Publié le 11 Sep 2015 - 13:35
PROCES DE HABRE

Deux ex-ministres livrent leur part de vérité

 

Les leaders politiques Faustin Facho Balaam et Jean Bawoyeu Alingué ont témoigné hier, à la barre de la Chambre d’assises des Chambres africaines (CAE). Les deux anciens ministres de Habré entendus comme témoins de contexte ont barbouillé de noir le tableau tout blanc peint par l’expert Yakhara Gassama Diop dans son enquête de personnalité faite sur Hissein Habré.

 

Hier, pour la sixième journée du procès de Hissein Habré, deux visages de l’ex-Président tchadien ont été présentés à la barre de la Chambre d’assises des Chambres africaines extraordinaires (CAE). Premier témoin à comparaître, l’expert Yakhara Gassama Diop a présenté la face angélique de l’inculpé, dans son enquête de personnalité. Mais les ministres sous le régime de Habré, Faustin Facho Balaam et Jean Bawoyeu Alingué, qui l’ont succédé à la barre, ont présenté un Hissein Habré démoniaque. ‘’Il faut reconnaître à Habré sa capacité administrative, mais pas sa capacité politique, car il se considérait comme un petit dieu’’, a témoigné le Docteur vétérinaire Faustin Facho Balaam.

Secrétaire d’Etat sous Habré, de 1988 à 1990 à la chute du régime, il a laissé entendre que leur ancien Chef d’Etat a régné en véritable dictateur et gérait en solitaire. ‘’Le Conseil des ministres, c’était une sorte de mépris. Il ne saluait même pas ses ministres et on n’abordait pas les questions de fond, car elles étaient abordées ailleurs. C’était la dictature, car même pour quitter le gouvernement, il fallait partir sur la pointe des pieds, pour ne pas subir de représailles’’, renseigne le Tchadien exilé en France.

Nettoyage ethnique en septembre 1989

Son compatriote Jean Bawoyeu Alingué, vivant lui aussi en France, a abondé dans le même sens. Il a révélé que ‘’l’adhésion à l’UNIR (parti de Habré) était obligatoire pour tous les Tchadiens et les récalcitrants étaient accusés d’être de l’opposition’’. Et d’ajouter, suite à l’interpellation d’un des avocats : ‘’Hissein Habré peut donner l’apparence d’un patriote, mais les actes commis par ses organes : l’armée, la police et la DDS, prouvent le contraire’’, a soutenu celui qui fut la deuxième personnalité du Tchad, au moment de la chute du régime en 1990. Selon ses explications, l’ancien Chef d’Etat avait instauré une gestion rigoureuse des finances, mais la gestion de la machine politique, la DDS (Direction de la documentation et de la sécurité) demeurait une énigme. ‘’La justice existait, mais la DDS fonctionnait parallèlement. La DDS jouait son rôle avec le Président et dépendait de lui et exécutait ses ordres’’, confie l’ancien président de l’Assemblée nationale qui, toutefois, s’est voulu prudent par rapport aux exactions commises sur les ethnies hadjaray et zaghawa. Le témoin a argué qu’il était en exil en France lorsqu’elles ont commencé. Mais son compatriote Balaam a été catégorique, renseignant que le mois de septembre de l’année 1989 reste à jamais dans la mémoire du peuple tchadien, puisque ce fut un septembre noir. Car Habré a procédé à un nettoyage ethnique.

Le rôle de la Libye mis à nu

Ensuite, les deux témoins ont plongé les juges dans le contexte historique de son règne. Se définissant comme un acteur clé de l’accord de Lagos signé en 1979, après une guerre civile qui perdurait, Faustin Facho Balaam a accusé Habré d’être à l’origine de la rupture dudit accord qui suggérait la ‘’libération des prisonniers politiques, l’unification de l’armée, la mise en place d’un Gouvernement d’union pour une durée de 18 mois sanctionnée par des élections’’. En effet, s’est-il désolé, ‘’les étrangers, notamment les Français, souteneurs de Habré, ont tout gâché’’. ‘’Comme on nous taxait de communistes, il fallait nous dégager’’, accuse le secrétaire général de l’Union nationale démocratique du Tchad.

Selon ses explications, c’est ce qui les avait poussés à faire appel à Kadhafi qui se disait de gauche. Avec les armes et les hommes fournis par la Libye, le Gunt (Gouvernement national de transition) a pu repousser les troupes de Habré. Interpellé par la défense sur le choix d’un tel allié, dans la mesure où le défunt Guide libyen n’avait pas caché ses ambitions impérialistes envers le Tchad, M. Balaam de rétorquer : ‘’On n’avait pas d’autres choix, en s’alliant avec Kadhafi. Nous étions obligés de nous allier même avec le diable.’’ Mais, il s’est révélé que le guide libyen n’a pas joué franc jeu dans cette alliance. Toujours est-il que si Habré a pu reprendre le contrôle du pays, grâce au soutien des puissances étrangères, il a fini par être lâché par ces dernières, ainsi que ses alliés des groupes ethniques.

500 millions laissés dans les caisses

Ainsi, le soir du 30 novembre 1990, le Président Habré s’est exilé au Cameroun, alors que le matin, il demandait à ce que le plein pouvoir lui soit donné surtout qu’au Nord, il y avait combat. Selon Jean Bawoyeu Alingué, en fuyant, Hissein Habré a vidé les caisses de l’Etat, puisqu’il n’y a laissé que 500 millions F CFA. ‘’Il a demandé au trésorier général de signer un virement de 3,5 milliards de F CFA et a fait d’autres prélèvements au niveau de certaines institutions’’, précise Jean Bawoyeu Alingué qui poursuit son témoignage aujourd’hui. Il sera suivi par Mike Dottridge d’Amnesty international. 

FATOU SY

 

Section: