Publié le 1 Nov 2018 - 01:44
RENCONTRES DE MAME ADAMA GUEYE

Entre opportunisme et réalisme politique

 

Après son retrait de la course à la présidentielle de 2019, Maitre Mame Adama Guèye continue son périple auprès des candidats à la candidature. Sacrifice, opportunisme, réalisme… Les mots ne manquent pas pour qualifier la démarche du président de Sénégal Bu Bess. Une démarche qui fait pour le moment l’unanimité chez les opposants, obnubilés par la question des fraudes électorales.

 

Un coup de maitre ! C’en est vraiment un. Depuis quelque temps, Maitre Mame Adama Guèye est au-devant de l’actualité politique nationale. Par la même occasion, il obtient ce que la quête de parrains n’a pu lui octroyer : visibilité, reconnaissance, légitimité… En effet, en plus d’être à la une de beaucoup de parutions, à chacune de ses sorties, il acquiert la caution de ses anciens rivaux de l’opposition sur le terrain de la collecte de parrainages. Hier, c’était au tour du leader de Bokk Gis-Gis, Pape Diop, de recevoir le ‘’messie’’. A son encontre, il dit : ‘’Je dois remercier Me Mame Adama Guèye qui a pris une décision responsable. Il était candidat comme beaucoup d’autres Sénégalais. Mais face à la situation, il a préféré se retirer tout en gardant une posture qui va toujours dans le sens de l’intérêt du Sénégal. Il a pris son bâton de pèlerin et est en train de faire le tour des candidats et leaders politiques pour qu’on arrive à avoir un processus électoral fiable en direction de l’élection présidentielle’’.

L’intention est louable. Elle est effectivement louée. Du moins en public par l’ensemble des leaders visités à ce jour. En effet, avant Pape Diop, Ousmane Sonko, Moustapha Guirassy et Idrissa Seck avaient adopté la même posture. L’heure ‘’grave’’ de la situation politique est certainement pour quelque chose dans la réussite de l’initiative de l’ancien candidat à la candidature. Pape Diop justifie : ‘’Nous sommes en face d’un régime qui montre qu’il ne veut nullement aller vers des élections transparentes. Si nous regardons tout le processus électoral, on constate qu’il existe toujours des cartes d’électeur qui ne sont pas distribuées. En plus, il y a des Sénégalais qui s’étaient inscrits sur le fichier électoral et qui ne sont pas électeurs, parce qu’ils ont été écrasés du fichier suite aux législatives. D’autres ne peuvent voter, parce qu’il y a des erreurs sur leurs pièces. Tout ça, ce sont des questions importantes sur lesquelles nous devons nous mettre ensemble, mutualiser nos forces pour mener la lutte.’’

Ainsi, l’ancien concurrent devient le ‘’sage’’, le ‘’généreux’’… C’est ce qui ressort en tout cas du témoignage de Pape Diop lui-même. ‘’Je le remercie, affirme-t-il, pour cette décision sage, mais également pleine de générosité. Parce qu’il aurait pu rester chez lui, mais c’est le Sénégal qu’il met en avant. C’est pourquoi, aujourd’hui, il est là et nous avons discuté de questions d’intérêt national’’.

‘’Un dispositif pour organiser un hold-up des élections’’

Mame Adama Guèye a ainsi fait d’une pierre plusieurs coups. Il évite le camouflet avec un échec presque certain dans la collecte de parrainages, il ménage son portefeuille, il a plus de visibilité, il se présente en fédérateur et il occupe une place centrale dans l’unique question qui réunit toutes les franges de l’opposition. De fait, il aura une légitimité qu’il pourrait faire valoir et monnayer à l’avenir, surtout en cas de victoire d’un candidat de nouvelle alternance.

Avocat, ancien bâtonnier de l’Ordre des avocats du Sénégal, ancien coordonnateur du Forum civil, le président du mouvement Sénégal Bu Bess semble ainsi trouver chaussure à son pied, son cheval pour 2019. Lui qui, à la présidentielle de 2007, s’était retrouvé avec 13 700 voix, soit 0,40 % en valeur relative. Le nain politique, par la force de son sens imaginatif, de son flair et du contexte tendu de la vie publique, se retrouve comme une sorte de général à la tête d’une armée mexicaine de l’opposition.

Debout à côté du patron de Bgg, il se réjouit : ‘’Le président Pape Diop a été le premier à m’appeler, dès l’annonce de mon retrait, pour se féliciter de la démarche. L’objet de la rencontre est de venir partager avec lui un certain nombre d’inquiétudes par rapport à la conduite du processus électoral. Nous avons identifié beaucoup d’indicateurs montrant qu’il y a tout un dispositif qui a été mis en place pour organiser un hold-up des élections. Nous nous organisons pour que cette entreprise ne prospère pas.’’

