Publié le 24 Mar 2014 - 16:24
AFRIQUE / MONDE

L'Ukraine accuse la Russie de «déclaration de guerre», les Occidentaux indignés

 

A Kiev, environ 50 000 personnes se sont rassemblées dimanche en milieu de journée sur le Maïdan, la place de l'Indépendance. «Nous ne nous rendrons pas !» ont-ils crié à l'adresse de la Russie.

 

Kiev — L’Ukraine s’est déclarée dimanche «au bord de la catastrophe» à la suite de la«déclaration de guerre» de la Russie et semblait perdre rapidement le contrôle de la Crimée, alors que l’Occident cherchait une issue à l’un des plus graves conflits avec Moscou depuis la guerre froide.

«Si le président [russe Vladimir] Poutine veut être le président qui a commencé une guerre entre deux pays voisins et amis, il est tout près d’atteindre son objectif. Nous sommes au bord de la catastrophe», a lancé dimanche le premier ministre Arseni Iatseniouk à la suite de la menace choc de la Russie d’intervenir militairement sur le territoire de cette ancienne république soviétique.

«C’est l’alerte rouge. Ce n’est pas une menace, c’est en fait une déclaration de guerre à mon pays», a-t-il ajouté, s’exprimant en anglais, comme pour mieux se faire entendre de la communauté internationale.

Le président par intérim, Olexandre Tourtchinov, a de son côté répété dimanche que Kiev espérait parvenir à une solution «pacifique» à la crise. Mais un autre haut responsable a parallèlement annoncé la mobilisation des réservistes ukrainiens afin d’assurer «la sécurité et l’intégrité du territoire».

A Kiev, environ 50 000 personnes se sont rassemblées dimanche sur le Maïdan, la place de l’Indépendance. «Nous ne nous rendrons pas!», ont-ils scandé à l’adresse de la Russie. Certains portaient des pancartes proclamant : «Poutine, bas les pattes de l’Ukraine!»

«Nous sommes prêts à défendre l’Ukraine les armes à la main», a déclaré un d’eux, Myroslav Storojenko, 27 ans, un homme d’affaires de la région de Kiev.

L’ancien président géorgien pro-occidental, Mikheïl Saakachvili, a harangué la foule depuis le podium : «Poutine est intervenu chez vous, ce n’est pas un signe de force, mais un signe d’agonie. Il n’y a pas de trouillards ici!»

La tension monte

Mais la tension semblait monter dimanche en Crimée entre les deux camps, même si aucun affrontement n’a été rapporté dans cette péninsule russophone du sud de l’Ukraine qui abrite la flotte russe de la mer Noire.

Dimanche soir, une forte explosion a été entendue dans toute la ville de Simféropol, la capitale de Crimée, ont rapporté des journalistes de l’AFP. Il n’a pas été immédiatement possible de déterminer l’origine de cette explosion.

La base militaire de Perevalne, qui abrite une unité des gardes-côtes ukrainiens, à 20 kilomètres de Simféropol, la capitale, a été cernée par des centaines d’hommes armés de fusils automatiques, a constaté l’AFP. Selon le ministère ukrainien de la Défense, qui a estimé leur nombre à un millier, les assaillants voulaient contraindre les gardes-côtes à rendre leurs armes.

Plusieurs sites stratégiques de la péninsule, bases militaires, aéroports ou bâtiments officiels ont fait l’objet de blocages de ce type par des hommes en armes, dont l’uniforme ne porte aucun signe distinctif mais que tous les observateurs assimilent à des soldats russes, depuis deux jours.

Coup dur pour les autorités de Kiev, l’amiral Denis Berezovski, commandant en chef de la marine ukrainienne, nommé il y a quelques jours par le président par intérim Tourtchinov, a annoncé dimanche qu’il prêtait allégeance aux autorités locales pro-russes de Crimée.

Le premier ministre pro-russe de Crimée, Serguiï Axionov, que Kiev considère comme illégitime, a salué un «événement historique» et souligné que l’amiral Berezovski acceptait ainsi de se placer «sous les ordres des autorités légitimes de la péninsule».

