Publié le 18 May 2017 - 18:51
FORMATION GOUVERNEMENT FRANCE

Quand Marianne expérimente la formule BBY

 

La coalition politique et gouvernementale en France sous la houlette du Président Emmanuel Macron rappelle, à bien des égards, celle de Benno Bokk Yaakaar, au Sénégal (BBY). Mais deux analystes politiques sont convaincus que malgré les similitudes apparentes, la configuration diffère.

 

Le jeune président français qui a signé la mise au tombeau du vieux clivage droite-gauche en Hexagone s’est déjà attelé à la tâche, en nommant Edouard Philippe comme chef  de gouvernement, lundi dernier. Une tâche apparemment attendue de tous les observateurs puisque la coalition de partis l’ayant porté au pouvoir, En Marche, rebaptisée La République en Marche, est un ovni difficilement situable sur l’échiquier politique.

A l’heure de la récompense, les autres partis attendent les dividendes de la participation à cette coalition. En dehors d’un maire de droite, bras droit d’Alain Juppé, à Matignon ; le socialiste sortant Jean-Yves Le Drian au Quai d’Orsay ;  son soutien centriste François Bayrou à la Justice ; l’écologiste Nicolas Hulot à la Transition écologique et solidaire…, la diversité gouvernementale proposée par Macron est digne d’un patchwork. Une configuration qui n’est pas sans rappeler un certain Président Macky Sall qui, depuis 2012, a réussi à maintenir une coalition gouvernementale d’obédiences politiques totalement opposées.

Emmanuel Macron parviendra-t-il à surnager dans la mare politicienne à force d’alliances ‘‘contre-nature’’?  ‘‘Je ne pense pas qu’on pourrait s’acheminer vers un schéma de partage du pouvoir à la Benno Bokk Yaakaar. Car les idéologies politiques semblent plus prégnantes et solides en France, où elles n’ont pas été importées, mais où elles ont pris forme à travers des contradictions socio-économiques et historiques réelles et pertinentes. Cela n’exclut pas pour autant l’instauration d’un gouvernement d’ouverture, car de toute façon, Macron ne s’identifie clairement et exclusivement à aucun parti ni courant idéologique, donc il peut travailler, a priori, avec tous ceux qui partagent sa vision et son projet pour la France !’’, explique l’enseignant-chercheur à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, Maurice Soudieck Dione.

Le Directeur de l’information de la Télévision futurs médias (Tfm) est d’un avis pratiquement similaire. Barka Ba estime qu’à part un contexte favorable aux deux candidats, il est très difficile d’esquisser un autre point de ressemblance sur le plan de la gestion politique. ‘‘Il n'y a pas grand-chose qui lie BBY et la République En Marche en dehors du fait que les deux coalitions, formées  après la victoire de leurs chefs respectifs (Macky Sall et Emmanuel Macron), s'articulent autour d'un leader  jouissant au départ d'une forte légitimité (65% ; 66%)  après  des présidentielles aux allures d'émeute électorale. Mais autant il y a de forts relents idéologiques autour des partis qui soutiennent le programme de Macron ( libéralisation du marché du travail, ancrage dans l'Europe etc.) , autant on a du mal à voir, en dehors du fait d'occuper des positions de pouvoir, ce qui lie l'Apr et les autres composantes de BBY’’, analyse-t-il. Sans compter la dimension référendaire de leurs élections, (référendums anti-Wade et anti-Le Pen), le destin politique des deux présidents a pris appui sur le moment favorable de l’histoire.  

Une non-filiation idéologique de Macron a jusque-là constitué un avantage plus qu’un handicap pour le président investi dimanche dernier.

 La République en Marche (REM) est un ensemble très cosmopolite de socialistes pro-DSK, de centristes en quête d’un leader charismatique, d’écologistes, et d’indépendants. Après sa large victoire à la présidentielle, et la formation d’un gouvernement tout aussi cosmopolite ce mercredi, le Président Emmanuel Macron cherche toujours la bonne formule pour articuler, et pas seulement accumuler, les forces de ce grand ensemble. Les Législatives françaises de juin prochain ne sont pas moins une étape importante pour une majorité de confort qui devrait permettre au successeur de Hollande de faire de ces éléments politiques disparates une force centripète.

