Publié le 10 Aug 2015 - 14:34
INONDATIONS A DAKAR

Dans le piège des eaux

 

Après la pluie, le sale temps. Les fortes précipitations d’hier ont replongé certains habitants de la capitale dans la hantise saisonnière la plus redoutée : les inondations. Si elles sont monnaie courante dans la banlieue dakaroise, elles font également des dégâts dans les quartiers réputés plus cossus.

 

Dans la nuit du samedi au dimanche, ce n’était pas un crachin, mais bel et bien une flotte qui s’est abattue sur certaines parties de la capitale. Si beaucoup de Dakarois qui ont souhaité la pluie, pour atténuer les températures caniculaires de ces derniers jours, ont vu leur vœu exaucé, les habitants de la cité Touba Almadies n’en font pas partie. Pis, ils auraient voulu que le ciel ne déversât pas ses vannes dans  ce coin select de Ouakam que l’on appelle communément Cité Cheikh Amar. Les eaux de ruissellement ont submergé un pâté de maisons au fond de ce quartier résidentiel dont les belles villas côtoient celles en chantier. 

Les précipitations ont été tellement fortes qu’il fallait bien écarquiller les yeux pour apercevoir le toit d’une voiture 4x4 blanche, parquée devant une maison de quatre étages, complètement engloutie. Une autre automobile, plus modeste, qu’un groupe de gardiens tente de localiser, est invisible sous ce torrent d’eau. Le malheur pour ces habitants est dû au fait que cette partie est la plus basse de la cité et reçoit toutes les eaux venant de Ouakam. Un canal est aménagé près du mur de l’aéroport, mais le débit important et les saletés obstruant sa bouche, ralentissent l’évacuation des eaux rougeâtres de cette grande mare. Nous avons dû user de toutes les astuces pour entrer dans cette résidence où l’on ne badine manifestement pas avec la sécurité. Dans la guérite jaune aux murs décrépis, située à l’entrée, quatre préposés à la sécurité exigent une permission de Cheikh Amar himself, pour être autorisé à l’intérieur.

Prisonniers dans leurs maisons

 ‘’Il (Cheikh Amar) avait promis des aménagements  dans la cité, mais il n’y a rien qui a été fait jusque-là. Pas de routes, pas d’aménagements adéquats’’, constate un résident  au volant de sa voiture. Le chemin est cahoteux à cause des ravinements dus au ruissellement de la pluie. Les grosses pierres rouges de latérite, lessivées par le drainage des eaux, montrent la force torrentielle qui s’est abattue sur plusieurs points de la capitale.  Dans cette grande piscine, les détritus flottent au gré du ruissellement. Cannettes de boissons, bouteilles d’eau vide, planches de bois, caisses isotherme, et un grand chauffe-eau solaire voguent sur la surface. Hormis les deux voitures englouties, des personnes ont été également prises au piège dans leurs maisons par les eaux. Ces villas sont celles où résident Saliou Niang et Oumy Camara, font savoir les gardiens et maçons.

 ‘’Malgré nos appels incessants depuis midi, le standard des sapeurs-pompiers répond qu’il est confronté aux mêmes problèmes un peu partout à Dakar, et qu’il fallait patienter’’, lance l’un d’eux en caftan blanc. ‘‘ L’eau s’en va petit à petit. D’ici à demain, le canal aura fait son rôle’’, tente de rassurer un autre. L’inondation était au même niveau que les murs d’enceinte des maisons. Jean Faye, un ouvrier pris au piège dans un gros-œuvre, est moins chanceux que notre guide dont une partie de l’eau s’est retirée de sa maison. Des balcons de cette bâtisse, où il se trouve depuis ce matin, il communique avec ses camarades en criant. ‘’As-tu pris le petit déjeuner ? et le déjeuner alors ?’’, brocardent ses compères dans un fol accès de plaisanterie.  En dépit du fait que le bâton qui lui sert de jauge montre que le niveau de l’eau a baissé et les encouragements de quelques-uns, il se résigne à ne pas prendre de risques. ‘’Il faut que le canal soit entretenu de manière régulière et qu’on n’attende pas la saison des pluies pour s’en occuper. Sinon nous serons toujours là à tout reprendre à zéro’’, suggère l’un d’eux.

Un pan du mur sud de Saint-Lazare cède

L’assainissement semble être le mal le plus partagé. Soit le dispositif de drainage des eaux n’existe pas, soit il ne fonctionne pas, le cas échéant. A Sacré-Cœur 3 Extension, Jamal, libano-sénégalais, est très remonté malgré sa voix presque calme. Depuis trois ans, c’est la même rengaine concernant une station de captage qui ne marche jamais. ‘’Au Sénégal, on n’entend jamais parler d’un ingénieur en assainissement. Depuis les indépendances, rien n’a été fait. Les seules réalisations dans ce domaine sont à l’actif des colons’’, peste-t-il, tirant sur sa cigarette. De l’étage de sa maison où il accueille pour une vision plus globale, le constat est là, désolant.

L’enceinte sud du mur du cimetière Saint-Lazare de Béthanie est devenue une passoire. Une partie du mur jaune s’est affaissée suite aux fortes pluies d’hier. Notre interlocuteur fait même remarquer qu’il n’avait pas de fondation solide, ‘‘comme s’il avait juste été posé’’, continue-t-il, dénonçant également ces lampes solaires à l’arrêt depuis longtemps. Comble de l’improvisation, le mur de l’aéroport récemment construit  a formé un cul-de-sac dans cette ruelle étroite. Ce qui fait de la devanture de ces maisons de véritables bassins de rétention en miniature.

‘’Un habitant est même allé jusqu’à détruire ce mur pour que les eaux de pluie continuent  leur ruissellement’’, fait-il savoir. Une donne qui va s’empirer, selon lui, avec les nouvelles constructions de la Société immobilière du Cap-Vert (Sicap) sur la bande verte, alors que l’on vient de déguerpir des habitants de Tobago du même alignement. Mais ce cas est différent du quartier de Grand-Yoff où l’incivisme des populations a eu raison des travaux de voirie et d’assainissement engagés pour le libérer des inondations chroniques. En lieu et place de bouches d’égout ce sont des dépotoirs d’ordures qui ont bouché les voies de passage des eaux de ruissellement.

Cette situation est identique à celle vécue hier par les automobilistes sur la route du Front de terre. D’ailleurs le tronçon entre Notre Dame du Liban et la gendarmerie  a été coupé, obligeant les conducteurs à faire un grand détour vers l’hôpital général de Grand Yoff. Conséquences : le mal  des inondations demeure réel pour ce quartier qui est en peloton de tête des zones les plus inondables de la capitale. Et les choses pourraient bien récidiver.  Dans un bulletin transmis hier à l’agence de presse sénégalaise (APS), l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (ANACIM) annonce que des pluies sont attendues sur l’ensemble du territoire, notamment sur la façade ouest où des quantités assez importantes pourraient être enregistrées aujourd’hui.

OUSMANE LAYE DIOP ET I. K WADE

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