Publié le 26 Aug 2019 - 23:39
RETOUR SUR LE PARCOURS DU GUERILLERO

La liberté au péril de la vie !

 

Figure emblématique des luttes révolutionnaires, Amath Dansokho, mort vendredi 23 août à l’âge de 82 ans, a œuvré toute sa vie pour l’avènement d’une société plus égalitaire.

 

Comme un baobab, la chute a été progressive certes, mais fracassante. Le bruit, rapidement, a fait le tour du pays, de l’Afrique et du monde, comme une trainée de poudre. A l’image de la vie tumultueuse de celui que d’aucuns appelaient affectueusement ‘’Big Danskh’’. Un homme dont l’envergure internationale reste sous-évaluée.

En effet, Amath Dansokho a côtoyé presque tous les grands du mouvement révolutionnaire mondial : Che Guevara, Fidel Castro, Nelson Mandela, Kwame Nkrumah, Amilcar Cabral, Franz Fanon, Joe Slovo (ancien secrétaire général du Parti communiste sud-africain), Sékou Touré, Modibo Keïta, pour ne citer qu’eux.

Militant convaincu, l’ancien meneur de grève au lycée Faidherbe de Saint-Louis a su faire face à la toute-puissance de feu Léopold Sédar Senghor, premier président de la République du Sénégal. Un véritable Guérillero ! Non de plaisir, mais de devoir, dont l’un de ses plus fidèles compagnons, son secrétaire particulier Pape Mbaye, retrace avec ‘’EnQuête’’ le parcours plus qu’élogieux.

La voix étreinte, l’homme qui était sur la route de Saint-Louis, pour les besoins de l’enterrement, ne trouve pas les mots pour rendre compte du degré d’engagement de son ami intime. Mais cette anecdote qu’il rapporte est éloquente à souhait.

Un jour, alors qu’ils étaient en voiture tous les deux, Pape écoutait un tube du Bembeya Jazz intitulé ‘’Regard sur le passé’’. Lequel parle de la vie de Samory Touré. Mais pendant que lui admirait la beauté de la musique, se tournant résolument vers son acolyte pour lui annoncer combien il aimait le morceau, il s’est rendu compte que ce dernier était déjà en train de verser des larmes. C’est que derrière les belles paroles, Amath méditait surtout sur le sens même du combat de ce grand résistant africain. ‘’Imaginez Pape, lui dit-il, tout ce que cet homme était capable de faire pour la libération de son peuple. Voilà quelqu’un qui était prêt à sacrifier même son propre fils, parce qu’il lui demandait seulement d’abandonner la lutte…’’.

De la même manière, Amath Dansokho était prêt à tout pour le salut de son peuple. A l’époque, l’alternative était simple. C’était soit lutter ou s’aplatir devant le régime autoritaire de Senghor. La démocratie, au Sénégal, n’était même pas à ses balbutiements. S’allier au régime était alors la voie la plus facile, pour les jeunes intellectuels, de s’accomplir. S’opposer, une véritable corvée. Mais comme le montre l’histoire de l’humanité, à chaque fois qu’un peuple est confronté à des difficultés semblables, ‘’il s’est trouvé, parmi ses fils, qui ont décidé de prendre les armes au prix de leur vie pour la libération nationale et sociale’’.

Amath Dansokho était de ceux-là qui avaient décidé d’emprunter cette dernière voie, la plus difficile, la plus coriace, parce qu’ayant horreur de l’injustice. C’est ainsi qu’il s’est engagé au Parti africain de l’indépendance (Pai), alors même que le pays était sous domination coloniale. Dans la clandestinité, ils ont œuvré de la manière la plus féroce pour la poursuite de l’idéal libérateur. Ils l’ont fait avec la plume, le verbe, même avec des armes. Une résistance armée dont le but était de ‘’libérer le peuple et lui offrir des perspectives meilleures’’.

La résistance armée

Ainsi, pendant que d’aucuns ne cessent de fuir la mort, Dansokho l’a toujours préparée, parfois même bravée, n’ayant peur de rien. Un de ses amis proches rapporte, à cet effet, qu’Amath a toujours cru qu’il ne vivrait pas plus de 40 ans. Tellement les épreuves, sous ce règne de Senghor, étaient multiples. Mais le président d’honneur du Pit n’abandonnait jamais. Allant partout où besoin est pour renforcer ses aptitudes à la guerre.

