Publié le 31 Jan 2018 - 18:53
GREVE DU SAMES

Les médecins ‘’abandonnent’’ les patients

 

Les blouses blanches ont déserté, hier, les structures hospitalières. Les patients, désespérés, dégoûtés et surtout en colère, n’ont pas manqué de tirer sur le gouvernement et sur le syndicat en grève. Reportage.

 

Elle rebrousse chemin, papier en main, visage renfrogné. Lucie Diandy ne décolère pas. Elle râle, lance des ‘’chip’’. Les yeux rougis, elle n’a qu’une seule envie : verser de chaudes larmes. Mais contre qui Lucie est-elle en colère ? La réponse ne se fait pas attendre. ‘’Toutes les deux parties’’, répond-elle avant de s’en prendre à nous. ‘’Vous êtes tellement pressé de faire face à ce genre de situation. La presse n’est là que pour ça. Ce n’est pas bien’’, lance-t-elle. Mais, devant notre air interloqué, elle se radoucit et ajoute : ‘’Je sais que ce n’est pas vous qui faites la grève. Mais c’est dur de se lever le matin, venir à l’hôpital et ne pas trouver la personne qui te soigne.’’

Nous sommes à la devanture du centre de santé Abdoul Aziz Sy Dabakh des Parcelles-Assainies. Cette trentenaire furibonde n’est pas la seule à être dans cet état, à cause de l’absence des médecins. Selon elle, ceux-ci devraient afficher des annonces, la veille, pour informer les patients de leur grève. ‘’Ils doivent savoir qu’ils n’ont pas en charge des élèves comme les enseignants, mais plutôt des patients. Des malades. Quelqu’un peut mourir à cause de cela et ça sera regrettable’’, soutient Lucie.

Cette dame avait rendez-vous avec son médecin. Mais ça sera pour une autre fois. Elle ne veut même pas parler du gouvernement. Car, pour elle, il n’existe pas. ‘’Les médecins font de leur mieux. Je veux juste qu’on nous informe de leur mouvement. Quant à l’autre partie, je ne m’en occupe même pas, parce qu’elle est inexistante’’.

A quelques mètres d’elle, Anta Diouf berce en vain son enfant. Il pleure et se débat. Elle tient le téléphone de la main gauche pour informer son mari de la grève. Mais avec les pleurs de l’enfant, elle n’y arrive pas. ‘’Vraiment, le Sénégal ne va jamais avancer’’, grogne-t-elle. Elle parvient à mettre son fils sur le dos, grâce à notre aide. ‘’Merci madame, il n’a pas fermé l’œil de la nuit. Il a de la fièvre et n’a pas cessé de vomir. Mais le vigile vient de me dire que les médecins sont en grève. Je ne sais vraiment pas quoi faire’’, se lamente Anta. Contrairement à Lucie, Anta ne peut retenir ses larmes. Elle est désespérée. ‘’Mon bébé est malade et il ne va pas se soigner. Vous imaginez ça. Qu’est-ce que je vais faire ? Il n’y a que l’infirmier sur place. Je voulais voir le méd…’’. Elle ne termine pas sa phrase. Ses narines coulent. Elle cherche en vain un mouchoir dans son sac. Ses larmes continuent de couler. Elle nous tourne le dos. Par pudeur, nous prenons congé d’elle.

A l’intérieur du centre de santé, c’est le calme. Certaines salles sont fermées. Mais la maternité est très animée. Les sages-femmes font leur travail. Certaines prennent la peine d’expliquer aux patients l’absence du médecin. Les infirmiers et infirmières aussi sont venus travailler. Sous le couvert de l’anonymat, un infirmier explique qu’ils sont obligés de s’occuper de certains patients venus voir le médecin. ‘’Nous ne faisons pas le travail du médecin, mais, dans certains cas, on est obligé d’aider les patients. C’est difficile de travailler en l’absence du médecin. On fait de notre mieux’’, dit-il. Pour ce dernier, le plus important, c’est le malade. ‘’ Il y en a qui ont préféré rentrer, parce qu’ils veulent voir le médecin. Nous prenons tous les cas et si la situation nous dépasse, ce qui n’est pas encore arrivé, nous leur demandons d’aller dans un hôpital. Nous ne voulons prendre aucun risque’’, explique notre interlocuteur. Du côté de la maternité, personne ne veut parler.

Des patients accusent l’Etat

A l’hôpital de Fann, les mouvements sont modérés. C’est le même décor à l’hôpital Abass Ndao. Dans cette structure, l’accès n’est pas du tout difficile. Seynabou Sarr sort avec son sachet de médicaments à la main. Elle est venue faire une analyse, mais le médecin qui devait s’en charger est absent. D’ailleurs, elle n’a trouvé personne dans la salle. ‘’Quand je suis arrivée, une dame m’a dit que le médecin ne viendra pas. Je lui ai demandé si je peux revenir demain (aujourd’hui). Elle m’a dit de venir vendredi ou lundi’’, confie Mme Sarr.

De son côté, Césarine Diouf est au courant de la grève. Elle ignorait que les rendez-vous sont concernés. ‘’Je suis au courant de la grève. Mais je pensais que les rendez-vous ne sont pas concernés. Sinon, je n’allais pas effectuer ce déplacement’’, regrette Mme Diouf, qui rejette la faute sur l’Etat. ‘’Les médecins font correctement leur travail. S’ils sont arrivés à ce stade, c’est à cause de l’hypocrisie du gouvernement. On ne tient jamais un langage de vérité. C’est vraiment dommage, dans un pays qui veut se développer’’, fulmine-t-elle. La même ambiance règne au service de radiologie. Les patients ne sont pas nombreux dans ce service.

Teint clair, la mine bien soignée, cette patiente, qui parle sous le couvert de l’anonymat, est dépitée de n’avoir pas été prise en charge. Elle a un rendez-vous pour subir une mammographie. ‘’Je suis là depuis 9 h. On me fait poiroter. Le pire est que je ne trouve même pas d’interlocuteur’’, lance-t-elle avec amertume. Sous le coup de la colère, elle a du mal à sortir les mots. ‘’On ne m’a rien dit depuis que je suis là’’, lance-t-elle, la gorge serrée.

VIVIANE DIATTA

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