Publié le 5 Nov 2015 - 03:11
MALICK SOUMARE DIRECTEUR DE L’ENSEIGNEMENT PRIVE AU MINISTERE DE L’EDUCATION

« L’Etat n’a pas les moyens de scolariser tous les enfants »

 

Depuis quelques années, l’école sénégalaise est caractérisée par des échecs massifs. Pour expliquer le phénomène, l’on indexe souvent l’instabilité dans les établissements publics. Mais le privé qui attire de plus en plus les parents et leurs enfants ne fait pas mieux. Dans cet entretien accordé à EnQuête, le chef de la division de l’enseignement privé au ministère de l’éducation nationale donne sa version des faits et soutient l’importance de ces structures qui soutiennent l’Etat dans sa mission de garantir une éducation à tous les fils du pays.

 

En tant que responsable de la division de l’enseignement privé, quel regard portez-vous sur ce sous-secteur de l’éducation nationale ? 

L’enseignement privé se porte bien. Il continue à accompagner l’Etat dans  la mission qui lui a été confiée. Cela se confirme par l’accroissement des effectifs. Les parents continuent à faire confiance à l’enseignement privé. Les écoles continuent à faire des résultats, bons comme mauvais. Donc il se porte comme il doit se porter.

Qu’est-ce qui a poussé l’Etat à libéraliser le secteur de l’enseignement ?

C’est dû à des contraintes d’opportunité. L’Etat n’a pas les moyens de scolariser tous les enfants. C’est une obligation régalienne. Il lui revient de scolariser tous les filles et fils du pays. Mais ne pouvant pas assurer cette mission qui est un droit, il a donné l’opportunité aux privés de l’accompagner dans cette tâche. Ce n’est pas pour privatiser, mais c’est parce que les ressources de notre pays ne permettent pas de faire face à la demande de l’enseignement et ce droit à l’éducation. Voilà pourquoi le privé est mis à contribution.

Dans la banlieue  l’on constate une floraison d’écoles privées. Quelles sont  les conditions à remplir pour ouvrir un établissement scolaire ?

Les conditions pour l’ouverture d’une école privée sont régies par la loi 94-82 du 23 décembre 1994. Il y a eu des décrets d’application et des modifications. Les dernières modifications, c’est  la loi  n° 2005-03 du 11 janvier 2005 modifiant et complétant les articles 6 et 7 de la loi n° 94-82 du 23 décembre 1994 pour permettre à un promoteur sénégalais ou non-sénégalais qui respecte les conditions et remplit les clauses liées à la sécurité d’ouverture d’une école. Parmi les préalables, il y a la pédagogie, il faut que le propriétaire soit entouré de minimum de personnes compétentes. Il faut des locaux adaptés et le respect du programme. Toutes ces conditions sont réglementées par le décret qui organise l’ouverture préalable d’une école.

Les acteurs sur le terrain, notamment les enseignants, reconnaissent l’existence d’écoles qu’on peut qualifier de clandestines dans la banlieue, c’est-à-dire des écoles non autorisées. Est-ce que vous êtes au courant de cela ?

Une école non autorisée n’est pas forcément une école clandestine. Une école peut, dans un processus de normalisation, commencer ses cours. En déposant le dossier il se peut qu’il prenne du temps. Parce qu’il y a des lenteurs administratives et des goulots d’étranglement. Alors les écoles fonctionnent  sur ce qu’on appelle le principe de déclaration préalable. Dès que le dossier est déposé à l’inspection, l’école a un quitus pour fonctionner. Maintenant entre le dépôt et la livraison du quitus jusqu’à l’autorisation officielle, ça peut prendre du temps. Un an deux ans et si toutes les conditions sont réunies, ça peut se faire en trois ou six mois. Mais il peut y avoir des écarts, des manquements des allers-retours ; ce qui fait que l’école peut fonctionner, accueillir des élèves. Bien qu’elle ne soit pas officiellement reconnue, elle n’est pas quand même dans illégalité.

En se basant sur les statistiques de 2011 et 2013, l’on constate que dans tous les classements, les écoles privées viennent en dernière position derrière le privé catholique et le public. Comment expliquez-vous cela ?

