Publié le 20 May 2015 - 03:10
ENTRETIEN AVEC DJIBY SECK, DIRECTEUR DE L’INSEPS

‘’Le sport est un enjeu pour un peuple qui tend vers l’émergence’’

 

Djiby Seck, directeur de l’Institut supérieur de l’éducation populaire et du sport (INSEPS), spécialiste en physiologie et biomécanique de la performance motrice, explique dans cette entrevue la nécessité de faire du sport un vecteur de développement au Sénégal. Il parle des bénéfices qu’un pays comme le Sénégal peut tirer d’une bonne et intelligente politique sportive. Djiby Seck réfléchit aussi sur la notion de performance, décortique le mécanisme, tout en évoquant la question sensible du dopage dans l’arène.

 

M. Seck, vous êtes professeur en sciences et techniques de l’activité physique en sport, comment pouvez-vous définir la science du mouvement, votre spécialité ?

‘’C’est étudier l’homme en mouvement dans son environnement. Prenons une approche toute simple : l’homme, dans son développement, et en relation avec son environnement, a eu comme activité physique quotidienne normalement pour sa survie, d’aller faire la chasse, la pêche, la cueillette, et cela sur un rayon de 5 km en aller et retour. Ce qui fait environ 10 km. C’est le rayon d’action d’un homme dans son environnement. C’est pourquoi notre corps est aussi composé de 40% de masse musculaire, des muscles striés, squelettiques et dans ce cadre, l’homme a toujours trouvé des stratégies et les aptitudes pour savoir comment se déplacer sur terre, sur l’eau, et en partie dans l’air. En sport, quand vous voyez un joueur comme Messi ou Ronaldo, ce que vous voyez, c’est le comportement.

C’est cela que vous voyez ? Mais derrière cela, il y a un art qui part des intentions, les stratégies que le joueur a développées. Il a travaillé d’une certaine manière pour avoir cette mobilité extraordinaire qui s’exprime dans un geste technique final et décisif. Maintenant dans le terme global du mouvement, vous avez l’éducation physique qui donne des compétences de vie. ‘’Aimer bouger’’, ‘’savoir bouger’’, qui contribuent au socle de l’éducation globale par des valeurs telles qu’accepter de gagner ou de perdre, respecter les règles du jeu, les sanctions positives, les sanctions négatives. Vous voyez donc que le sport peut contribuer aux valeurs de société.

Comment la science du mouvement s’applique-t-elle dans un sport collectif comme le foot ?

C’est un des modèles les plus aboutis. Je vous donne un exemple sur lequel vous pouvez mettre le doigt. Je ne sais pas si vous avez vu le projet du foot allemand où sur un modèle de développement entre 4 et 8 ans, vous voyez des enfants développer l’Abécédaire du mouvement pour le jeu. Maintenant il n’est plus question de voir un joueur qui ne joue qu’avec un pied. La capacité de jouer avec les deux pieds, c’est à des âges sensibles dans le développement de l’enfant, entre 4 et 8 ans et qui permet de développer telle ou telle qualité. Si on rate ces périodes favorables, on passe à côté et plus tard le joueur est limité. Le développement des joueurs de haut niveau du présent et de l’avenir, doit se traduire par la capacité à fabriquer des joueurs véloces, de plus en plus capables de faire beaucoup de kilomètres après 90 mn, 120 mn et de toujours faire la différence. Pas en étant le meilleur, mais en faisant une erreur en moins.

Concernant cette tranche d’âge favorable évoquée pour l’éducation du jeune sportif, pensez-vous qu’on rate souvent ce virage au Sénégal et qui expliquerait le niveau du championnat local et les limites techniques de la plupart de nos joueurs ?

C’est une certitude. Ce n’est pas pour rien que sur ces dernières années, le club-école de foot Diambars génère la moitié des joueurs susceptibles d’entrer dans les sélections nationales. Il faut une construction rigoureuse, avec méthode. Ce n’est pas spontané.

Aujourd’hui pour un Sénégalais lambda, c’est quoi l’importance du sport ?

La santé a été re-conceptualisée, ce n’est plus seulement l’absence de maladie. Il y a la santé objective et celle subjective. La santé de la population et celle de l’individu. La santé objective consiste à faire des analyses et que l’on vous trouve une maladie alors que vous ne sentez rien. Pour ce qui est de la santé subjective, vous pouvez sentir quelque chose, vous faites des analyses mais vous ne trouvez rien. Donc la santé, ce n’est plus seulement l’absence de maladies.

Et c’est pourquoi on parle des 4 dimensions de la santé et des 5 déterminants de la santé dans la nouvelle approche de l’Unesco, de l’OMS, du Bureau international du travail, du CIO entre autres. On peut tenir du patrimoine génétique premièrement. Deuxièmement, l’existence des soins de santé, le troisième, c’est le niveau d’éducation et de revenu économique. Et le quatrième point, c’est un environnement sain avec une qualité de l’oxygène, et d’air de qualité. Et le dernier élément, c’est être actif, c’est-à-dire bouger au moins 30 mn par jour. Bouger notre corps pour brûler les graisses, les sucres et éviter ces maladies cardio-vasculaires, troubles métaboliques liés à une mauvaise qualité de vie que l’on peut modifier par le sport.

