvailles de la famille libérale agitée par le président de la République, Macky Sall, ‘’risque de causer un problème de cohérence au sein de Benno bokk yaakaar, qui tire son identité et sa légitimité de sa victoire de 2012 sur le Pds et ses alliés’’.

 

En allant présenter samedi dernier ses condoléances à Oumou Salamata Tall qui a perdu son fils, le président de la République Macky Sall en a profité pour appeler à des retrouvailles de la famille libérale. Comment analysez-vous cette invite du chef de l’Etat ?

Cet appel du chef de l’Etat doit être analysé comme une volonté de rupture avec une logique de construction hégémonique jusque-là fondée sur les pressions et la persécution de l’opposition. Et qui a montré ses limites, en raison du sentiment d’injustice que cela suscite chez les Sénégalais, en plus de la négation et de la violation des droits et libertés des opposants, inacceptables dans une démocratie qui se respecte.

Y a-t-il des préalables à remplir avant ces retrouvailles, comme par exemple la libération de Karim Wade condamné dans le cadre de la traque des biens supposés mal acquis?

La libération de Karim Wade peut être un moyen de détendre les relations entre le pouvoir et l’opposition, notamment le Parti démocratique sénégalais (Pds), et plus généralement le jeu politique. Cela d’autant plus que cette incarcération est considérée par beaucoup de Sénégalais comme arbitraire, du fait que c’est une juridiction d’exception qui l’a condamné, avec des règles qui se démarquent des garanties d’un procès juste et équitable : renversement de la charge de la preuve, rupture d’égalité entre le procureur spécial, partie au procès, et l’inculpé, en ce qui concerne l’appel, double mise en demeure en violation de la loi, mépris de décisions internationales sur la question, celles de la Cour de justice de la Cedeao et du Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire, etc. En plus du caractère très sélectif de la traque dite des biens mal acquis, qui donne l’impression qu’il s’agit d’un règlement de comptes politiques.

Pensez-vous que ces retrouvailles puissent aboutir vu les relations heurtées entre le Président Macky Sall et le leader du Pds, Abdoulaye Wade ?

De mon point de vue, ces retrouvailles ne sauraient aboutir et il n’est pas souhaitable qu’elles aboutissent sous l’angle d’une compromission politicienne, préjudiciable à l’équilibre du système démocratique sénégalais. Car, faut-il le rappeler, la démocratie, c’est une majorité qui gouverne et une opposition qui s’oppose. Ce n’est pas un jeu où les gagnants écrasent totalement les perdants ou les phagocytent. L’opposition doit jouer un rôle d’alerte, de surveillance et de veille, de contrôle et de critique de l’action gouvernementale. La vitalité d’une démocratie s’apprécie à l’aune de la liberté et de la qualité de l’opposition, pour éviter les travers du consensualisme et de l’unanimisme, stériles et contre-productifs. En effet, on risque sans s’en rendre compte de donner tous les pouvoirs à un seul homme. Or tout homme qui a du pouvoir a tendance à en abuser. Donc il faut que le pouvoir soit limité pour en neutraliser les nuisances politiques, au profit de l’essor des droits et libertés. Ce sont là des piliers essentiels du constitutionnalisme.

 Dans quelles conditions ces retrouvailles peuvent-elles avoir lieu ?

Je pense que ces retrouvailles devraient se faire autour de l’essentiel, c’est-à-dire dans l’intérêt supérieur du Sénégal : pour renforcer la démocratie et l’Etat de droit, dans la paix et la stabilité politique. Cela suppose d’abord une décrispation des relations entre le pouvoir et l’opposition, un renforcement de l’indépendance de la justice, en la mettant en dehors des conflits et contradictions politiques. Ensuite, un dialogue constructif et inclusif sur les règles du jeu politique, d’autant plus que la nouvelle réforme constitutionnelle adoptée par référendum implique des modifications y afférentes.

Dans le contexte actuel, qui du président de la République ou du Pds profiterait le mieux de ces retrouvailles ?

