Publié le 20 Apr 2018 - 19:06
MANIFESTATIONS CONTRE LOI PARRAINAGE

Soweto sauf, Sandaga en surchauffe

 

La matinée du 19 avril a été chaude, mouvementée, tumultueuse, par moments incandescente. Les manifestants contre la loi sur le parrainage ont donné du fil à retordre aux forces de l’ordre, mais l’Etat et ses forces de sécurité ont globalement tenu leur pari : Soweto n’a pas été aperçu par l’opposition.

 

‘‘Nous ne sommes pas ouverts aujourd’hui’’. Une dame, qui semble être la gérante de l’essencerie Total ‘‘Soweto’’, signifie à un conducteur d’une voiture sportive. Le véhicule redémarre aussitôt en trombe, déchirant le silence matinal devant la place Soweto, le siège l’Assemblée nationale sénégalaise. Les promesses d’une chaude journée, remake du 23 mars, n’ont pas toutes  été tenues. La faute à la présence dissuasive des forces de l’ordre. Dire que le Plateau a été verrouillé relève de l’euphémisme. Les voitures de la police, floquées ‘‘CA Pikine’’, ‘‘CA Golf Sud’’, ‘‘CA Plateau’’, montre que tous les commissariats  d’arrondissement ont été mis à contribution. Une vitrification préventive qui a l’avantage, ou le désavantage, d’empêcher tout accès au Parlement.

Dakar a très tôt paré à toute éventualité. Au rond-point ‘‘Poste’’, les policiers veillent au grain. Premier filtrage devant Washington, le siège du ministère de l’Intérieur, où les identités sont scrutées sous la supervision d’un canon à eau. Que des bérets, rouges ou beiges, et des journalistes sur cette allée d’habitude très fréquentée par les travailleurs. Quelques mètres plus loin, il faut aussi montrer patte blanche - carte de presse ou carte de l’Assemblée - pour pénétrer dans ce qui a été hier, le temps d’une journée, le saint des saints.

A 9 h, l’heure du démarrage des travaux, les députés continuaient d’affluer, qui seuls, qui avec de gros bras. Les policiers, les journalistes et les rares personnels de service des bureaux alentours étaient sur les lieux à épier la moindre esquisse de rébellion.

A l’hôpital Principal, le semblant de rassemblement, des clients qui achètent du déjeuner, est vite dispersé et la tenancière sommée de fermer boutique. L’ambiance n’était dérangée que par la police elle-même dont les rondes effectuées régulièrement... Tout semblait bien se passer jusqu’à 9 h 20 où les premières salves ont été déclenchées sur l’avenue du président Lamine Guèye. Des manifestants issus du Grand parti de Malick Gakou avec des flyers jetés un peu partout tirent les forces de l’ordre de leur torpeur... Puis, ce fut au tour du boulevard de la République, au restaurant Café de Rome que la barricade de fortune improvisée est vite libérée par la police.

La circulation reprend, mais beaucoup d’usagers préfèrent rebrousser chemin, car les vitres d’une voiture en parking a fait les frais de la fureur des manifestants. Les gaz lacrymogènes sont d’une âcreté singulière. Ce sont des ‘‘lacryMacky, des Erdogan, mais cela ne nous arrêtera pas. On va tout brûler. Liberté, liberté, liberté !’’, scandent les lanceurs de pierres qui se galvanisent mutuellement à aller de l’avant. ‘‘On va faire savoir à Macky Sall que ce pays ne lui appartient pas’’, lance un autre avec des propos désobligeants envers le chef de l’Apr. A la rue F. T. Gomis où ils sont repoussés, les manifestants ripostent avec des pierres dont le choc sourd sur les voitures et les armures de la police fait réagir ces derniers qui tirent indistinctement sur tout ce qui a l’air d’un rassemblement. Même les journalistes qui faisaient leurs interviews ont eu la mauvaise surprise de constater qu’une bombe lacrymogène, dégoupillée, a été déposée silencieusement à leurs pieds par un élément en civil avant de fondre et de faire se fondre tout ce beau monde en toux et en pleurs. 

La police et les manifestants au chat et à la souris

Soweto inaccessible, c’est aux alentours que les combats se sont déportés. Sur toute la longitude de Lamine Guèye, ce sont des affrontements sporadiques qui ont rythmé la journée dans un chassé-croisé entre manifestants et forces de police. A 13 h, les forces s’étaient amenuisées et les policiers, forts de leurs armes et de leur dispositif, trônaient, avec les journalistes, au rond-point de Sandaga où, de temps en temps, des tirs de dissuasion, espacés, montraient que l’intensité des affrontements a diminué. Mais les policiers n’ont pas désarmé.  La tactique des manifestants consistait à se regrouper sur l’avenue Lamine Guèye et à se disperser dans les ruelles adjacentes, une fois les grenades lacrymogènes lancées par les policiers. De là, ils allumaient de petits incendies ou érigés des barrages de fortune pour freiner l’avancée policière avant de se retourner sur Lamine Guèye. Un chassé-croisé qui a obligé les forces de l’ordre à des courses-poursuites et des jets de grenades lacrymogène parfois fortuits. Ainsi, des appartements privés, des voitures et un taxi ont fait les frais du zèle policier.

 C’est bien connu. Se fondre dans le milieu pour mieux confondre les récalcitrants. Hier, la tactique de la police dans le cassage de la manifestation de l’opposition a été payante. Il y avait à peu près autant d’éléments en civil que d’éléments en tenue. Beaucoup de manifestants se sont vus arrêtés par le ‘‘baye-fall’’ ou le mécanicien en compagnie duquel ils avaient tantôt jeté la pierre côte-à-côte. Des groupes qui se fragmentaient pour se coaguler tout juste après le passage de la police. A  la rue Sandiniery, les fumées ont aussi envahi les vendeurs de fruits et légumes guinéens qui se sont rappelés au bon souvenir des manifestations dans leur pays d’origine.      

