Publié le 10 Aug 2015 - 20:20
COLONEL BAIDY BA (DIRECTEUR DES EAUX ET FORETS)

‘’Ali Haidar a tout faux’’

 

Les récentes déclarations de l’ancien ministre de l’Environnement Haidar Ali, relatives au trafic de bois dans les régions sud du pays, n’ont pas plu au directeur des Eaux et Forêts, des Chasses et de la Conservation des Sols. Ainsi, pour le colonel Baidy Ba, Ali Haidar à tout faux ‘’puisqu’il ne fait pas la différence entre un tronc, une bille ou un billon’’. Dès lors, ‘’les chiffres qu’il avance sont absurdes et chimériques’’. Aussi, dans cet entretien accordé à EnQuête, le directeur des Eaux et Forêts revient sur la décision prise par le chef de l’Etat d’ordonner la coupe de bois, ainsi que sur certains dossiers brûlants de son département comme l’élaboration d’un nouveau code forestier.

 

L’ancien ministre de l’Environnement Ali Haidar a déclaré récemment  avoir saisi 20 000 troncs d’arbres exploités frauduleusement. Comment cela est-il possible ?

Je pense qu’il faut éviter de faire certains amalgames. En tant qu’ancien ministre de l’Environnement, M. Haidar est bien placé pour savoir que  l’exploitation forestière est une activité réglementée au Sénégal. En effet, chaque année, un arrêté ministériel en fixe les modalités pour l’ensemble des produits contingentés (charbon de bois, bois d’œuvre, pirogues, panneaux de crinting etc.). C’est le même arrêté qui définit les catégories de bois et les acteurs impliqués dans l’exploitation. C’est que l’exploitation du bois d’œuvre est réservée aux scieries agréées et aux menuisiers affiliés aux Chambres des métiers et celle du bois d’artisanat aux organismes d’exploitants forestiers agréés. La question est de savoir d’une part : est-ce que le bois est coupé frauduleusement ? et d’autre part, de se demander si l’évaluation faite de la quantité de bois est pertinente.

Justement, est-ce que le bois est coupé frauduleusement comme le prétend Monsieur Haidar ?

 Il faut préciser d’abord que pour ce qui est des stocks de bois, les exploitants disposent de permis de coupe valables deux mois pour aller couper le bois d’artisanat, le circuler vers les zones de consommation ou le déposer dans des zones autorisées par le chef de service régional des Eaux et Forêts. Dans le cas d’espèce, le bois exploité régulièrement a été stocké dans des sites accessibles pour les camions durant l’hivernage. Donc rien ne prouve que le bois soit exploité frauduleusement. Pour ce qui est de la quantité de bois, le bois d’artisanat est débité en des billons ne dépassant pas 1,5m. Cela veut dire que pour un arbre, la bille, la surbille, les branches sont débitées et il faudrait en moyenne 2 à 6 troncs (arbres), selon la taille, pour remplir un camion de 60 stères.

Donc 20 000 troncs, autrement dit 20 000 arbres, correspondent à une quantité de billons pouvant remplir environ 4 000 à 5 000 camions de 60 stères soit l'équivalent de 240 000 à 300 000 stères. Ce sont des chiffres chimériques qui dépassent l’entendement. Cela est faux ! De toute façon, il est impensable, absurde, inadmissible que le service forestier cautionne cela. Cela se comprend puisqu’il ne fait pas la différence entre un tronc, une bille ou un billon...Et c’est dommage. C’est Ternir l’image de son pays sur la scène internationale. Ce n’est pas bien. Il ne faudrait pas confondre l'exploitation du bois à usage artisanal et l'exploitation frauduleuse du bois en direction des pays limitrophes alors que le bois ciblé était stocké dans des carrières accessibles aux camions ou sur le bord de la route.

L’ancien ministre de l’Environnement a aussi révélé que des compagnies chinoises installées en Gambie avaient commandé plus de 7 000 tonnes de troncs d’arbres. Qu’en pensez-vous ? 

