Publié le 7 Jan 2014 - 19:21
EN PRIVÉ AVEC MANU LIMA, ARTISTE-MUSICIEN ET ARRANGEUR

''Ce qui manque à Wally Ballago Seck, Aïda Samb, Adiouza, Pape Diouf,...''

 

Chanteur, musicien et membre fondateur du Cabo Verde show, Manu Lima est un arrangeur d’envergure internationale. Son génie musical est devenu une tache indélébile dans la carrière  de grands noms de la musique sénégalaise  tels qu’Ismael Lô, Baaba Maal, Oumar Pène, Thione Ballago Seck, Coumba Gawlo Seck, Boy Marone etc. Présent à Dakar pour prendre part aux obsèques de son ami Ibrahima Sylla, Manu Lima s’est confié à Enquête.

 

Quelle était la nature de vos relations avec le défunt Ibrahima Sylla ?

Je commencerai par présenter mes condoléances à toute la famille d’Ibrahim, au peuple sénégalais et à toute l’Afrique. Je faisais partie d’Ibrahima Sylla et il faisait partie de moi. C’était un grand frère et il savait tout de Manou Lima. Il était mon confident. Ibrahima Sylla était surtout l’un des plus grands producteurs de l’Afrique.

Si Manou Lima est ce qu’il est aujourd’hui, il le doit à 80% aux productions d’Ibrahima Sylla. Il m’a confié presque toutes ses productions et j’ai eu à travailler avec les grands noms de la musique africaine. C’est grâce à lui que j’ai eu à arranger de grands ténors.

A part le côté professionnel, nous avons eu un lien familial très étroit. J’ai grandi ici à l’église Sacré-cœur, le collège Saint Michel. Ibrahima connaissait très bien la famille Teixeira. Au-delà de nos rapports professionnels, il y a ce lien familial qui nous avait rapprochés. On se parlait beaucoup.

La mort est certes douloureuse, mais il faut avouer que l’homme était vraiment souffrant durant ces dernières années. Ibrahima Sylla a pourtant résisté, pendant six à sept ans. Je croyais qu’il allait être enterré à Paris. Là, je reviens du Cap-Vert. C’est comme si Le Bon Dieu avait dit que je retrouverais mon grand frère à Dakar.

On est venu l’enterrer ici auprès de ses proches. Je suis venu à Dakar pour lui et ma petite famille. Dieu a bien fait les choses. On vient à l’instant de l’enterrement et tout s’est bien passé. Que la terre lui soit légère.

Quels sont les artistes sénégalais dont vous avez signé les arrangements ?

Je dirais la majorité des artistes de la grande génération. Je veux dire tous les grands noms de la musique sénégalaise que sont mon frère Ismael Lô, Baaba Maal, Oumar Pène, Thione Ballago Seck, Coumba Gawlo Seck.  Ibrahima Sylla m’avait confié  la majorité des productions africaines de Syllart.

Comme je l’ai dit tantôt, on avait une énorme complicité. La dernière production, c’est l’album Innovation de Sékouba Bambino que tout le monde connaît à travers la chanson ‘’Sino téna’’. Auparavant, on avait réalisé ensemble Kouyaté & Kouyaté, Kassé Mady pour ne citer que ceux-là. La liste est longue.

On était sur un projet lusophone. Même étant malade, Ibrahima Sylla tenait à le faire. Il m’avait dit : ’’Tu me laisses finir le dernier Africando et on attaque le projet lusophone.’’ On fera ce projet en sa mémoire.

Pourquoi selon vous, les artistes sénégalais ne signent plus avec les grands majors ?

Qui était le lien voire l’intermédiaire entre les artistes, entre ces majors dont vous faites allusion ? Quand Ismaël Lô et Baaba Maal signent avec Island records comme Youssou Ndour et Coumba Gawlo Seck ailleurs ; qui était leur lien ? C’est Ibrahima Sylla qui a lancé tous les grands noms de la musique ouest africaine dont Salif Keïta et tant d’autres.

Ibrahima Sylla a beaucoup fait pour tous les grands artistes de la sous-région. D’ailleurs, c’est depuis six à sept ans où il est malade que la jeune génération d’artistes qui émergent n’arrive plus à entrer dans la grande maison. Visionnaire qu’il était, il n’y arrivait plus. Ibrahima Sylla parvenait, avec tous ces grands noms, à faire passer dans ses différentes productions ce qui intéressait les grandes maisons.

