Publié le 9 Jul 2015 - 17:01
JUSTICE PENALE INTERNATIONALE

‘‘ Le procès aura lieu même si Habré refuse de se présenter ’’

 

Les Chambres africaines extraordinaires des assises (CAE) sont bel et bien aptes à juger l’ancien président tchadien Hissein Habré. Cette position a été la mieux partagée hier à Dakar lors de la conférence sur la justice pénale internationale et le droit international des droits de l’homme.

 

Le 20 juillet prochain, l’ex-président tchadien Hissein Habré va faire face à la justice. ‘‘Pour la première fois, l’Afrique trouve une solution juridique à un problème juridique en mettant en place les Chambres africaines extraordinaires (CAE). Depuis plus de quinze ans, les victimes attendent ce procès.’’ Une satisfaction du coordonnateur de la coalition sénégalaise pour le jugement équitable de Hissein Habré (Cosejehab), Sadikh Niasse. La procédure s’inscrit dans l’évolution de plus en plus structurée d’une justice internationale. Il y a vingt ans, elle n’existait pas, le procès de Nuremberg étant la seule référence par rapport au droit pénal international. Depuis, une multitude de juridictions ont été créées dont le Tribunal pénal international pour le Rwanda (TPIR) avec plus de 500 personnes condamnées ; pour le Cambodge ; le Liban ; l’ex-Yougoslavie (TPIY) etc. Le passage prochain de l’ancien président tchadien à la barre va se dérouler dans cette perspective ‘‘de combattre l’impunité’’.

Joséphine Frantzen, l’attachée d’affaire de l’Ambassade des Pays-Bas a fait part du degré d’implication de son pays dans l’organisation de ce procès. Le Royaume batave a contribué financièrement à hauteur d’un million d’euros (655 millions 957 mille FCfa) pour la constitution des Chambres africaines extraordinaires sur un budget total de sept millions d’euros (4 milliards 591 millions 700 mille F Cfa). ‘‘Ce procès est attendu depuis longtemps. Il est historique pour l’Afrique car c’est la première fois que l’Afrique juge un Africain. Nous espérons que ce sera un grand pas et que ca ne sera pas le dernier’’,  se félicite-t-elle. Pour les organisateurs de cette rencontre, ce procès va servir de cadre d’expérimentation et de  contribution substantielle dans le débat sur la lutte contre l’impunité. Acteurs de la société civile et du droit international ont tenu à rassurer que ce procès ne sera pas une chasse aux sorcières contre le président tchadien déchu. ‘‘Toutes les dispositions sont prises de notre côté pour faire le monitoring de ce procès. Nous allons observer et être vigilants par rapport à son  caractère équitable. C’est une initiative que nous soutenons’’, déclare  Sadikh Niasse coordonnateur de la (Cosejehab).

Appréhensions

Des garanties sur l’équité qui  se veulent rassurantes mais inquiètent tout de même. La mise en demeure servie par le président de la CAE des assises, Gberdao Gustave Kam, aux avocats de Habré sur leur refus de se présenter à la conférence de mise en état du 29 juin dernier, apparaît comme un forcing  pour faire comparaître un prévenu qui ne fait pas mystère de son désir  de  boycotter le procès. Cependant, il ne devrait pas y avoir de conséquences sur la tenue de cette première. ‘‘Le fait que les avocats ne se présentent pas au procès ne peut pas entraver son bon déroulement.

C’est leur stratégie, et c’est leur droit d’en avoir une. Le procès aura lieu même si l’accusé refuse de se présenter devant les juridictions. C’est regrettable, on aimerait qu’il soit là, qu’il y ait un débat contradictoire’’, explique Sadikh Niasse, annonçant une rencontre le 15 juillet entre membres de la société civile pour un plan d’action de supervision de ce procès. Serge Brammertz, procureur général du Tribunal pénal international pour l’ex-Yougoslavie (TPIY) à la Haye,  pense pareil.  ‘‘Il n’y a pas une seule juridiction internationale dont la légitimité n’a pas été mise en cause. Lors du  premier procès avec Milosevic, cela a été le cas. Ils disaient vouloir récuser car la juridiction a été créée par le Conseil de sécurité de l’ONU, alors qu’il n’a pas mandat pour en créer un. Cet argument a été utilisé quasiment devant toutes les juridictions internationales. Ça n’a pas marché dans le passé et je suis confiant que cela ne va pas marcher dans le dossier Habré’’, déclare-t-il.

Quant aux sévères récriminations sur la propension de la CPI à ne poursuivre que les anciens dirigeants africains, M. Brammertz défend que son tribunal (TPIY) a lancé des actes contre plus de 160 personnes, toutes européennes, plus que toutes les autres juridictions réunies. ‘‘C’est une critique qui n’est pas entièrement honnête et justifiée. Il y a cette perception que la Cpi se concentre sur des dossiers africains mais j’insiste qu’elle se concentre beaucoup plus sur des victimes africaines qu’autre chose. Elle intervient seulement quand les Etats n’ont pas fait le travail eux-mêmes. Pour la crédibilité du TPI, il est souhaitable que des enquêtes soient menées dans d’autres parties du monde’’, concède-t-il toutefois.

Ousmane Laye Diop

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