Publié le 27 Jul 2017 - 23:13
ENGAGES POLITIQUEMENT MAIS JAMAIS INVESTIS

Les artistes loin de la scène de l’Assemblée nationale

 

On les appelle des artistes, mais en politique, ils ne sont pas les hommes de l’art. Bien qu’engagés, les acteurs culturels de premier plan ne sont pas investis sur les listes pour les Législatives de ce 30 juillet. Pourtant, ils participent activement à la campagne en assurant l’animation des meetings et autres rassemblements. Pourquoi n’ont-ils pas de candidats à la députation ? EnQuête pose le débat.

 

Ils sont certes des porteurs de voix, mais lorsqu’il s’agit de solliciter les voix des Sénégalais, ils cessent d’être les stars. Au Sénégal, les artistes participent à toutes les campagnes électorales. Ils sont visibles partout sur le terrain. De la même manière, leur absence est remarquée sur les listes d’investiture. Certains parmi eux sont pourtant des militants au même titre que les autres candidats à la députation. C’est le cas de Mame Goor Jazaka, Haby Ndour, Doudou Ndiaye Mbengue, Alioune Mbaye Nder, entre autres. Le premier cité, pour la première fois, s’est engagé officiellement dans un parti politique.

‘’Les leaders ne nous investissent pas, parce que nous ne les intéressons pas. Pour ma part, je soutiens la mouvance présidentielle par le biais de mon ami et frère le ministre de la Jeunesse Mame Mbaye Niang et j’ai vu que lui et ses camarades de parti ont beaucoup d’ambitions, c’est pour cela que je les soutiens’’, dit-il pour justifier sa présence aux côtés des Apéristes. Aussi, ambitieux soient ces derniers ils n’ont pas pensé à envoyer à l’Hémicycle des acteurs culturels. Ce que le chanteur rufisquois trouve anormal.

Ainsi, l’engagement des artistes ne devrait pas s’arrêter à chanter, lors des meetings. Le comédien Pape Meissa Guèye est du même avis et va même plus loin : ‘’Il n’y a pas une société culturelle forte ici au Sénégal. On constate que beaucoup de choses se passent dans ce pays, mais malheureusement, tout le monde est interpelé sauf les hommes de culture. Lors des débats dans les médias, tous les secteurs sont conviés à des échanges, des rencontres, mais les hommes de culture sont toujours ignorés. Et là, on doit se poser la question : quel est le rôle de l’artiste, en période de campagne électoral ?’’. Il ajoute : ‘’Est-ce que l’artiste doit laisser les politiciens décider de son sort ? Des hommes qui l’ignore pendant des années qui, en 2 semaines de campagne, les utilisent. Ce n’est pas du tout normal. Il y a des listes sur lesquelles figurent toutes sortes de catégories de personnes. Avec la parité, beaucoup de femmes sont investies, la jeunesse souhaite être plus représentative. Il n’y a que les acteurs culturels qui ne sont pas sur les listes et personnes ne pensent à eux’’, constate-t-il.

Pourquoi donc, les politiciens les confinent à ce rôle de ‘’troubadours’’ ? Diverses raisons sont avancées, suivant les explications des artistes interrogés par EnQuête.  La plupart de leurs collègues, pensent d’aucuns, font du ‘’samba mbayaan’’ (laudateurs), pendant que d’autres pensent qu’être artiste ne rime pas avec être acteur politique, alors que beaucoup d’entre eux acceptent l’argent des politiciens, selon Mame Goor Jazaka. A l’en croire, faire de la politique ne peut pas constituer un frein à une carrière musicale. Car, il y a différentes manières d’en faire. Car si certains, comme lui, ont décidé de soutenir des partis politiques, d’autres ont décidé de rester en marge, mais en participant tout de même à la vie de la cité.

‘’Les rappeurs et les reggaemen sont les plus engagés. Avec les ‘’mbalakhmen’’, c’est un peu compliqué’’

Parmi ces derniers se distingue Ouza Diallo. Il a d’ailleurs déjà fait de la prison à cause de sa ‘’rébellion’’ contre des dirigeants.  Mais actuellement, Père Ouza, comme l’appelle affectueusement ses fans, est d’avis que bien des chanteurs engagés d’une manière ou d’une autre au plan politique n’ont pas de convictions. S’ils sont aujourd’hui dans ce milieu, c’est juste pour se remplir les poches. ‘’Ils sont avec les hommes politiques pour leur argent. Comme la musique et la culture ne marchent plus au Sénégal, c’est aussi une belle occasion pour eux de s’en mettre plein les poches. C’est moi qui ai refusé d’être investi sur les listes. Parce qu’il y a beaucoup de gens qui sont venus me voir. Même avec ces législatives-là, il y a des têtes de listes qui sont venues me solliciter. Mais, j’ai refusé. Je n’aime surtout pas faire cette politique politicienne. Je préfère rester chez moi et participer au développement de mon pays’’, renseigne-t-il. Cela explique peut-être le fait qu’ils ne sont pas pris en compte, quand la situation devient sérieuse.

