Publié le 10 Sep 2015 - 22:00
AVIS DU GROUPE DE TRAVAIL DES NATIONS UNIES

Les avocats de l’Etat obtiennent le réexamen du dossier

 

Les choses semblent se corser irrémédiablement pour le fils de l’ancien président, Karim Wade. Le front international ouvert pour sa libération est une perspective qui se réduit, après l’entrevue des avocats de l’Etat avec le Groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire. Cette structure promet de reconsidérer son avis.

 

Après deux manches victorieuses au Sénégal, les avocats de l’Etat se sont attaqués à la dernière perspective qui s’offrait à Karim Wade d’invalider l’arrêt de la CREI. Les avocats Mes Moussa Félix Sow, Yérim Thiam, Samba Bitèye et Bassirou Ngom ont fait face à la presse hier. Après avoir été malmenés par une campagne internationale active de la défense, basée sur l’avis du Groupe de travail des Nations unies, la contre-attaque de ces conseils de la partie civile a permis d’obtenir un réexamen de la décision. ‘‘Le Groupe va réexaminer le dossier du Sénégal. On va déposer des pièces lui permettant de mieux comprendre ce qui s’est passé. Nous ne pouvons rien dire pour le moment, mais ils nous ont promis de réexaminer ce dossier et ont exprimé leur gêne par rapport à certaines déclarations’’, a déclaré Me Moussa Félix Sow, avant que Me Yérim Thiam ne renchérisse : ‘‘Nous sommes allés leur dire notre façon de penser. Le président était extrêmement gêné. Le secrétaire était extrêmement gêné’’, a-t-il ajouté.

Les avocats de la partie civile ont craché du feu hier sur les manquements de ce groupe et sur ce qu’ils qualifient de tentative de manipulation. Ils ont estimé que ce démembrement onusien a violé les règles de procédure de ses propres méthodes de travail, en donnant son avis en avril dernier. Me Sow et ses confrères ne manquaient guère d’arguments, pour tenter de ruiner les derniers espoirs que pourraient offrir ce front international dans l’affaire Karim Wade.

D’abord, ‘‘les violations par le groupe de ses propres règles de fonctionnement’’. Les avocats de l’Etat disent nourrir une suspicion légitime qui met en doute  l’intégrité de l’avis, à cause d’un conflit d’intérêt flagrant. En cause, ce  membre du Groupe qui n’aurait pas du participer au délibéré, selon eux. ‘‘Le 15 avril, avant que l’avis ne soit rendu (29 avril), M. Adjovi, qui est vice-président, a participé à un panel à Paris pour parler de détention arbitraire de Karim Wade avec quelques  membres du Pds. Il était invité au niveau du barreau de Paris, dont le bâtonnier Me Olivier Sur est l’avocat de Karim Meissa Wade. Plus grave, le 31 août à Genève, il a fait une interview à la presse (La Tribune) pour prendre position sur l’affaire Karim, malgré son obligation de réserve’’, dénonce Me Sow. Ceci en violation du point 5 du Groupe qui stipule : ‘‘lorsque le cas est examiné ou la visite sur place concerne un pays dont l’un des membres du Groupe de travail est ressortissant, ou dans toute autre situation où il peut y avoir un conflit d’intérêts ; le membre concerné ne peut pas participer aux délibérations sur le cas, à la visite ou à l’établissement du rapport sur la visite’’, poursuit-il, indiquant que M. Adjovi est de même nationalité béninoise que Pierre Agbogba, coprévenu de Karim Wade dans cette affaire.

Incohérences

L’avis du groupe de travail sur la détention arbitraire a fait l’objet de beaucoup de manipulations et d’intoxications, estime Me Sow.  ‘‘Le Groupe aurait dû ne pas s’interférer. Il tient son mandat de la Commission des droits de l’Homme devenu le Conseil des droits de l’Homme. Le Conseil ne peut examiner aucune réclamation, si le plaignant n’a pas épuisé toutes les voies de recours. Malgré cela, ils ont estimé devoir recevoir la plainte de Karim Wade’’, dénonce-t-il. Mais ce sont les questionnements de Me Samba Bitèye qui ont renvoyé l’avis du Groupe à ses propres contradictions.