Et je ne sais pas si l’on trouvera quelqu’un comme lui au service de la musique africaine. Malgré tout le talent dont regorgent ces jeunes artistes, ça reste malheureusement local. Il y a aussi mon ami José Da Silva qui a essayé de faire avec une seule artiste, en la personne de Cesaria Evora.

Elle n’est malheureusement plus de ce monde. Aujourd’hui, Ibrahima Sylla est parti, c’est un jour triste pour les artistes africains. Le Sénégal et l’Afrique perdent un grand nom de la musique.

Pensez-vous que d’autres Africains prendront le relais pour pérenniser l’œuvre d’Ibrahima Sylla ?

On est là, mais Ibrahima Sylla ne s’est pas fait un nom du jour au lendemain. C’est quelqu’un qui a commencé par des productions locales. C’est grâce à sa performance, en voulant travailler professionnellement, qu’il a su mettre toute son expérience au service de ces productions locales et donner une belle orchestration, tout en gardant l’identité africaine. Il s’est toujours investi pour que le monde puisse aimer, acheter et écouter ce qu’on fait. C’est un exemple. Pour l’instant, je ne connais personne en Afrique qui ferait comme lui.

Comment êtes-vous parvenu à vous adapter à différentes sonorités pour vos arrangements ?

Comme Ibrahima Sylla qui a une discothèque. Le fait que l’on soit né au Sénégal ; on a écouté tous les genres musicaux, des années 1970-1980. Quelque part, c’est ça qui m’a formé. Au Sénégal, on a écouté du pachanga, du rythm and blues, du rock, de la rumba, du soukouss, de la musique arabe, de la musique mandingue etc. Si aujourd’hui j’arrive à travailler avec plusieurs artistes d’origines diverses, c’est parce que mon école était d’écouter tous les styles, emmagasiner, prendre et donner avec ma personnalité.

Quelles sont vos plus grandes satisfactions avec les artistes sénégalais ?

Tout. On a commencé avec Ismael Lô. Il y a eu ''Ndiawar'' et tous les albums qu'Ibrahima Sylla a eu à produire avec Iso. Il y a les albums d'Oumar Pène et le Super Diamono, en commençant par ''Nila''. On a aussi fait l'album ''Wango'' et l'opus qui a suivi avec Baaba Maal, avant qu'il signe à Island records.

On a réalisé le fameux album ''Yomale'' qui a lancé Coumba Gawlo Seck sur l'international et Thione Ballago Seck avec ''Mbarodi''. Toutes les productions faites avec Syllart ont été un succès. Et Ibrahima me faisait confiance. Par exemple, le jour où il m'a confié l'arrangement de Kouyaté & Kouyaté, c'était un casse-tête pour moi.

Mais il m'a dit : ''Écoute Manu, tu es sénégalais et tu as écouté la musique mandingue. Je sais que tu es à la hauteur pour donner l'harmonie qu'il faut à cet album.'' Cela avait coïncidé avec l'avènement du synthétiseur et il me connaissait pour le côté digital. J'ai fait réaliser l'album que le public n'a pas cessé de lui demander jusqu'à ces derniers jours.

Et si l'on parlait de votre groupe, le Cabo Verde show ?

Je suis maintenant le propriétaire du Cabo Verde show et je viens de le déclarer, en tant producteur et titulaire. C'est d'ailleurs à ce titre qu'Ibrahima Sylla avait proposé de faire un  Best of de Cabo Verde show où l'on devait insérer quelques inédits. C'est un projet que l'on fera pour sa mémoire avec sa fille Bineta qui s'occupe maintenant de Syllart productions.

Comment jugez-vous la qualité du mbalax aujourd'hui ?

Comme je l'ai déjà dit dans le passé, il y a du bon. Malheureusement, ça reste trop local. On m'a fait écouter des artistes comme Aïda Samb, Adiouza, Pape Diouf, Wally Ballago Seck. Je trouve que cette jeune génération d'artistes a une superbe et belle voix, mais elle se limite au niveau local. Ils se limitent à faire ce que leurs aînés ont déjà fait.

Maintenant, il faut un directeur artistique derrière qui visionne. J'ai cru comprendre ça avec Bouba Ndour. Mais, c'est encore communautaire. Et ces jeunes chanteurs ont besoin d'être connus au-delà des frontières du Sénégal. C'est un travail qui vient de la direction artistique et ça, Ibrahima Sylla savait le faire.

Almami Camara

 

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