Selon Père Ouza, s’il y a des musiciens sénégalais qui méritent aujourd’hui d’aller à l’Hémicycle défendre le peuple. Ce sont les rappeurs. A l’en croire, ils sont critiques et objectifs et ont le bagage intellectuel nécessaire pour être des parlementaires.  ‘’Les rappeurs et les reggaemen sont les plus engagés. Avec les ‘’mbalakhmen’’, c’est un peu compliqué, car on a beaucoup d’hommes qui sont incultes’’, relève-t-il. Ce qui n’est pas le cas, heureusement, dans tous les secteurs. ‘’Il y a énormément d’acteurs culturels au Sénégal de haut niveau qui ont leur place à l’hémicycle. A l’Assemblée nationale, on voit des députés qui ne savent ni lire ni écrire. Et parmi les acteurs culturels, il y a des intellectuels. Il nous faut nous regrouper et faire un bloc pour montrer que nous ne sommes pas là pour amuser la galerie ou jouer aux troubadours’’.

Les jets de pierres contre Youssou Ndour inquiètent Xuman

Les rappeurs sont très peu visibles sur le terrain de la campagne électorale pour les législatives du 30 juillet. Un fait qui s’explique également. D’après le super présentateur du JT Rappé Xuman, il y a beaucoup d’artistes qui ont peur de perdre leur crédibilité, en s’engageant aux côtés de politiciens. Leurs discours seront alors partisans. Par conséquent, ils ne pourront plus être impartiaux. En voilà des paramètres à prendre en compte. ‘’On m’a proposé à plusieurs reprises de franchir le pas et de m’engager en politique. Je me suis dit que je dois apprendre beaucoup de choses, avant. Je ne veux pas être un député qui va aller à l’Assemblée juste pour applaudir. Je me dis que, si je m’engage pour une cause, c’est parce que j’ai bien maitrisé mon sujet afin de bien parler au nom du peuple’’, trappe-t-il.

En attendant ce jour, Xuman se fait l’avocat du peuple à travers son Jt Rappé. Il participe à sa manière à l’éveil des consciences. Ce n’est pas pour autant qu’il a fermé la porte qui mène vers le militantisme partisan. ‘’Peut être que, d’ici quelques temps, si je me sens plus mûr politiquement, je vais me lancer’’, dit-il.  Il n’y aurait rien de mieux alors, car comme le souligne le comédien Pape Meissa Guèye, ‘’ les acteurs politiques ne comprennent rien à la culture. Cette dernière est inexistante dans leurs programmes. A l’Assemblée nationale, il y a une commission Art et Culture, mais, on en entend jamais parler. Je me demande à quoi elle sert’’.

En outre, ceux-là qui n’ont pas encore franchi le Rubicon ne sont pas rassurés par l’attitude et le traitement réservés à certains des leurs qui l’ont déjà fait. ‘’Youssou Ndour est le parfait exemple de ce qu’il ne faut pas faire. Etre un artiste très populaire ne veut pas dire forcément qu’on fera un bon politique. Je n’ai pas envie d’essuyer des jets de pierres. Youssou Ndour n’avait jamais connu de situations pareilles. C’est quand il a essayé d’entrer dans l’arène politique qu’il a reçu des jets de pierres’’, regrette le rappeur.

Mame Goor Jazaka veut devenir maire

 Mame Goor Jazaka, lui, ne s’est pas engagé pour jouer les seconds rôles. ‘’Je ne fais pas partie des artistes qui n’ont pas d’ambitions. Le moment venu, je vais déposer ma candidature, je veux être maire des Maristes. Nous sommes en train de voir avec le Président, si Maristes peut être érigé en commune et je vais me battre pour être maire de cette dernière’’, annonce-t-il. Son engagement, il le vit sans problèmes peut-être parce qu’il soutient le parti au pouvoir. Père Ouza n’a pas eu cette chance là. ‘’J’ai vécu des choses terribles dans ma vie d’artistique. J’ai raté beaucoup de choses, surtout sous le magistère d’Abdou Diouf et de Senghor. Ce n’était pas évident d’être un artiste engagé, et à l’époque, j’étais le seul. Je me suis beaucoup sacrifié’’, confie-t-il.

Il soutenait à l’époque Abdoulaye Wade. Cette mésaventure l’a poussé à ne plus avoir envie de se battre ou de se faire une place dans le milieu politique. Pis, il n’est même pas loin de renoncer à un de ses droits civiques. ‘’Personnellement, je me suis dit que je ne vais même pas aller voter. Parce que je ne me retrouve plus dans ce jeu. J’ai compris que ce n’est pas un problème de régime, mais c’est le système qu’il faut changer. On répète toujours la même chanson de ‘’Niany baañ na’’. On a changé Abdou Diouf contre Abdoulaye Wade. Il a réalisé beaucoup de choses. On veut encore changer Macky Sall, malgré le fait que lui aussi a pu faire beaucoup de choses’’. 

HABIBATOU WAGNE

 

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