La mission semble titanesque. Il s’agit de mettre en place une stratégie pour renverser le baobab logé au palais de l’avenue Roume. Depuis plusieurs mois, que de bla-bla-bla, reprochent certains aux opposants du président Sall. La nouvelle initiative est-elle simplement une de trop ? Le ‘’général’’ rétorque : ‘’Nous en sommes à la première étape. Nous sommes en train de faire une démarche opérationnelle. Il faut attendre que la structure soit en place pour savoir si nous sommes en mesure ou non de faire face à la volonté du régime de frauder.’’

Naguère terrain de prédilection de la ‘’société civile électorale’’, la veille sur la transparence du scrutin intéresse cette fois particulièrement les hommes politiques. Et ça va dans tous les sens. Avant Maitre Mame Adama Guèye, il y a eu d’autres structures qui prenaient en charge cette question de la transparence des élections. On peut en citer le Front de résistance nationale et tant d’autres. Pour Me Guèye, il n’y a point de concurrence entre les différentes initiatives, mais plutôt de complémentarité. ‘’L’initiative que nous avons déclenchée n’est pas en concurrence avec les autres. C’est une initiative complémentaire. C’est une plateforme opérationnelle de sécurisation des élections’’, se défend-il.

Une plateforme pour recenser et identifier tous les Sénégalais qui n’ont pas leur carte

Celui qui porte désormais en bandoulière cette question de transparence de la présidentielle de 2019 ne s’est pas limité à la présentation de ses ambitions. Il a également porté la réplique au ministre de l’Intérieur. Qualifiant de ‘’diversion’’ la sortie-réponse de ce dernier qui l’accusait d’aborder des sujets qu’il ne maitrise pas, il persiste et signe : ‘’Le ministre répond en parlant de processus, alors que moi je parle de faits. Il s’agit de citoyens qui ont été inscrits pendant que les inscriptions électorales étaient ouvertes et qui se retrouvent avec des cartes qui ne leur permettent pas de voter. Je n’enlève pas un iota de ce que j’ai dit. Et le président Pape Diop vient de le confirmer.’’

Cependant, pour remporter la guerre contre la majorité, l’opposition compte sur l’appui des citoyens. Pour Maitre Mame Adama Guèye, face au régime en place, il y a qu’un seul mot qui vaille : vigilance. Il précise : ‘’Je voudrais inviter les Sénégalais à être vigilants, surtout au moment de retirer leur carte. Il y a un dispositif qui est mis en place pour ne pas donner les cartes. Sur cette question, la plateforme que nous mettrons en place avec l’accord des candidats fera une prise en charge très sérieuse.’’

Mais au-delà du verbiage, l’opposition compte aller, dans les plus brefs délais, aux actions concrètes. Suite aux tête-à-tête avec les leaders, Me Guèye promet une autre réunion des plénipotentiaires de tous les candidats de l’opposition pour définir les contours de la plateforme. Pape Diop, lui, a donné son accord de principe qui sera matérialisé, dit-il, par la désignation d’un plénipotentiaire. Cette plateforme, si l’on en croit la robe noire, aura comme objectif prioritaire la maitrise de l’information en vue de contraindre le pouvoir à apporter des réponses.

‘’Il est fondamental, informe-t-il, de maitriser l’information sur cette question des cartes d’électeur qui constitue un véritable serpent de mer depuis les législatives. Tout le monde sait qu’il y a des Sénégalais qui se sont inscrits et qui n’arrivent pas à disposer de leur carte. Nous allons donc mettre en place des outils techniques et technologiques pour recenser exactement toutes les personnes qui sont dans cette situation. Une fois qu’on les aura identifiées et mises dans une base de données montrant leur identité, le ministère sera obligé de donner une réponse. C’est notre démarche prioritaire’’.

Réagissant à son tour aux déclarations du ministre de l’Intérieur qui, à l’occasion de la cérémonie officielle du grand Magal de Touba, invitait l’opposition à accepter les résultats à la prochaine présidentielle, Pape Diop souligne : ‘’Cela montre qu’il y a des résultats préfabriqués. Et on veut anticiper sur les choses, en invitant les gens à ne pas les contester. Ils veulent ainsi préparer le terrain. Le 24 février très tôt, ils veulent déclarer une victoire du président Macky Sall que tout le monde doit reconnaitre. Cela ne passera pas. On ne peut l’accepter. On se battra jusqu’au bout’’.

En attendant les évènements, Me Mame Adama Guèye demeure la personne chez qui convergent désormais toutes les volontés de transparence à la prochaine élection dans l’opposition. Son initiative, peut-être, sera pour Macky Sall ce que le M23 a été pour Abdoulaye Wade.

MAME ADAMA GUEYE

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