Publié le 3 Feb 2018 - 18:17
REJET DES EXCEPTIONS ET DEMANDES DE LIBERTE PROVISOIRE

Khalifa Sall et Cie perdent la bataille de la forme

 

Khalifa Sall et ses co-prévenus restent en prison et leur procès ira jusqu’au bout. Le tribunal correctionnel de Dakar a rejeté, ce vendredi, les exceptions soulevées par la défense ainsi que les demandes de liberté provisoire. Après délibéré, le président Malick Lamotte a renvoyé les débats de fond à lundi prochain, sur demande de la défense.

 

‘’Bour Yalla, nio ngi lay niaan Khalifa dieul ndamli’’ (Seigneur, nous vous prions d’accorder la victoire à Khalifa). Ce refrain, célèbre sur les gradins, lors des matchs de ‘’navétane’’, est régulièrement entonné par les partisans de Khalifa Sall, depuis le début du procès, comme pour implorer Dieu. Hier, leur vœu n’a pas été exaucé, puisque le député-maire de Dakar et ses co-prévenus ont perdu la bataille de forme. La déception et la colère se lisaient sur le visage de nombreux souteneurs vêtus de blanc pour la plupart. Ils ont quitté la salle en maudissant et en honnissant les juges de s’être opposés à la liberté provisoire de leur mentor, mais également d’avoir rejeté les exceptions soulevées par la défense.

En fait, après deux jours de délibéré, le tribunal correctionnel de Dakar a rendu sa décision vendredi matin et a opposé un niet catégorique à toutes les requêtes des avocats.

Exception d’incompétence

Par rapport à l’exception d’incompétence, le juge Malick Lamotte et ses assesseurs se disent bel et bien compétents pour juger Khalifa Sall. Car les infractions qui leur sont soumis (faux et usage de faux en écriture, détournement de deniers publics, escroquerie portant sur des deniers publics) sont de leur ressort, compte tenu des dispositions des articles 369 et 370 du Code de procédure pénale (Cpp). Le premier article dispose que ‘’les tribunaux de grande instance (Tgi) connaissent de tous les délits autres que ceux qui relèvent de la compétence des tribunaux d’instance (Ti)’’. Le second dispose : ‘’La compétence du tribunal correctionnel s’étend aux délits et contraventions qui forment, avec l’infraction déférée au tribunal, un ensemble indivisible ; elle peut aussi s’étendre aux délits et contraventions connexes au sens de l’article 196...’’

Par ailleurs, les juges estiment qu’il ne saurait y avoir de conflit de compétence, ni matériel ni temporel, entre la Cour des comptes et leur juridiction. Encore que, soutient le président, l’existence de poursuites devant la chambre financière de ladite cour ne fait pas obstruction à l’action pénale.

C’est au regard de ces motifs que les juges ont rejeté l’exception d’incompétence.

Exception préjudicielle

Pour l’exception préjudicielle, le tribunal trouve ‘’le moyen inopérant’’, étant entendu que l’article 372 du Ccp dispose : ‘’Le tribunal saisi de l’action publique est compétent pour statuer sur toutes exceptions proposées par le prévenu pour sa défense, à moins que la loi n’en dispose autrement ou que le prévenu n’excipe d’un droit réel immobilier.’’

En d’autres termes, explique le juge, même si l’examen de la question a été dévolu à une autre juridiction, cela n’enlève pas aux infractions leur caractère pénal.

Considérant que la Cc est également saisie du même litige, la défense avait plaidé la litispendance, puisqu’il est interdit à une juridiction de statuer sur une affaire qui est pendante devant une autre juridiction. Mais le tribunal correctionnel considère qu’il a y a lieu de rejeter cette exception, car ‘’jugée mal fondée’’.

Les demandes de Lp et l’offre de cautionnement rejetées

Outre les exceptions, le tribunal a rejeté les demandes de liberté provisoire formulées par les avocats des prévenus. La défense avait demandé au tribunal d’ordonner la mainlevée de Khalifa Sall, puisqu’il bénéficie de l’immunité parlementaire. Mais les magistrats ont jugé que cette mesure ne peut être ordonnée que sur la base de 127 bis du Ccp qui limite le mandat de dépôt à six mois non ouvrable. Or, constate la juridiction, cette disposition n’a pas été invoquée par les avocats de l’édile de la capitale. Il s’y ajoute qu’en dehors de cette disposition, cela ne peut intervenir que suite à une annulation de procédure. Par conséquent, la demande est jugée ‘’mal fondée’’.

