Publié le 9 Mar 2018 - 23:18
POLITIQUE ECONOMIQUE

Un endettement et des questions

 

Le débat autour de l’endettement du Sénégal est loin de connaitre son épilogue. La dernière émission des Euro-bonds l’a davantage exacerbé. Les divergences entre pro et anti endettement ne cessent de s’envenimer. L’économiste, enseignant à l’Ucad, Meissa Babou, exprime ses vives inquiétudes.

 

La moisson récoltée, suite à la dernière émission des Euro-bonds par l’Etat du Sénégal, est jugée ‘’exceptionnelle’’, ‘’historique’’. Plus de 1 400 milliards ! Il y a de quoi se réjouir, selon les services du ministère de l’Economie, des Finances et du Plan. Mais loin de ce faste gouvernemental, certains observateurs ne cessent de tirer la sonnette d’alarme. Où va la dette ? Pourquoi les Euro-bonds ? Les chiffres sont-ils fiables… ? Les questions fusent de partout. Certains sont inquiets. Le professeur à la faculté des Sciences économiques et de Gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, Meissa Babou, ne s’en cache pas. Il déclare : ‘’C’est vraiment très inquiétant. En vérité, le Sénégal est très endetté. Même le Fmi et la Banque mondiale l’ont reconnu. On parle de dette gérable, avec un taux de croissance important. Mais le risque de surendettement est palpable. Il est d’autant plus évident qu’il est adossé à un taux de croissance qui dépend d’éléments conjoncturels, sur des aléas climatiques qui sont en ce moment favorables. C’est donc très inquiétant, même si le gouvernement affirme le contraire.’’

Aussi, pense l’économiste, aujourd’hui, plusieurs signaux sont au rouge. Pour étayer son propos, il affirme : ‘’Nous sommes très endettés. Avec une dette intérieure très importante (1 300 milliards de francs Cfa, Ndlr), un service de la dette de plus de 800 milliards, selon les chiffres même du gouvernement, soit près de 76 milliards par mois. C’est énorme. C’est une situation très difficile que traverse le gouvernement, même s’il ne le dit pas. Le fait est que l’Etat n’est plus liquide. Il est confronté à un déficit criard de trésorerie. Il suffit de constater ses difficultés de paiement avec les écoles privées à qui l’on doit 16 milliards de francs Cfa, les concessionnaires dans le secteur du nettoiement… pour s’en convaincre.’’

Pour ces raisons, l’économiste reste dubitatif, face à l’argument selon lequel les ressources issues de l’Euro-bond serviront à financer les infrastructures. ‘’En cette période préélectorale, il faut craindre qu’une partie de cette dette soit utilisée à des fins de politique politicienne. Le gouvernement a, en effet, pris des engagements électoralistes : 30 milliards pour les femmes, plusieurs autres milliards pour les jeunes… En sus de ces engagements électoralistes qu’il faut satisfaire, il y a également le front social qu’il va falloir apaiser. A ce titre, il y a la dette due aux enseignants, soit 87 milliards de francs Cfa, la dette des concessionnaires du nettoiement, pour ne citer que ceux-là. Je crains donc qu’une bonne partie de ces ressources puisse être consacrée à ces dépenses et non aux investissements’’, alerte le professeur d’économie.

Selon lui, il y a lieu de s’inquiéter pour les générations futures qui seront confrontées à la réalité de cette dette. Mais aussi pour les prochains gouvernements qui risquent d’être rattrapés par ces engagements.

Il regrette, par ailleurs, ‘’une certaine nébulosité dans l’information financière de l’Etat. Aucun spécialiste, dit-il, ne peut, aujourd’hui, donner le taux réel de l’endettement. Ce qui est constant, c’est que le Sénégal est à un niveau d’endettement très élevé’’.

Incongruités

Par rapport aux Euro-obligations, l’expert ne manque pas de souligner un certain nombre d’incongruités. D’abord, il s’agit des taux d’intérêt qui sont, selon lui, assez élevés. Il est beaucoup plus avantageux de s’endetter auprès des institutions comme la Banque mondiale, la Bad, la Bid, notamment. ‘’Ces types de financement ne sont pas consentis à des taux concessionnels. Pour qu’on puisse parler de taux concessionnel, il faut que cela soit en deçà des 2,5 %. Aussi, il faut une longévité d’au moins 30 ans. Ce qui n’est pas le cas pour l’une des tranches de ces obligations qui ont une longévité de 10 ans’’.

Ainsi, malgré les assurances des autorités, le pessimisme reste de mise chez certains observateurs. Pour ne rien arranger, les institutions de Bretton Woods, d’habitude très complices avec les gouvernements, sont même montés au créneau pour marquer diplomatiquement leur inquiétude.

En outre, se pose, selon le spécialiste, la rentabilité de certains projets visés par ces financements. Ces derniers sont jugés coûteux et de rentabilité douteuse. C’est le cas, par exemple, de l’autoroute Ila Touba, du Train express régional, entre autres.

Mais si la situation est aussi grave comme ils le prétendent, pourquoi les bailleurs continuent de faire confiance au Sénégal ? Meissa Babou estime que cela est à mettre en rapport avec la longue tradition de stabilité politique du pays. Cela a pu transcender les régimes. Toutefois, en sus de cette stabilité, Macky Sall, estime l’enseignant, profite également des découvertes importantes de ressources naturelles. ‘’Avec tous ces avantages, n’importe quel investisseur est prêt à mettre son argent, s’il jouit d’un taux d’intérêt aussi généreux’’, précise M. Babou.

Mor AMAR

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