Publié le 4 May 2014 - 21:22
LEGENDE DU FOOT AFRICAIN

George Weah, de l'anonymat à l'or

 

 

Incontestablement, le Libérien est l'un des meilleurs attaquants des années 90. Grâce à lui, le football africain a franchi un cap décisif.

 

 

"Quand j'ai débuté en Afrique, je n'étais pas payé, mais je m'en fichais, je m'amusais. Je dormais avec un ballon, je mangeais du ballon. Il n'y avait pas le luxe extravagant d'aujourd'hui. Je dois tout au Milan AC. J'y ai gagné le Ballon d'or et suis devenu George Weah grâce à lui. Désormais, si les joueurs ne sont pas alignés, ce n'est pas grave, ils rentrent et jouent à la console.

 

Au moins, là, ils sont bons..." Sa déclaration sur Tuttosport à propos du faible niveau des joueurs milanais il y a deux semaines avait été sans détour. Il avait surpris, car l'homme est très peu loquace dans les médias. Cela dit, sa saillie illustre aussi parfaitement le style de joueur qu'il incarnait : calme jusqu'à la tempête...

 

À la différence d'un Neymar, d'un Ronaldinho ou même d'un Yaya Touré médiatisé en amont par l'Académie d'Abidjan de Jean-Marc Guillou, George Weah débarque en Europe dans l'anonymat le plus complet. C'était en 1988. Son club : Monaco. Certes, en Afrique, ses statistiques pouvaient en impressionner plus d'un (38 buts en 41 matches de 1986 à 1988), mais elles n'ont pas suffi pour le faire arriver en France dans le vacarme réservé aux stars. Sur le Rocher, il peut éviter le dépaysement et s'adapter vite.

 

L'explication : il y a trouvé toute une colonie de joueurs libériens. Ainsi de Debbah, de Wreh, entre autres. "Quand George Weah est arrivé à Monaco, il avait le look de l'Africain vêtu en boubou et chaussé de babouches. Il n'était pas vraiment européanisé, mais ne semblait pas du tout dépaysé. Doux, calme, il devenait ensuite intenable sur un terrain. George respirait le foot. Et il s'est très rapidement adapté", explique Emmanuel Petit, qui l'a côtoyé à l'Association sportive de Monaco (ASM).

 

Toute la panoplie de l'attaquant moderne

 

Voilà de quoi rendre son anonymat éphémère. Weah dispute 23 matches pour sa première saison en division 1 de l'époque et inscrit 14 buts. "Il s'est imposé comme titulaire dans une équipe où il y avait quand même de gros clients en attaque. Je pense à Mark Hateley, Ramon Diaz, et croyez-moi, ce n'était pas rien. Mais ses qualités impressionnantes ont fait la différence. Un mélange redoutable de force physique et de justesse technique", raconte l'auteur du troisième but de la France lors de la finale du Mondial 1998 .

 

Rapide, puissant, technique, excellent jeu de tête, intelligence dans le placement et les appels de balle, George Weah présente toute la panoplie de l'attaquant moderne, bien avant le Brésilien Ronaldo. Seul hic, l'irrégularité de ses prestations, comme en témoigne sa saison 1989-1990 plus modeste ponctuée de cinq buts seulement en 17 matches. Une misère pour un joueur de son talent. "L'arrivée du petit Portugais Rui Barros à l'été 1990 va lui être bénéfique", rassure Emmanuel Petit. "Un petit gabarit très doué dans la dernière passe associé à la puissance de Mister George, voilà un cocktail explosif qui nous a permis de faire de beaux parcours en Coupe d'Europe."

 

L'histoire sur le Rocher s'arrêtera à l'été 92. George Weah signe alors au Paris-Saint-Germain. Le club de la capitale française vient d'entrer dans l'escarcelle du groupe audiovisuel Canal+. On peut le dire : Weah sera l'un des premiers joyaux de cette période faste. Son expérience monégasque se montre décisive pour la formidable épopée européenne du PSG de la saison 1992-1993.

 

Paok Salonique, Naples, Anderlecht, Real Madrid et Juventus, excusez du peu, tous ces clubs vont servir de marchepied au Libérien qui franchit ainsi un palier supplémentaire. Ses grosses performances contre les clubs italiens cette saison-là l'exposent davantage sur le plan médiatique. Weah élimine le Napoli de Careca à lui tout seul en 16es de finale. On se rappelle encore son doublé. Il manque de peu de faire de même avec la Juve en demi-finale. Ce n'est que partie remise.