Il estime que la posture de ce dernier tend à confirmer qu’il n’y a pas eu détention arbitraire. ‘‘Comment pourra-t-il expliquer devant ses mandants, qu’ayant reçu et rejeté la réponse de l’Etat du Sénégal, depuis le 26 août 2014, il a attendu huit mois pour rendre son avis ? Il aurait pu rendre un avis, dès le 27 août, puisqu’il n’a travaillé que sur la base de la requête de Karim Wade. Si la détention était arbitraire, il serait complice à coup sûr du gouvernement du Sénégal. Pourquoi maintenir Karim huit mois en prison sur une détention qu’il sait arbitraire ? Le Groupe a mis plus de temps pour rendre un avis que la CREI pour rendre une décision’’, souligne-t-il.

Quant à la réponse tardive de l’Etat du Sénégal, les avocats disent que le groupe n’a pas accusé réception du dossier. Pour eux, les délais ne sont pas stricts. ‘‘Devant les Nations unies, il n’y a aucune convention qui prévoit la computation des délais. Donc, il n’y a pas de base référentielle pour la fixation des délais’’, déclare Me Sow, avant que Me Thiam ne pose la question de savoir : ‘‘Pourquoi ces précipitations, surtout qu’à la date du 26 août (2014), le groupe est resté huit mois pour rendre sa décision ?’’ En dehors de ces irrégularités, d’autres ont été soulevées, à savoir la violation de la règle du contradictoire et du principe de l’égalité des armes. Les avocats s’en sont également pris à l’avis du groupe sur l’inégalité de traitement concernant la liberté provisoire non accordée à Karim Wade. Ils ont expliqué que tel n’est pas le cas, puisque ‘‘Mamadou Pouye garde toujours prison et les bénéficiaires (Ndlr : Bibo Bourgi, Alioune Samba Diassé) l’ont été pour des raisons médicales’’, déclare Me Sow.

‘‘L’Etat du Sénégal ne rasera pas les murs’’

Toutes choses qui font dire à Me Yérim Thiam que ‘‘juridiquement, l’avis en tant que tel n’a aucune valeur au Sénégal. On a essayé de dire que c’est une décision qui devait s’imposer à l’Etat du Sénégal. Ce sont des paroles en l’air. L’avis ne porte pas sur la situation actuelle, car elle remonte à juillet 2014’’, défend l’avocat. Quant à leur décision tardive de rejoindre le terrain extérieur, les conseils ont soulevé l’importance pour le Sénégal d’honorer son image sur le plan du respect des droits de l’Homme. ‘‘On s’est rendu à Genève pour une raison très simple. L’Etat du Sénégal est respectueux des droits de l’Homme. On ne peut pas accepter que ceux qui ont pris notre argent l’utilisent à l’étranger contre le Sénégal. C’est de son honneur d’aller dire aux institutions de l’ONU que nous respectons les droits de l’Homme. L’Etat du Sénégal ne rasera pas les murs’’, dit-il.

En avril dernier, le groupe des Nations unies sur la détention arbitraire avait jugé la détention de Karim Wade illégale. Évoquant le non-respect des délais de procédure (près de 18 mois au lieu de 9) ; et la différence de traitement entre prévenus, l’avis du groupe de travail  n’avait pas pris en compte les réponses de l’Etat du Sénégal, en déclarant la détention de Karim Wade arbitraire.  Après l’arrêt de la CREI condamnant Karim Wade à 6 ans de prison et 138 milliards d’amende, et la confirmation par la Cour suprême ; l’avis du groupe de travail des Nations unies sur la détention arbitraire semblait la seule option fiable à laquelle pouvait se cramponner la défense. La promesse de réexamen de ce dossier arraché par les avocats de l’Etat change la donne.

OUSMANE LAYE DIOP

 

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