Où se situent les Sénégalais aujourd’hui par rapport aux conditions décrites pour être en bonne santé ?

En général, on dit que le Sénégal est un peuple sportif. On est à peine 14 millions d’âmes mais on a plus de 50 fédérations et on est représentatif dans beaucoup de disciplines, donc nous sommes un peuple de sportifs globalement. Mais cela ne suffit plus, il faut que cela soit du sport populaire.  Qu’on trouve les aménagements du parcours sportif dans les parcs, dans les lieux culturels qui sont aménagés ou que l’on laisse intacts. Il n’y a plus de poumons d’oxygène dans les quartiers alors que les espaces verts où jouent les jeunes, ce sont les poumons. Les études que nous avons faites dans les lycées et collèges de Dakar montrent que le surpoids et l’obésité est de 7% et cela peut monter à 12% dans les écoles privées où les enfants ont des niveaux de vie élevés. Le deuxième point est que 40% des adultes hommes et femmes de plus de 40 ans ont un peu de surpoids ou d’obésité et une des maladies cardio-vasculaire (tension, diabète, etc…) et c’est un enjeu pour un peuple qui, dans trois ou quatre décennies, veut être émergent. On ne peut se permettre d’avoir des jeunes qui, à 30 ans, vont traîner ces maladies. C’est pourquoi il faut inciter les jeunes à être plus actifs en redynamisant l’UASSU. Comme ça, on dira que le Sénégal est un peuple sportif dans tous les segments de  la population. C’est un plaidoyer et nous mettons des observatoires pour suivre les indicateurs.

Aujourd’hui, quelle place occupe la lutte avec frappe dans les recherches de l’Inseps ?

Nous avons des équipes qui travaillent sur la lutte. Personnellement, j’ai plus de 20 ans d’expérience dans la lutte. Ma première expertise mondiale, c’était en lutte traditionnelle. En mai 86, je délivrais le premier diplôme d’entraîneur de lutte traditionnelle pour les pays francophones comme expert de la Confejes. J’ai formé Feuz, Néné Diarra de Thiès, Jacques Diène et j’ai aussi entraîné Manga 2.

La lutte aujourd’hui est aussi une activité qui génère de l’argent. De l’argent que les lutteurs  utilisent pour mener des activités et qu’ils redistribuent à leur tour. Maintenant pour l’institutionnaliser, il faut l’accompagner pour lui donner de la valeur ajoutée par petites touches progressives. Mais il faut reconnaître leur compétence (les lutteurs) à s’engager, à aller trouver les fonds, mener les activités, redistribuer de l’argent. Maintenant il y a des choses qu’il faut prévenir. Ce sont les dérives comme le dopage, la violence physique et verbale. Il faut aller à la rencontre de ces lutteurs et leur donner les ressources en gestion de communication, les aider à investir, les aider à devenir des leaders qui investissent dans la lutte à la fin de leur carrière. Bref, un style managérial dans le sens positif. En partie, on peut dire que c’est de la matière brute, mais qui porte un poids économique social politique symbolique.

Comment voyez-vous le problème du dopage dans l’arène ?

Une dame a soutenu une thèse et a établi une liste d’une quinzaine de produits que les lutteurs prenaient. Parmi ces produits, tu as des produits qui sont sur la liste des dopants connus et prohibés. Le CIO publie la liste des produits dopants et cela doit être accessible à tout le monde. Maintenant quand un produit privé, traditionnel commence à rentrer dans l’espace public, que l’on veut normaliser, il faut les protéger contre eux-mêmes, il faut mettre des garde-fous. Ils te disent, quand on leur demande, qu’ils ne prennent rien, ou ils prennent ce qu’on leur dit de prendre.

Il y a deux choses : La première, c’est le niveau de responsabilité du lutteur lui-même. Il faut lui en faire prendre conscience pour qu’il prenne des décisions responsables. La deuxième chose, c’est que le dopage est comme la fraude sur l’âge des enfants. Ce n’est pas un enfant de 7 ans qui va aller changer son âge, c’est une autre personne. Il y a des gens derrière les produits dopants. Il faut voir tout le système. Les personnes suspectées peuvent être contrôlées à n’importe quel moment mais les procédures sont assez sensibles pour ne pas fausser le protocole.

Car si on fausse le protocole, on fausse aussi tout le cadre juridique de l’accusation et de la défense car les lutteurs ont des droits. Il y a des choses que le CNG peut prendre puisque maintenant il demande le certificat avant de donner la licence, mais il doit bénéficier de l’aide des autorités car ce n’est pas que technique, c’est aussi un cadre juridique, de la communication. Le dopage commence par l’auto-méditation. Cela commence par les médicaments de la rue. Donc, celui qui se dope trouve l’occasion de disposer des ressources pour le faire, jusqu'à d’autres formes ou des lutteurs mangent des aliments en pensant que ce sont des protéines, car ne sachant pas lire les notices, ce qui peut faire qu’il peut y avoir des substances classifiées comme dopantes qu’ils vont prendre de bonne foi. Cela par manque d’information ou d’éducation ; donc, c’est très complexe.’’ 

 

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