Publié le 21 Oct 2019 - 23:16
ENTRETIEN AVEC MOUSSA BALDE, MINISTRE DE L’AGRICULTURE ET DE L’EQUIPEMENT RURAL

‘’L’agriculture, aujourd’hui, c’est l’approche chaines de valeur’’

 

A Kolda où il s’est rendu ce week-end, le ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural a pris part à un forum sur l’agriculture et l’emploi. En marge de cette rencontre, il s’est prononcé, dans cet entretien avec ‘’EnQuête’’, sur le désamour entre les jeunes et le travail de la terre, la nécessité de réformer l’agriculture pour la rendre plus attractive et rentable, et sur l’approche chaines de valeur qui pourrait être la panacée pour offrir de l’emploi et sortir de la pauvreté, entre autres sujets.

 

 

Faites-nous le résumé de vos activités menées durant le week-end à Kolda…

Ce week-end, l’activité phare, c’était le Forum des jeunes sur l’agriculture et l’emploi. Comment fixer les jeunes dans nos terroirs. Un thème extrêmement important. Je salue l’initiative du Conseil régional de la jeunesse et remercie tous les gens qui ont participé à la réussite de ce forum qui a refusé du monde pendant 48 heures. Je n’étais pas là le vendredi pour des raisons de service, mais j’ai pu faire la clôture et j’ai mesuré l’engouement qui a entouré cette manifestation. Je remercie tous les participants. Je peux dire que ç’a été l’activité principale de mon séjour durant ce week-end ici.

Ecouter les jeunes, prendre leurs préoccupations, voir comment le ministère de l’Agriculture, avec tous ses démembrements, peut les accompagner pour qu’ils réussissent dans leurs terroirs et éviter qu’ils ne soient tentés par des aventures qui sont devenues dangereuses, comme tout le monde le sait.

Le constat est que les jeunes ne veulent pas rester dans l’agriculture. A votre avis, pourquoi ?

Evidemment, les jeunes ne veulent pas rester dans l’agriculture. Parce qu’on a toujours compris que l’agriculture est réservée aux pauvres, c’est-à-dire le paysan ou la personne qui habite loin des centres-villes. Ça, c’est dû aussi au fait que le monde rural n’est pas attractif. Parce que les commodités de base n’y sont pas développées. C’est pour cela qu’il faut saluer la politique du président de la République, Macky Sall, le Plan Sénégal émergent (Pse) qui a mis en place des outils que j’appelle des ‘’ascenseurs sociaux pour le monde rural’’. Je veux parler du Programme d’urgence de développement communautaire (Pudc), du Programme d’urgence de modernisation des axes et territoires frontaliers (Puma) et d’autres projets qui ont pour objectif de mettre à niveau le monde rural en termes d’infrastructure.

Parce que, vous savez, ce n’est pas le nom des villes qui fait que les gens sont en ville. C’est certaines commodités de base, à savoir l’école, la santé, l’électricité, le fait de pouvoir circuler, etc. Si on met ces commodités de base dans le monde rural, je pense que les jeunes pourront rester et savoir qu’en étant un jeune agriculteur, ce n’est pas très compliqué de gagner ici en Casamance 1 200 000 F l’année, c'est-à-dire l’équivalent de 100 mille francs par mois.

Comment l’agriculture peut aider à réduire le chômage des jeunes ?

L’agriculture peut aider à réduire le chômage des jeunes de la façon suivante : Il faut que les jeunes se convainquent qu’on peut être dans l’agriculture et avoir un niveau de vie comparable à un fonctionnaire de la ville. A ce titre, nous avons maintenant beaucoup de modèles.

Il y a des modèles sur la ceinture périurbaine de Kolda, avec des gens qui étaient partis à l’émigration et qui sont revenus et qui réussissent dans l’agriculture. On a vu des gens, dans le bassin de l’Anambé, qui sont des agriculteurs véhiculés. On a vu qu’en même des jeunes qui habitent dans les villages de la région de Kolda et qui vivent grâce à leurs activités agricoles.