Ailleurs, des manifestations pro-Ukraine rassemblant entre 1000 et 10 000 personnes se sont déroulées dimanche dans les villes de Kharkiv, Odessa, Dnipropetrovsk et Zaporijia, selon les médias ukrainiens.

Tollé international

L’annonce de Moscou samedi, après avoir initialement semblé prendre de court les Occidentaux, a provoqué un tollé dans le monde.

Principale menace concrète jusqu’à présent, les États-Unis ont averti la Russie qu’elle risquait d’être exclue du G8, dont le prochain sommet doit avoir lieu en juin à Sotchi, la ville des récents JO d’hiver qui ont servi de vitrine à Vladimir Poutine.

Le secrétaire d’État John Kerry, qui avait fustigé samedi «l’invasion et l’occupation» de l’Ukraine par la Russie, est revenu à la charge dimanche.

Vladimir Poutine «pourrait ne pas avoir de [sommet du] G8 à Sotchi, il pourrait même ne pas rester au sein du G8 si cela continue», a-t-il dit. «Au XXIe siècle, vous ne vous comportez tout simplement pas comme au XIXe siècle en envahissant un autre pays», s’est-il insurgé.

Le Département d’État a annoncé sa venue mardi à Kiev pour réaffirmer le «soutien fort des États-Unis à la souveraineté, l’indépendance et l’intégrité territoriale de l’Ukraine».

L’Otan a, elle, appelé Moscou et Kiev à rechercher une «solution pacifique» à la crise à travers le «dialogue» et le déploiement d’observateurs internationaux», selon son secrétaire général, Anders Fogh Rasmussen.

Ce dernier avait auparavant jugé que l’attitude de la Russie en Ukraine «menace la paix et la sécurité en Europe». «Ce que fait la Russie en Ukraine viole les principes de la Charte des Nations unies. Cela menace la paix et la sécurité en Europe.»

Le ministre britannique des Affaires étrangères, William Hague, et son homologue grec, Evangelos Venizelos, dont le pays assure la présidence tournante de l’UE, sont arrivés dimanche à Kiev.

Les États-Unis avaient exigé samedi de la Russie qu’elle replie ses forces déployées en Crimée, faute de quoi elle s’exposerait à un isolement international et à un impact «profond» sur ses relations avec Washington.

«La Russie est traditionnellement notre amie. Nous souhaitons d’un ami traditionnel autre chose qu’un bruit de bottes», a lancé de son côté dimanche le chef de la diplomatie française, Laurent Fabius, qui a appelé à une «médiation» dans les meilleurs délais.

Pour le ministre allemand des Affaires étrangères, Frank-Walter Steinmeier, «nous sommes sur la voie très périlleuse qui conduit à une aggravation de la tension. Une inversion est encore possible. Une nouvelle division de l’Europe peut encore être évitée.»

Poutine parle à Merkel

Dans des conversations téléphoniques avec la chancelière allemande Angela Merkel Vladimir Poutine a assuré dimanche que la réponse de la Russie à «la menace constante d’actes violents de la part des forces ultranationalistes [...] était totalement adaptée». Il a néanmoins accepté la création d’un «groupe de contact» pour entamer «un dialogue politique» sur l’Ukraine.

Les experts estiment que la crise ukrainienne représente la plus grave crise entre l’Occident et la Russie depuis la chute de l’URSS en 1991.

«Les répercussions sur les relations entre la Russie et l’Occident seront profondes et durables, bien pires qu’après la guerre russo-géorgienne» de 2008, ont estimé les analystes Eugene Rumer et Andrew Weiss de la fondation Carnegie. «Cela rappelle 1968, pas 2008», soulignent-ils en allusion à la répression du Printemps de Prague par l’URSS.

La Russie a aussi lancé une guerre médiatique, les médias publics russes et les autorités appelant à l’unité nationale contre «les fascistes qui ont pris le pouvoir à Kiev».

Les agences de presse russes ont diffusé dimanche des informations selon lesquelles des militaires ukrainiens de Crimée désertaient en masse, délaissant leurs unités qui passent aux mains de forces d’autodéfense pro-russes assurant l’ordre dans la région. Ces informations vagues et imprécises ont été démenties par le ministère ukrainien de la Défense.

Par Amélie Herenstein

 

 

 

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