Si BBY, comme tous les pouvoirs qui se sont succédé au Sénégal, a évité la cohabitation, Emmanuel Macron va devoir vivre un second test grandeur nature presque aussi importante que la Présidentielle. Une échéance pour laquelle Maurice Soudieck Dione n’avance aucun pronostic. ‘‘Il faut qu’il élabore les meilleures stratégies gagnantes pour les législatives. Va-t-il nouer beaucoup d’alliances avec les politiques de tout bord, nombreux à le soutenir ? Ou va-t-il encore parier sur la rupture, en surplombant les partis et en demandant aux électeurs directement de confirmer leur choix porté sur lui, en lui octroyant une majorité parlementaire, afin de réaliser son projet politique ? En tout cas, toute erreur d’appréciation peut lui être fatale’’, de l’avis de l’enseignant-chercheur.

Entente à durée (in)déterminée

 Que vaudra la coalition REM à l’épreuve du temps ? Tiendra-t-elle aussi longtemps que BBY qui a déjà entamé sa cinquième année de cohabitation ? Barka Ba de relever un contraste, pour le moins saisissant, dans le cas sénégalais. ‘‘Il est difficile de tirer des plans sur la comète et de prévoir la durée de vie de tels attelages souvent faits de bric et de broc. Tout dépend de la capacité du leader principal à négocier habilement sa survie politique. Pour le cas de Macky Sall, il a pour le moment  dramatiquement échoué à construire un parti fort, structuré et discipliné capable de lui survivre même après son départ du pouvoir, mais il a réussi brillamment, si l'on peut dire, à déconstruire paradoxalement les deux principaux partis de sa coalition, par une cooptation-asphyxie  intelligente de ses leaders ( Niasse et Tanor) qui a conduit à la quasi-implosion  de leurs partis (dissidence de Malick Gakou et Khalifa Sall)’’, explique-t-il. Une dislocation des symboles politiques qui n’est pas sans rappeler les troubles internes concomitants des deux PS, français et sénégalais, fortement secoués par une crise de leadership.

Le Président français, tout comme son homologue sénégalais, malgré leur désir de renouvellement prononcé et l’atout jeunesse comme valeur-refuge politique, ont pris la précaution de s’entourer de quelques ‘‘vieilles’’ garanties.  Dans l’ensemble toutefois, le génie politique du Président Macron, qui l’a aidé à éclipser la vieille garde politique, pourrait le faire triompher pour les prochaines échéances, de l’avis de Barka Ba. ‘‘Sous ses dehors de garçon bien sous tous rapports, Macron est un véritable Rastignac  du pouvoir qui a su faire preuve de cynisme, de roublardise et de trahison pour arriver là où il en est. Donc ce n'est pas un manchot du tout et il peut surprendre ses adversaires’’, avance-t-il. Quant à l’universitaire, M. Dione, il est d’avis que ce triomphe peut être éphémère si les manœuvres de l’actuel occupant de l’Elysée ne sont pas conduites avec clairvoyance. De fortes espérances sociales, des Europessimistes au Front national, une droite revancharde en remobilisation rapide après la déconfiture Fillon, et une gauche radicale enhardie par les envolées de Jean-Luc Mélenchon, sont autant de menaces politiciennes à l’action du ‘’Jeune premier’’.

‘‘Les attentes sociales sont fortes et exigeantes, et les mesures économiques à prendre urgentes, d’où la nécessité de mettre en avant l’action et le résultat pour concrétiser le programme, car autrement, Macron risque de susciter très vite un désenchantement populaire qui lui sera politiquement préjudiciable, vu son parcours atypique, qui fait que les professionnels de la politique ne lui feront aucun cadeau, au moindre cafouillage et à la moindre tergiversation’’, prévient Maurice Soudieck Dione.

OUSMANE LAYE DIOP ET I.K WADE  

 

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