 

Buts d'extraterrestre

 

Et marquer les esprits va bientôt être sa marque de fabrique. Son terrain de jeu : la Ligue des champions de la saison 1994-1995. Le Bayern peut en témoigner... Le 23 novembre 1994, contre le club allemand, il inscrit un but somptueux qui met en valeur son formidable dosage de force physique et de justesse technique : conduite de balle parfaite, accélération fulgurante, petits dribbles précis pour éliminer le défenseur, frappe sèche et soudaine à l'entrée de la surface...

 

Au cours de cette magnifique campagne européenne du PSG, il est incontestablement la pierre angulaire du jeu parisien. Au point que s'installe une certaine forme de Weah dépendance qui sera fatale à l'équipe de Luis Fernandez en demi-finale, contre le Milan AC. À cette époque, le Libérien savait déjà qu'il allait jouer pour le club rossonero la saison suivante. Sa prestation ayant été en deçà de ce qui était attendu d'un joueur de sa qualité, certains l'ont accusé d'avoir levé le pied lors de ce match contre les Lombards. Qu'importe, l'histoire était déjà en marche.

 

Ses débuts à San Siro sont une continuité par rapport à ses performances au PSG. À l'automne 1995, il est l'auteur d'un nouveau but d'extraterrestre contre la Lazio en championnat d'Italie. Lancé par Eranio, il prend de vitesse toute la défense romaine avant de se défaire subtilement du gardien : un nouveau but qui combine puissance et technique. Le type d'actions qui marque les esprits et qui va contribuer, sans aucun doute, à ce qu'il soit le premier Africain (et toujours le seul) à avoir remporté le Ballon d'or.

 

On peut dire qu'il a ouvert une porte, car cette prestigieuse récompense est enfin offerte à un joueur non européen à partir de cette même année 1995. Le monde du foot est encore à apprécier qu'il ait été Ballon d'or quand, pour de bon, il bouscule un peu plus les portes de la légende par un nouveau but d'anthologie contre Vérone. Pour vous en faire une idée, imaginez le but de Maradona en quart de finale de la Coupe du monde 1986 où il dribble toute l'équipe anglaise. Remplacez le génie argentin par un sosie d'Usain Bolt, et vous avez le but de Mister George. Cette action du Libérien est avant tout une formidable performance athlétique qui dessine les contours des qualités d'un attaquant moderne au crépuscule du XXe siècle et à l'orée du XXIe.

 

Le plaisir plutôt que la victoire

 

Particularité de Weah : sa carrière sportive semble n'obéir qu'à un même leitmotiv : le plaisir d'abord... et la victoire si possible dans le package. Voilà qui fait qu'il n'a pas le palmarès d'un Samuel Eto'o ou d'un Didier Drogba. Weah n'a jamais évolué dans une équipe qui écrasait littéralement la concurrence malgré quelques titres de champion avec Paris ou le Milan AC. Sans être individualiste, il a bien profité des belles vitrines médiatiques européennes. Cela l'a exposé brillamment, et ce d'autant que la perle libérienne était souvent au-dessus du lot par rapport à ses partenaires et dans ses moments de fulgurance.

 

Peut-on dire qu'il en a été de même en politique. Peut-être pas, car Mister George tenait vraiment, en 2006, à gagner son duel avec l'actuelle présidente du Liberia, Ellen Johnson Sirleaf. Née dans un milieu plus aisé, sortie de l'université américaine d'Harvard qu'on ne présente plus, celle qui allait être la première présidente africaine élue au suffrage universel a fini, sur le terrain politique, par avoir raison de Mister George.

 

Lors de cette confrontation, Weah a, comme qui dirait, sublimé ses qualités physiques et psychologiques. Cela n'a pas été suffisant pour marquer, mais la légende a encore fait se lever les foules. Le Liberia, son pays qu'il adore et aime défendre, en a tiré quelque gloire. Connaissant l'homme, on peut penser que c'est déjà un motif de satisfaction. Les légendes ne meurent jamais et George Weah en est une.

 

(Lepoint.fr)

 

 

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