Publié le 3 Jan 2013 - 14:04
LA CHRONIQUE DE MAGUM KËR

Touba, quel statut spécial ?

 

L’espoir commence seulement maintenant avec l’année du budget voté sous son mandat. Le président Macky Sall serait même un miraculé si nous nous en tenons à la menace d’apocalypse à double tranchant proférée par le président déchu, lors de la campagne électorale. Le Magal de Touba a été l’occasion pour le président, afin de se concilier l’électorat mouride, de promettre la reprise des travaux de modernisation de Touba pour 100 milliards de francs Cfa sur 4 ans, la construction d’un aéroport et d’un autre hôpital en plus de la réfection et de l’augmentation de celui de Matlaboul Fawzeini. Au surplus, le jour du Magal sera bientôt chômé et payé et Touba aura bientôt un statut spécial si le Khalife général des Mourides y consent : ce qui n’est pas assurément une mince affaire que de le convaincre s'il n’est pas demandeur.

 

 

Parce que quand l’actuel ministre Youssou Ndour avait doté Touba de matériel de sonorisation moderne, le Khalife Serigne Sidy Makhtar Mbacké lui avait recommandé de faire de même pour les autres communautés religieuses du pays. Ce ne sera donc pas une mince affaire que d’encombrer Touba d’autant de faveurs, le moindre des inconvénients étant la cascade d’émulation qu’elles susciteraient. Pas seulement des communautés religieuses mais certainement aussi du maquis indépendantiste casamançais qui ne pourrait revendiquer moins, pour avoir soutenu pendant près de trente ans une lutte armée irrédentiste. Le plus inquiétant, c’est que mal défini, ce statut spécial pourrait menacer la souveraineté nationale par l’accentuation de la disparité qui l’aurait inspiré.

 

 

Il est en effet difficile qu’une entité territoriale circonscrite autour de Touba se satisfasse des lois et règlements d’une République sénégalaise dont la première Constitution avait été combattue par toutes les communautés religieuses, y comprise celle de Touba et même coutumières puisque la collectivité léboue s’était associée à la motion de défiance. La revendication de ce statut spécial a-t-elle jamais été assumée par une association représentative et légitime ?

 

Quand bien même ce serait le cas, ne pas l’avoir traitée comme une sédition au même titre que les premières manifestations du Mouvement démocratique des forces de Casamance (MFDC) est une complaisance. Car à supposer que ce statut spécial ait été une aspiration partagée par les populations de base de Touba, que n’a-t-il été l’objet d’une délibération de la Communauté rurale ?

 

 

La position du président découle d’un travers de la démocratie sénégalaise qui s’illustre par des débats tous azimuts d’experts en tous genres sur des questions pour lesquelles ils ne sont pas compétents, ce qualificatif ne signifiant pas savants, mais désignant une habilitation ou un mandat à délibérer sur une question pour suite à lui donner. Le chef de l’État, souvent partie prenante de ces débats qui devraient se mener dans des instances de partis, des institutions délibératives ou en fin de compte de l’exécutif, hume l’air du temps et comme la campagne électorale est permanente, promet aux porteurs de voix ce qu’ils sont supposés vouloir.

 

Sur le chapitre de la pêche permanente des voix, Touba a toujours été très sollicitée à cause de cette discipline mouride qui assure un vote globalement compact et qui subsiste toujours, les velléités d’autonomie des mourides plus émancipés étant compensées par le prodigieux développement démographique de la cité.

 

 

C’est là que gît l’autre problème, le poids démographique. Le Vatican qui est défini comme un État souverain inclus dans Rome, compte à peine 800 habitants dont moins de la moitié sont des citoyens, les autres ayant un statut provisoire pendant la durée de leurs fonctions. La principauté de Monaco, une monarchie constitutionnelle au milieu du département français des Alpes-Maritimes, a une population de 3400 âmes sur une superficie de 1,5 km2. Ces deux territoires sont introvertis alors que Touba est une grande agglomération conquérante au plan spirituel qui étend ses tentacules sur toute la région de Diourbel et au-delà sur tout le Sénégal et même de par le monde.

 

Un statut spécial qui lui accordera le moindre pouce de souveraineté devrait reconnaître sa suzeraineté sur toutes les localités où résideraient ses adeptes ainsi que sa représentation dans toutes ses mosquées urbi et orbi. Prestigieuse, considérée et très courue, Touba a-t-il besoin d’un statut spécial, c'est-à-dire des garanties constitutionnelles qui seraient accordées à sa population ? Et quel serait le fondement historique, sociologique et culturel de ce statut spécial ?

 

 

Invoquer un statut spécial pour Touba au moment où les insurgés islamistes du Mali en ont de fait imposé un sur toute l’étendue du Nord Mali, les deux tiers du territoire, c’est tenter le diable. Le Sénégal n’a construit sa cohésion nationale que sur le renoncement des velléités irrédentistes de certaines zones périphériques. La plus célèbre est la tentative de la région de Dakar de se dissocier de la colonie du Sénégal sur la question du référendum de 1958. Et de fait, lors de son témoignage historique sur la Casamance, Jacques Charpy, conservateur général du Patrimoine français, n’a pas manqué de se demander : ''A-t-on réellement craint pour le devenir de Dakar, siège d’une capitale fédérale qui fut aussi de 1924 à 1946 à la tête d’une circonscription originale, la circonscription de Dakar et dépendances établie au dépens du Sénégal ? Les Lébous pouvaient-ils prétendre reconquérir leur indépendance obtenue par Dial Diop en 1802 ?'' 

 

 

 

 

 

 

 

 

  

 

 

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