Nous ne cessons de nous battre contre le trafic international de bois. Mais il faut reconnaître que c’est un combat difficile. Car le mode opératoire mis en place par les commanditaires est simple. Les Gambiens se mettent le long de la frontière pour attendre la ‘’livraison’’  des troncs coupés au Sénégal et transportés sur des charrettes sur de petites distances. Un billon est revendu à 40 000 F CFA en Gambie et avec 10 billons, on vous remet une moto Jakarta. C’est cette incitation qui pousse certains villageois à s’investir dans cette activité.

 Est-ce que ce n’est pas la raison pour laquelle le président de le République a ordonné l’arrêt de la coupe du bois ?

En tant que haut fonctionnaire de l’Etat, vous conviendrez avec moi que je ne puisse pas commenter les instructions du chef de l’Etat. Tous les forestiers ont mal et sont peinés devant l’ampleur de ce phénomène. Nous avons choisi d’embrasser la carrière de forestier et c’est notre amour pour la nature qui nous a tous motivés puisque nous avions d’autres choix dans les écoles de formation. Aujourd’hui, c’est un sentiment de soulagement et d’espoir qui souffle au sein des forestiers car c’est la première fois qu’un chef d’Etat met le focus sur la Direction des Eaux et Forêts et érige en priorité la gestion durable des ressources naturelles, en particulier les forêts.

Les récentes instructions données aux forces de défense et de sécurité (Armée, Gendarmerie, Eaux et Forêts, Police, Douane) pour intensifier la lutte contre la coupe illicite de bois le long de la frontière avec la Gambie en disent long. En plus de cela, le chef de l’Etat a donné des instructions au ministre de l’Economie et des Finances de préparer un plan quinquennal de recrutement de 50 agents des eaux et forêts par an et d’équipement du Service. D’ailleurs un recrutement spécial de 400 agents vient d’être lancé pour soulager, outre le service forestier, les Parcs Nationaux et les Aires Marines Protégées. Ces mesures visent à renforcer la lutte contre la coupe illicite de bois.

Il ressort de certains rapports que les forêts du sud, notamment celles de Bounkiling, sont totalement dévastées. Comment en est-on arrivé à une telle situation ?

Nous n’avons pas encore eu connaissance des rapports dont vous faites allusion. Il faut toutefois reconnaître que les forêts du sud qui constituent aujourd’hui les principales  réserves de biodiversités du Sénégal rencontrent quelques difficultés liées aux aléas climatiques et à l’exploitation clandestine. La situation transfrontalière de ces massifs complique un peu la surveillance mais d’importants efforts sont en cours d’exécution pour contrôler la situation.

Le président de la République parle de complicité dans ce trafic. Qu’en pensez-vous ?

Effectivement, nous déplorons cette complicité car ce trafic au niveau de la frontière se fait avec l’aide de certaines populations. C’est pourquoi nous n’avons pas cessé de sensibiliser nos compatriotes sur la nécessité de sauvegarder le dernier bastion forestier de notre pays. D’ailleurs durant les deux CRD spéciaux présidés par le ministre des Forces Armées et celui de l’Environnement et du Développement durable, nous avons saisi l’occasion d’associer les élus et toutes les organisations des populations à la base dans cette lutte contre ce trafic. De plus, le service forestier, à chaque fois que de besoin, a durement sanctionné les délinquants comme en atteste le contentieux dans les régions. Par exemple, à Kolda, depuis le début de l’année, 130 procès-verbaux  concernant l’exploitation de bois de vène le long de la frontière ont été dressés. Il s’y ajoute que 255 charrettes, 2 véhicules immatriculés en Gambie, 6 motos, 17 vélos, 3 tronçonneuses et 5 scies passe-partout ont été saisis et confisqués.  C’est dire qu’un sérieux coup est porté à ce trafic de bois avec l’appui des forces de défenses et de sécurité.

 Il n’empêche qu’exploitants forestiers, élus locaux, gardes forestiers et populations autochtones se rejettent la responsabilité dans l’abattage des arbres. Quel est la part de responsabilité des uns et des autres dans le trafic de bois ?