A Bamako, chez Modibo, il est ainsi formé aux techniques de la guérilla, par le groupe de communistes africains et sénégalais qui avait pu bénéficier d’un voyage à Cuba. A Alger, il rencontre une des grandes figures du communisme, en l’occurrence Che Guevara, après l’avoir rencontré à la frontière avec la Guinée. A Conakry justement, il s’est rendu pour prendre des armes remises au Pai par Kwame Nkrumah, par l’intermédiaire de Franz Fanon. C’était pour préparer la résistance armée dont l’embryon était fixé dans le Sénégal oriental, précisément dans le Niokolo.

‘’Je dois préciser, souligne Pape Mbaye, que le foyer révolutionnaire ne concernait pas seulement le Sénégal oriental. Un autre devait avoir lieu en Casamance. Dans le Niombato et le Saloum également, il y avait un foyer. La preuve est que, dans toutes ces zones, des camarades ont été arrêtés et jugés. La plupart d’entre eux faisaient d’ailleurs partie du groupe qui a été formé à Cuba’’.

En fait, contraint à la clandestinité, les communistes du Pai n’avaient guère d’autre choix. Selon M. Mbaye, ils ne pouvaient que recourir à des formes de lutte qui pouvaient leur permettre de faire triompher la lutte populaire. Et Amath, un des gradés de l’armée de combattants, était toujours au-devant de ce front.

De Senghor à Macky, en passant par Diouf et Wade, jamais ses positions n’ont fléchi. A la fois Léviathan et Colombe, il incarnait la terreur que tout pouvoir aurait aimé avoir à ses côtés, malgré sa représentativité limitée du point de vue électoral. Cependant, des quatre présidents du Sénégal, seul l’actuel aura réussi à le maintenir comme collaborateur, jusqu’à ce que la mort les sépare. Avec l’autre libéral Abdoulaye Wade, il a fallu juste quelques mois, avant que leur alliance ne vole en éclats. Et que celui qui fut maire de Kédougou ne reprenne ce qu’il sait vraiment faire : la lutte pour la justice.

‘’L’éternel insoumis’’

En effet, après la conquête du pouvoir, en 2000, l’ancien maire de Kédougou montre son désaccord à celui qui était élu chef de l’Etat, notamment sur l’élaboration de la nouvelle Constitution. ‘’Le problème est que Amath est incontrôlable. C’est un éternel insoumis. On ne le soumet pas, on le convainc. Et Wade ne se complait pas avec ce caractère. La rupture était, dès lors, inévitable’’, argue notre interlocuteur.

Avec le socialiste Diouf, malgré de longues et âpres années d’adversité, le compagnonnage avait duré bien plus longtemps. En fait, l’homme de gauche pur et dur, au cours de son évolution politique, vers les années 90, avait fini de comprendre que des pays comme le Sénégal dont il disait : ‘’C’est des nations segmentaires, très gélatinasses. C’est des pays où il fallait dépasser les clivages gauche-droite, pouvoir-opposition, pour arriver à bâtir des consensus forts capables de nous faire décoller.’’ Parce que, estimait-il, ‘’notre problème fondamental, c’était de décoller’’.

Homme très ouvert, jovial et grand communiquant, le journaliste formé à Prague est décrit par tout le monde comme un grand patriote. A l’image des marxistes, si l’on en croit Abdoulaye Wade. Qui disait, à l’occasion de la disparition de son ami Mbaye Diack : ‘’Les marxistes sont, il est vrai, durs et rigoureux, mais ce sont de vrais patriotes dont on pouvait craindre des manifestations, mais pas des coups d’Etat.’’

C’est en ces termes, disait-il, qu’il avait convaincu Diouf d’admettre leur entrée dans son gouvernement de majorité élargie, dans les années 1990. Dans ce gouvernement socialiste comme en 2000, Big Danskh occupait le poste de ministre en charge de l’Urbanisme.  

Ce témoignage vaut particulièrement pour le disparu qui aura sacrifié famille, privilèges, honneurs, tout pour la patrie. Au péril de sa vie, le ministre d’Etat de Macky Sall a défendu la liberté, la justice et la démocratie contre les différents pouvoirs qui se sont succédé à la tête du Sénégal. De lui et de Bathily, Wade reconnaissait, toujours dans sa lettre émouvante en la mémoire de Mbaye Diack, qu’ils ont travaillé ensemble du mieux qu’ils pouvaient, pour le Sénégal, ‘’sans surtout chercher à s’enrichir’’.