Quelles sont les opportunités à saisir dans l’agriculture ?

Vous savez, nous, comme je l’ai dit, l’agriculture aujourd’hui, c’est l’approche chaines de valeur. Prenons la chaine de valeur riz. C’est une chaine de valeur qui va du labour jusqu’à la transformation du tracteur à la fourchette. Et toute cette chaine, à chaque nœud, il y a une activité économique qui peut être rentable. D’ailleurs, je l’ai dit lors du forum des jeunes. Si j’avais du temps libre en Casamance et que je cherchais une occupation, j’essaierais de voir comment avoir du matériel pour pouvoir faire des prestations pour le labour.

Parce qu’on a tous vu que cela rapporte beaucoup d’argent d’avoir un tracteur au niveau de la Casamance, pendant l’hivernage. Je ferais autant pour le matériel de récolte. Parce que vous savez que beaucoup de personnes, y compris les dames, n’ont pas envie d’aller récolter à la main le riz. C’est un travail pénible. Une fois les récoltes terminées, je me battrais pour avoir une mini-rizerie et faire de la transformation. On est tous d’accord que maintenant, nos femmes, même dans les villages, n’ont pas envie de piler le riz. Et donc, il serait bien de trouver des moyens de faire des prestations et de gagner de l’argent, tout en facilitant la vie à ces braves dames du Fouladou.

Donc, je pense que les opportunités ne manquent pas et c’est tout le sens de notre projet Agri-jeune qui doit accompagner 150 mille jeunes dans l’agriculture pour les capaciter et en faire de grands entrepreneurs. Ensuite, il y a le Projet de valorisation des eaux pour le développement des chaines de valeur (Proval) dont le but est de créer cinq mille Pme d’agriculteurs au Sénégal, sans compter l’Anida (Agence nationale d’insertion et de développement agricole) qui a une grande expérience dans le domaine de l’emploi agricole de l’agriculture moderne, pour ainsi dire.

En définitive, je dirais que la modernisation de l’agriculture du Sénégal doit s’accompagner justement de l’émergence d’entrepreneurs agricoles et la cible potentiel, pour nous, c’est la jeunesse du Sénégal.

En tant que ministre de l’Agriculture et de l’Equipement rural, que faut-il faire pour rendre le métier d’agriculteur plus attractif ?

D’abord, il faut diminuer sa pénibilité, comme je vous ai dit. On ne va pas dire aux jeunes d’aller dans l’agriculture, s’il faut les accueillir avec la charrue et les bœufs. Il faut également la rendre plus rentable. Il faudrait que les jeunes qui s’activent dans l’agriculture puissent gagner correctement leur vie. Ça, c’est possible. Ensuite, il faut rendre l’environnement attractif. Ça veut dire que, quand on est au village, il est souhaitable d’avoir l’électricité au moins pour pouvoir regarder la télévision, parce que si on a l’argent, on ne peut pas se permettre certaines choses. Notre premier réflexe, c’est d’aller en ville, parce que là-bas, il y a ce genre de commodités qui font qu’on considère que la vie est plus belle.

Quel est votre message pour la jeunesse sénégalaise ?

Je dirais à la jeunesse sénégalaise de croire en elle et de croire au Sénégal. Car les pays européens qui attirent notre jeunesse se sont développés grâce à l’agriculture. Vous prenez l’Espagne, c’est un grand pays agricole. Vous prenez la France, c’est un grand pays agricole. Et ce qui se passe, c’est qu’en réalité, il y a plein de gens du Fouladou qui boivent du lait qui est vendu dans des marchés et qui nous viennent de l’Europe et d’ailleurs. Or, on a assez de lait au niveau du Fouladou. On devrait pouvoir, avant tout, boire et vendre du lait qui vient de nos vaches et de nos terroirs, ici.

EMMANUEL BOUBA YANGA

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