Les malfaiteurs profitent toujours, dans des zones de conflit, pour s’adonner à de telles pratiques partout dans le monde. Chaque jour, avec l’appui de l’armée, des délinquants sont pris et mis hors d’état de nuire. C’est juste pour vous dire que des réponses sont en train d’être apportées aux menaces, même s’il n’est pas possible de faire ici un procès d’intention à qui que ce soit. Allez consulter le contentieux des inspections régionales, vous verrez que des Sénégalais et des étrangers sont en prison et que des véhicules d’immatriculation étrangère sont saisis avec l’appui des forces de défense et de sécurité.

Est-ce que toutes les scieries industrielles ont des permis de coupe ?

L’exploitation du bois d’œuvre est une activité qui a débuté au Sénégal bien avant les indépendances. Dix scieries étaient en service au Sénégal en 1971, dont quatre à Dakar et six dans le sud du pays. Leur production couvrait environ 95% des besoins en bois sciés. Actuellement, ces scieries sont recensées au niveau national et elles sont toutes installées dans les régions de Kolda et Ziguinchor. Ces scieries sont agréées par le Ministère de l’Environnement et du Développement durable et bénéficient annuellement d’un quota de bois d’œuvre. Ces scieries exploitent le bois conformément à la réglementation en vigueur au Sénégal. Depuis quelques années, les quotas qui leur sont alloués baissent d’année en année comme c’est le cas durant la campagne en cours. Notre politique est de les orienter progressivement vers l’exploitation des possibilités de bois d’œuvre des forêts aménagées.

 La Manque Mondiale avait récemment déploré des lenteurs dans l’élaboration  du nouveau code forestier ? Où en êtes-vous aujourd’hui ?

L’Etat du Sénégal a entrepris une série de réformes dans tous les secteurs d’activités. Ainsi, la Direction des Eaux et Forêts, Chasses et de la Conservation des Sols a initié  une révision de la loi n° 98/03 du 08 janvier 1998 portant Code forestier. Un  comité technique tenu le 21 mai 2014 à la Primature avait recommandé de tenir une rencontre avec le Ministère des Mines et l’ensemble des autres ministères en vue d’harmoniser les points de vue. Cela a déjà été fait.

Face aux multiples agressions auxquelles sont exposées nos ressources naturelles en général et forestières en particulier, notamment les difficultés liées à l’ampleur du trafic international illicite de bois, il est prévu dans le projet de Code forestier en révision, et conformément aux instructions du Chef de l’Etat, de mettre en adéquation les peines avec les infractions commises, en renforçant les sanctions liées au trafic international illicite de bois. Ainsi,  il a été proposé une peine minimale de 5 ans d’emprisonnement ferme et une amende de 30 000 000 à 50 000 000 F CFA sans préjudice de la confiscation des produits et des moyens utilisés pour commettre l’infraction. Ce code forestier révisé sera introduit incessamment dans le circuit des visas.

 Le Sénégal a  tout dernièrement participé au Forum des Nations unies sur les Forêts, quelles sont les principales conclusions de ce sommet ?

Du  4 au 15 mai 2015, s’est tenue aux Nations unies, à New York, la 11ème session du Forum des Nations unies sur les Forêts (FNUF11 ou UNFF11 en anglais) sur le thème général ‘’Forêts : progrès accomplis, difficultés rencontrés et perspectives’’. La délégation sénégalaise était conduite par Monsieur Abdoulaye Baldé le ministre de l’Environnement et du Développement durable. Mais cette rencontre, considérée comme une session d’évaluation des stratégies et politiques internationales en matière de forêts, était aussi l’étape ultime du Dialogue international institué par les Nations unies sur les forêts depuis Rio. Il devait donc permettre aux Etats de prendre des décisions sur cet "Arrangement international sur les Forêts (AIF)" pour l’après 2015 et se prononcer sur la nécessité ou pas d’adopter un instrument juridiquement contraignant (IJC) sur tous les types de forêts. 

Auparavant, le Sénégal a participé à la réunion préparatoire du Groupe africain organisé par le Forum forestier africain (AFF) à Mombasa (Kenya), du 13 au 17 avril 2015. Le Sénégal a également participé aux réunions du Groupe des 77 et de la Chine qui a défendu la création du Fonds forestier mondial pour le financement de la Gestion durable de tous les types de forêts. C’est dire  que notre pays accorde une importance capitale  aux questions liées à la protection des forêts.

IBRAHIMA KHALIL WADE

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