‘’Il n’a jamais renié la qualité de ses relations avec Wade’’

Les témoignages convergent à ce niveau. Amath Dansokho donnait toujours sans rien attendre en retour. Seul le combat pour la justice pouvait l’éloigner ou le rapprocher des uns et des autres.  Jamais, il ne faisait de confusion entre les relations politiques qu’il pouvait avoir avec les gens et les relations personnelles. L’une des illustrations les plus parfaites, soulignent certains de ses proches, ce sont ses rapports avec Abdoulaye Wade.

Malgré l’énorme contradiction, il ne manquait jamais de revendiquer leur amitié.  ‘’Il n’a jamais renié la qualité de ses relations avec l’ancien président. Cependant, il ne partageait pas ses opinions, ni sa façon de faire. Et à chaque fois, il ne se privait pas de l’exprimer de la manière la plus forte, avec toute la rigueur qu’on lui connait, quand il s’agit d’exprimer le désaccord. Mais, au plus fort de la contradiction, il a toujours tenu à rappeler qu’il était son ami. Et cette amitié, il n’y a jamais renoncé et je pense qu’il en est de même pour Wade’’, précise son secrétaire particulier.

La prouesse de réunir autour d’une table Niasse et Tanor Dieng

Dans son combat contre ce dernier, d’ailleurs, il est parvenu à fédérer toutes les forces vives de la nation qu’il réunissait dans sa maison devenue siège de l’opposition d’alors. Il a même réussi ce que beaucoup considéraient comme impossible, c’est-à-dire arriver à faire travailler main dans la main Moustapha Niasse et feu Ousmane Tanor Dieng.

En fait, chez le défunt ministre, il existe un principe sacro-saint : quelles que soient les contradictions que vous puissiez avoir, il était capable d’entretenir des relations humaines correctes avec toi. Les contradictions sur le plan politique n’altéraient en rien ses relations avec les gens, témoigne le bras droit. Qui ajoute : ‘’Amath avait une façon particulière de faire de la politique, en ayant toujours un contrôle sur l’adversité. Il ne la cultivait jamais au-delà du raisonnable. Il ne connaissait pas l’animosité. Voilà pourquoi il parvenait à réunir les gens.’’

Cependant, dans son rôle de gardien du temple qu’il a failli mener avec perfection, en 2012, il y a tout de même un bémol qui lui était resté en travers de la gorge. Il s’agit de l’éclatement de Benno Siggil Senegaal (Bss) qui a été favorable à son futur allié Macky Sall.

En effet, nous indique-t-on, de par sa culture et sa posture politique, l’homme de gauche n’a pu concevoir que des gens, pour des problèmes d’ego, n’aient pu arriver à comprendre ce qu’il faut faire pour la nation. ‘’Il avait tout mis en œuvre pour que Bss survive. De guerre lasse, il s’est résigné et a fini par comprendre que les acteurs avec qui il avait affaire n’étaient pas dans la même dynamique’’, rappelle son secrétaire.

Revenant sur la création du Parti de l’indépendance et du travail (Pit) créé des flancs du Pai, en 1981, le confident explique qu’il faudrait remonter à 1976, pour en comprendre l’origine. A l’époque, Senghor voulait instaurer un multipartisme limité à quatre courants. Il avait alors contacté Majmouth Diop qui était déjà suspendu pour lui proposer de reconnaitre le Pai. ‘’Maj avait accepté sans consulter le parti. Dès la reconnaissance, le Pai authentique a sorti une déclaration pour dénommer le Pai de Maj le Pai/Rbs (Pai/Rénovation béni de Senghor) et a appelé tous les camarades à renforcer la clandestinité’’, rappelle-t-il.

La guerre fratricide sera ainsi entretenue jusqu’en 1981, avec l’avènement du multipartisme intégral. Dansokho et Cie étaient contraints à changer de nom pour être reconnus.

L’époux de Babette, père d’Alcali, Elsa et Alice, a connu la prison, l’exil pendant plusieurs années, à Bamako, à Alger et dans le lointain Prague, a vécu toutes sortes de brimades, mais en bon combattant, il n’a jamais renoncé. Toute sa vie, il aura lutté pour une société où les inégalités seraient supprimées. Raison pour laquelle il n’a jamais voulu entendre parler du statut de chef de l’opposition. Il disait : ‘’Moi, je ne suis le chef de personne. Personne ne peut être mon chef.’’

MOR AMAR

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