La manif précocement étêtée : Idrissa Seck et Thierno Bocoum  interpellés

La contestation aurait dû être plus coordonnée, plus aboutie, si les leaders politiques avaient été présents. C’est avant la mi-journée que toutes les têtes de gondole politique ou de la société civile ont été interpellées. Idrissa Seck, ancien chef du gouvernement et opposant notoire au projet de parrainage, Me Mame Adama Guèye, le rappeur Kilifeu... sont tous passés au violon. C’est Thierno Bocoum qui a ouvert le bal des interpellations. Intercepté devant la pharmacie Guigon, il n’a pas eu le temps de voir Soweto avant d’être embarqué dans une fourgonnette de la police. ‘‘Je suis ancien député, c’est la loi qui me permet d’aller assister à une plénière. Je sais ce que je dis. J’ai bien le droit d’aller à l’Assemblée nationale. Vous n’avez pas le droit de m’arrêter’’. Des protestations échaudées qui ont rencontré la sourde oreille des policiers qui l’ont embarqué sans ménagement, avant de fondre aussitôt avec leur voiture en direction de la police centrale.

Le leader de Y’en a marre, Kilifeu, interpellé très tôt, a été beaucoup plus virulent à l’encontre du chef de l’Etat qu’il a accusé, en des qualificatifs vipérins, de ne pas être à la hauteur et de se soumettre à la puissance tutélaire, la France et à son président. Seul le leader de la République des valeurs a réussi à échapper aux forces de l’ordre assez longtemps pour se faufiler avec un groupe de jeunes dans les ruelles adjacentes à Lamine Guèye.

‘‘On déplore l’arrestation des leaders de l’opposition. Nous sommes venus nous opposer à ce projet liberticide et ‘démocraticide’ qui ne vise qu’à la perpétuation du régime de Macky Sall. Après ce qui s’est passé le 23 juin 2011, le Sénégal ne mérite pas de se retrouver, en 2018, dans cette situation. Celui qui a envoyé nos troupes en Gambie, soi-disant pour y protéger la démocratie et faire vivre au Sénégal, en plein cœur de Dakar, ces affrontements, est tout à fait inadmissible. Envoyer des troupes parce que Yahya Jammeh est un dictateur et mettre Dakar en état de siège est inconcevable’’, lance l’ancien ministre de l’Energie qui appelle les Sénégalais à ‘‘s’opposer à la forfaiture’’.

Sandaga renvoie opposition et pouvoir dos-à-dos

Les pronostics pessimistes de cette journée ont obligé certains services publics à prendre les devants. La société de transport Dakar Dem Dikk a immobilisé tout son parc automobile, alors que l’Inspection d’éducation et de la formation (Ief) de Dakar-Plateau a suspendu tous les cours dans les établissements publics et privés dans la zone du centre-ville. Ce qui a l’heur de déplaire fortement au citoyen au nom duquel tout le monde dit se battre. S’il y a quelque chose qui doit inquiéter, c’est ce manque d’adhésion, ce désengagement populaire dont pouvoir et opposition semblent faire fi. Est-ce un échec par rapport à 2011 ?

‘‘Si tant est le cas, ça ne devrait pas réjouir le pouvoir plus que l’opposition. Les citoyens sont en train de vomir la politique et les politiciens de ce pays. Si une partie croit avoir défait l’autre, elle se trompe’’, commente un fonctionnaire qui requiert l’anonymat.

Dans le cœur de Dakar, les marchands n’ont certes pas déserté, mais Dakar n’a pas fonctionné. Les commerçants ont baissé leurs stores, mais se sont assis sur leurs  étals, histoire de veiller à préserver leurs biens.  Par groupes de dix à quinze, ils se sont soit moqués ou étonnés de ces éruptions de violence en filmant ces échanges sur leurs téléphones. D’autres se sont désolidarisés des manifestants qui ont anéanti leur journée ainsi que les policiers qui les gazent sans sommation et sans raison apparente. ‘’Pourquoi veulent-ils que nous nous tuons pour eux ? Et le défunt Mamadou Diop ? Et ceux qui sont morts en 2011 ? Qu’y ont-ils gagné, sinon avoir servi de tremplin a des gens qui voulaient juste arriver ?’’, s’indigne Malamine Diagne. ‘‘Ceux qui manifestent et ceux qui interdisent sont tous pareils. Ça dépend juste de quel bord du pouvoir on se situe’’, vitupère ce vendeur qui a quitté son Baol natal pour se consacrer à la vente de produits cosmétiques. A la rue Emile Badiane, les vendeurs se sont réunis en petits comités pour parer à toute éventualité. ‘‘Notre divorce est consommé avec les politiques. Nous ne sommes pas là pour soutenir quelqu’un, mais pour veiller sur notre parti : nos biens’’, affirment des vendeurs qui demandent aux manifestants de circuler.

Dans la soirée, les bérets beiges qui étaient plantés à la Rocade de la place Soweto étaient toujours en train de s’alanguir. Leurs caisses de grenades lacrymogènes toujours pas ouvertes et les barrières anti-émeute pas franchies.

Pour le plus grand bonheur des parlementaires de la majorité qui ont fait passer, sans débat, le projet de loi le plus controversé de la 13e législature.

OUSMANE LAYE DIOP

 

Section: