Publié le 15 Jan 2014 - 19:08
SOLY CISSÉ

 L'autre géant, en paradoxe et en rêve...

 

Tête d’affiche de l’exposition ''Univers-Universe'' qui veut retracer l’histoire du Big-Bang à travers les salles du Musée Théodore Monod (ex-IFAN), Soly Cissé est un artiste sénégalais dont la notoriété et le succès commercial dépassent de loin nos frontières. Successeur putatif du ''géant'' Ousmane Sow, il se définit, modestement, comme libre et sans limites. Pour lui, son inspiration aux accents métaphysiques découle du paradoxe qu’est la vie, vue à travers les yeux de l'Homme qu'il compare à un univers.

 

Soly Cissé, 44 ans, est un artiste comme nul autre dans le monde des Arts plastiques au Sénégal. Pourtant (et ce n’est là que le début timide d’une longue série de paradoxes le concernant), il est à la base un pur produit du système.

Sorti major, en 1996, de sa promotion à l’École nationale des arts (ENA) de Dakar, le jeune homme s’expatrie durant quelques mois. Direction, Bruxelles où il suit une formation de 3 mois après avoir remporté un concours organisé par l’Institut français de Dakar, alors CCF. Ne tardant pas en Europe, il revient au pays pour organiser une première exposition vite suivie par de nombreuses autres à Dakar d’abord, puis à Ouagadougou, Sao Paulo, La Havane ou, plus récemment, Ottawa, au Canada

Si ses sculptures, tableaux et installations sont de haute facture et très bien reconnues au niveau local et international, Soly Cissé dit ne pas pour autant oublier ses débuts où ses crayons, l’acrylique et les planches de radiographie de son père étaient ses médiums de prédilection.

''Quand j’étais jeune, j’étais dans l’univers du surf. C’est là où j’ai commencé à m’intéresser au travail graphique : je décorais des planches, des t-shirts et shorts d’amis en plus de faire dans la bande dessinée...'', raconte l'artiste. ''À cette époque, j’étais encore dans une phase de reproduction et je ne me servais que de crayons et acryliques.

La peinture industrielle, je ne l’ai connue qu’au moment où j’ai commencé à prendre les planches de radiographie que mon père ramenait du travail comme support… C’est ce qui explique que je travaille encore aujourd’hui sur des supports dont la préparation est noire. Ces clichés m’ont beaucoup influencé dans mon travail d’artiste'', relate-t-il de plus belle, un brin nostalgique.

Bien loin de ses débuts d’autodidacte, l'artiste s’exprime aujourd’hui sur de nombreux supports, souvent de large dimension… Ses toiles de 2,50 m sur 2,50 m, ses installations grandeur nature, ses immenses sculptures d’homme ou ses planches de surf réinventées de pigments en sont un témoignage éloquent (''Inondations'', ''Little Museum'', ''Ghost Boats'' etc.).

La démesure artistique, un moyen d’exprimer sa liberté

''J’ai envie de faire plus que beaucoup de gens en matière de dimension : il ne faut pas que ce soit un blocage. Pour moi un artiste ne doit pas être dépendant de la demande. Un artiste doit être libre, ne pas se laisser emprisonner par des commandes ou par ceux qui limitent notre travail dans un cadre qui ne lui correspond plus'', plaide Soly Cissé. Il se rebelle.

''Je ne veux pas accepter ce genre de contraintes : je veux être libre et même s’il s’agit de faire des œuvres qui ne sont pas destinées à rester in muros. L’hors-norme, l’énorme et l’immense sont des concepts que j’adore. J’adore me dépasser et sortir du cadre et aller vers des surfaces plus audacieuses, qui me font rêver et aller au-delà des attentes''.

Rêver, pour Soly Cissé, est donc un besoin vital tout autant qu’une revendication artistique. ''Dans mon univers à moi, imaginaire, l’homme n’existe pas : il n’est qu’un observateur du rêve. En quelque sorte, il est le maître de la pensée qui ne se confond pas avec Dieu bien sûr. Il est très petit. Ce qui me soulage, c’est de peindre, à mon réveil, et de traduire ce rêve en réalité''.

Le rêve est une façon non seulement d'exprimer ce qu’il y a en lui, mais de fixer son art. Ce dernier, intrinsèquement onirique, peut se révéler sous des formes diverses dont la plus célèbre est un travail autour d’une sorte de bestiaire mythologique. Lesdites statues, souvent en fer, sont en grandeur nature et semblent jaillir d’un monde mystique dont le souvenir se perd dans les méandres d’un âge perdu.

''Ma propre mythologie''

''Je me suis mis à travailler sur ma propre mythologie. C’est-à-dire des personnages hybrides, complètement issus de mon imaginaire et vivant dans un monde assez fou. J’ai toujours été un grand rêveur… Pour moi, il n’y a pas de frontières au rêve. C’est dans ce délire là que je ressens ma liberté d’être un homme qui fait ce qu’il a envie de faire par rapport à sa sensibilité. J’ai commencé la sculpture sur métal il y a trois ans. Au début, c’était des sculptures de petites dimensions mais j’ai vite été poussé vers le format grandeur nature'', explique-t-il.

D’abord en deux dimensions, c’est-à-dire couchés sur canevas et papier, les ''monstres'' de Soly ont vite fait d’envahir une dimension plus concrète par souci de pérennité. ''Ce souci, c’est non pas parce que je veux qu’on se rappelle forcément de moi, mais je pense que l’Art a besoin d’être conservé. Jalousement même''.

Pérenniser, cela a un sens pour Soly Cissé. C'est ''constituer une résistance, une forme d’effort de conservation qui est mis à jour''. Une préoccupation omniprésente dans son art. Ce qui ne veut pas pour autant dire qu'il se complairait dans la rigidité. Au contraire, le liquide, le vivant, le changeant reste un des thèmes piliers de son esthétique, comme en témoigne une fois encore ses nombreuses expositions autour de l’eau.

''La science, une part de l'art''

Mais l’artiste, éternel paradoxe, confesse également tenir à ce que le monde cartésien et tout ce qui symbolise le règne du concret et de l’ordonné apparaisse dans ses œuvres. Explications : ''mon travail a des éléments de base, comme prétexte, qui sont les formes représentées mais il y a un code quelque part : c’est montrer que la science est également une part de l’art.

C’est ce que je veux dire dans mon travail. J’utilise des suites de nombres dans mon travail parce que je veux qu’il y ait des éléments qui marquent notre époque, des éléments très forts qui représentent le monde dans lequel nous vivons et je pense que les chiffres peuvent être ce symbole''.

Toutefois, ce contrebalancement assumé de l’organique par le cartésien n’est pas pour autant fortuit, note Soly Cissé. ''Ces codes sont choisis au hasard. Pour moi c’est un peu comme un réflexe, juste une signature ou une empreinte que je mets souvent à des endroits très stratégiques de mes œuvres, pour détourner, délocaliser ou désaxer le point focal d’une toile, par exemple''.

Un conseil : ''il ne faut pas que le regard soit figé sur un point de la toile, aussi important ou attractif qu’il soit. J’essaye de dévier le regard des gens»'', s’explique l’artiste.

Une contradiction inhérente à l’art qui, pour lui, doit absolument se faire sentir sous peine d’ôter à l’artiste sa motivation pour travailler. Cette réflexion, ce questionnement autour de la contradiction est ainsi, chez Soly Cissé, un élément à la fois fondamental et illimité.

''Univers-Universe''

Artiste de l’infini, donc, Soly Cissé, revient en 2014 avec une exposition inédite, en ligne droite du cheminement artistique qu’il a suivi jusqu’ici. Baptisée '''Univers-Universe'', l’événement retrace visuellement l’histoire du Big-Bang mais, encore une fois, le sens profond est moins apparent.

''Avec Univers-Universe, je parle un peu de ça : je m’interroge sur l’origine de l’humanité. Adam et Eve, l’Arche de Noé et tout ça… J’interroge l’Homme. Je veux comprendre qui il est, d’où il vient (car) l’Homme est en lui-même un univers en quelque sorte : on trouve tout en lui''. Éléphantesque, ce projet qui se déroulera du 25 mars au 25 avril 2014 n’est pourtant qu’une étape de plus pour cet artiste aux ambitions stellaires :

''je tends vers des projets très ambitieux, immenses : exploser dans des grands musées, faire des expositions solo et avoir des espaces à moi tout seul où je pourrais exploser. De la peinture à l’installation et/ou à la performance. J'ai vraiment besoin d'avoir carte blanche. C’est ce genre de projets que je pense porteurs de carrière pour l’image et l’avenir de l’artiste'', conclu-t-il.

SOPHIANE BENGELOUN

 

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