Idem pour la demande de libération d’office sollicitée par les complices de Khalifa Sall, au motif que le délai du mandat de dépôt de leurs clients a expiré depuis fort longtemps. Le juge Lamotte juge l’argument non pertinent, puisque l’article 127 ne fait pas de distinction entre l’auteur principal et le complice.

Dans le souci de faire libérer ses clients, mardi dernier, la défense avait déposé une requête portant autorisation de dépôt d’un cautionnement. Les avocats du député-maire avaient, dans ce sens, proposé 12 titres portant sur des immeubles. Me Seydou Diagne précisait que leur valeur dépasse le préjudice de 1,8 milliard de francs Cfa reproché aux prévenus. Mais le tribunal n’en veut pas et juge même la requête irrecevable, parce que cette demande doit être faite devant le juge d’instruction, puisque la loi ne donne pas au tribunal le pouvoir de délivrer des ordonnances, mais plutôt des jugements.

L’autre motif de rejet se justifie par le non respect de l’article 172 du Cpp qui limite comme pouvoir uniquement sur les biens du prévenu. Or, en l’espèce, renseigne le juge, 8 des 13 immeubles offerts en garantie sont au nom de tierces personnes. Nonobstant les attestations d’engagement des propriétaires versées, le tribunal correctionnel estime que celles-ci ne peuvent valoir de base légale. Surtout que, selon l’argumentaire du tribunal, ‘’ni le juge civil ni le tribunal ne peut saisir les biens d’un tiers non concerné directement par une affaire’’.

Outre les biens de tiers, le président a relevé, dans les biens proposés, des terrains relevant du domaine de l’Etat. Or, regrette-t-il, une hypothèque ne peut pas être réalisée sur ceux-ci. En somme, le président et ses assesseurs trouvent qu’il appartenait à la défense de constituer des garanties nécessaires et suffisantes pour un cautionnement afin que les conditions de l’article 140 soient réunies.   

C’est au regard de tous ces motifs que le tribunal s’est opposé à toutes les demandes de la défense. Ce que Me Ousseynou Fall a tenté de dénoncer en martelant : ‘’Cette décision est la preuve que l’Exécutif est au début, au cœur et à la fin de cette procédure…’’

Malheureusement pour lui, il a été interrompu par le juge qui lui a coupé le micro.    

Me KHASSIMOU TOURE, AVOCAT DE LA DEFENSE

‘’Nous allons emprunter les voies de recours’’

‘’On n’a pas l’habitude de commenter les décisions de justice, mais nous en prenons acte. Il y a des voies de recours qui nous sont offertes, pour demander l’annulation d’une décision qui ne nous satisfait pas. Nous allons les emprunter. Nous sommes des professionnels et nous entendons le demeurer. La tendance que prend actuellement la procédure ne nous convainc pas. J’avais dit qu’aujourd’hui, c’est l’occasion, une bonne fois pour toutes, de réhabiliter la justice sénégalaise et de la réconcilier avec son peuple.

Il ne faut pas oublier que la justice est rendue au nom du peuple sénégalais. Donc, les justiciables doivent se sentir concernés et doivent partager les décisions qui sont rendues. Ces décisions doivent être digestes et consommables. Mais, malheureusement, aujourd’hui, notre justice, qui est une véritable demande sociale, a besoin d’être réhabilitée. La défense est dans son rôle. Nous posons des actes qui entrent dans le cadre d’une bonne administration de la justice. Je crois que lorsque tout sera fini, le peuple sénégalais sera édifié. Je crois que le peuple sénégalais, dans sa grande majorité, a une opinion dans cette affaire. Il faut toujours préférer entrer dans l’histoire que de subir des pressions, de vendanger son honneur et sa considération.’’

Me BABOUCAR CISSE, AVOCAT ETAT

‘’Le tribunal n’a fait qu’appliquer le droit’’

‘’Le tribunal n’a fait qu’appliquer le droit. Il est temps d’aborder le fond de ce dossier, parce que, de l’autre côté, on ne voulait pas aller au fond. On voulait abroger le procès. Le dossier est très clair. Il s’agit d’un dossier de flagrant délit, parce que les faits sont constants et indiscutables. Nous allons aborder le fond et montrer à l’opinion publique nationale et internationale que des malversations ont été commises par les prévenus.’’

FATOU SY

 

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