Si ce sont des retrouvailles qui mènent à la cooptation ou qui enlèvent au Pds toute combativité, naturellement c’est le Président actuel qui en profiterait davantage, en renforçant son pouvoir. Mais le Pds n’y gagnerait pas grand-chose. Que faire des ambitions politiques de son candidat en prison, et des dividendes de sympathie gagnés en raison d’une certaine victimisation ? Quel discours le Pds tiendrait-il aux Sénégalais pour expliquer cette aventure ? Le Président Sall dans sa démarche politique cherche à augmenter le plus possible sa surface de légitimité, et réduire au maximum les forces oppositionnelles, mais il ne faudrait pas que cela se fasse au détriment des valeurs et principes démocratiques.

Le chef de l’Etat ne cherche-t-il pas un plan B au cas où le Parti socialiste déciderait de présenter un candidat à la présidentielle de 2019 ?

Je ne pense pas que ce soit le cas. Au Ps, deux factions s’affrontent. L’une, dirigée par le Premier secrétaire, favorable au  compagnonnage avec le Président Sall avec comme slogan : gagner ensemble pour gérer ensemble, et être responsable et comptable du même bilan présidentiel. Cette tendance est par ailleurs chargée d’étouffer au sein du parti l’expression de tout leadership de concurrence au chef de Benno bokk yaakaar. Dans l’autre faction, l’on retrouve des responsables comme Aïssata Tall Sall qui a eu le courage de défier le Premier secrétaire pour s’emparer, en vain, de la direction du parti, ainsi que d’autres personnalités qui ont fait tomber leur masque lors du dernier référendum. Il s’agit notamment du maire de Dakar, Khalifa Sall et ses partisans, qui ont appelé à voter NON. Avec la victoire du OUI, c’est le camp d’Ousmane Tanor Dieng qui sort encore victorieux de la confrontation. Dès lors, il est hypothétique que les ‘’nonistes’’ du Ps puissent s’appuyer sur l’appareil du parti pour présenter un candidat en dehors de Bby.    

Si le leader de l’Alliance pour la République (Apr) parvenait à recoller les morceaux avec le Pds, Benno bokk yaakaar ne risquerait-t-elle pas de se disloquer ?

Des  retrouvailles avec l’Apr, ce serait le suicide politique du Pds. En tant que principal parti au pouvoir de 2000 à 2012, si la formation politique de Me Wade venait à se fondre dans la coalition présidentielle, elle ne s’en relèverait jamais ! En plus, cela risque évidemment de causer un problème de cohérence au sein de Benno bokk yaakaar, qui tire son identité et sa légitimité de sa victoire de 2012 sur le Pds et ses alliés.   

Dans cette volonté de retrouver ses anciens camarades de parti, le président de la République semble vouloir passer par Aïda Ndiongue. Les propos échangés avec l’ex-sénatrice libérale (vous êtes vraiment ma sœur) sont-ils, selon vous, anodins ?

C’est un échange de civilités compréhensible lors d’une cérémonie de deuil, mais les déterminants de la réelle et haute politique sont infiniment plus complexes.

 Après Djibo Ka, Ousmane Ngom…, le chef de l’Etat ne cherche-t-il pas aujourd’hui à débaucher l’ex-mairesse des HLM ?

Dans le contexte politique sénégalais, les partis sont structurés autour de clivages idéologiques artificiels, en décalage et en déphasage avec les réalités historiques et socioculturelles influentes, pertinentes et déterminantes du pays. Dès lors, le carriérisme politique, les intérêts personnels, l’accès aux ressources matérielles et au prestige que confère l’Etat, le désir de se soustraire ou d’arrêter des poursuites judiciaires ainsi que les brimades subies, dans une situation de faiblesse de l’Etat de droit, sont autant de raisons qui peuvent expliquer la porosité des frontières entre le pouvoir et l’opposition.

PAR ASSANE MBAYE ET HABIBATOU TRAORE

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