Il y a peut-être plusieurs facteurs. Mais ce sont des questions  qui mériteraient une réflexion technique, scientifique, parce que ce sont des données statistiques. On peut dire que toutes choses étant égales, par ailleurs, les écoles privées laïques, catholiques comme publiques peuvent se tenir sur un très petit écart. Je prends comme exemple la dernière analyse que l’office du bac a faite des résultats de 2013. On a la maison d’éducation Mariama Bâ, le Prytanée Militaire. Mais on a automatiquement l’Institution notre Dame qui est une école privée catholique et Mikado qui est une école privée laïque. Viennent ensuite l’école Birago Diop et Serigne Modou Bousso Dieng qui sont des écoles privées laïques. Comparaison pour comparaison, on peut dire que les établissements privés comme publics peuvent se tenir presqu’au bout du fil.

Dans certaines écoles aussi, ce sont des étudiants qui ne sont pas formés à l’enseignement qui dispensent les cours. Est-ce que cela est reconnu par le ministère ?

Nous avons les mêmes difficultés dans le public. Aujourd’hui, le public peine à trouver les enseignants qu’il faut. Dans les établissements publics à Dakar où toutes les possibilités sont réunies, on manque de professeurs de mathématiques. L’offre d’éducation et les besoins étant concentrés dans la capitale, il se trouve que pour faire face à cette demande croissante, on fait appel souvent à différentes catégories de personnes. C’est une tradition. Les étudiants ont toujours été mis à contribution, ils y trouvent leurs compte parce que ça permet d’avoir des ressources (financières). Les privés aussi trouvent leur compte chez les étudiants qui ont un certain niveau : bac plus 2 ou 3. C’est aussi parce qu’il n’y a pas de personnel d’enseignent propre à l’enseignement privé surtout dans le moyen-secondaire. En dehors du privé catholique qui a ses structures de formation pour le préscolaire et l’élémentaire, il n’y a pas de structure de formation des enseignants du privé pour le moyen secondaire. Donc c’est une difficulté qui est là sur laquelle il faudrait trouver des solutions.

Dans certains établissements scolaires privés, l’on peut venir et faire directement la classe de terminale par exemple, pourvu qu’on paye. Même si l’élève ne remplit pas toutes les conditions, il est quand même accepté. Pourquoi l’Etat ne peut pas exiger les mêmes conditions de passage que dans le public ?

Ces conditions sont réglementées ; car en principe, on ne peut pas accéder à un établissement si on ne justifie pas sa scolarité antérieure, ses moyennes et ses résultats. Mais il se trouve que quelque part, il y a certaines souplesses. Une certaine indulgence qui permet à des privés d’accueillir des élèves qui, pour des raisons sociales, n’ont pas réuni toutes les conditions académiques qui leur permettraient d’être performants. Et souvent, ils leur donnent une seconde chance. Ces écoles-là, on peut les appeler des écoles de la seconde chance. Il y en a qui permettent à des enfants exclus du public ou d’autres de revenir dans le circuit. Par exemple, sur dix, il est possible que 5 retournent dans le système. Si ce n’était pas ça, c’est perdu pour eux et le pays.

Il y a aussi des gens qui gonflent parfois les notes pour que les parents disent que les résultats sont bons et continuent de payer. Par exemple quelqu’un qui n’arrivait pas à avoir une moyenne dans le public peut se retrouver dans le privé avec 12 ou plus. Est-ce que ce n’est pas de l’arnaque ?

Bon, c’est des commentaires que les gens font. On en parle, mais je n’ai pas vu une étude sérieuse sur la question. On dit que c’est des pratiques qui se font, mais je sais que les écoles sérieuses qui se respectent refusent d’entrer dans ce piège.

Que répondez-vous à ceux qui disent que l’Etat laisse faire parce qu’il n’a pas les moyens d’orienter les élèves qui obtiennent leur BFEM et entrée en  6ème ?

L’Etat a déjà ouvert la voie en offrant au privé l’opportunité de l’accompagner dans sa mission régalienne d’éduquer et de former. Donc quelque part, l’Etat ouvre des pistes. L’obligation scolaire qu’il a signée, qui est dans la loi de 91-22 qui a été votée en 2004, fait que de plus en plus on doit aider les enfants à faire leur scolarité et aller le plus loin possible. Plus une population est instruite, plus elle est compétitive dans le domaine économique, culturel et social. Je crois qu’offrir aux enfants sénégalais la possibilité d’étudier le plus longtemps possible et décrocher leurs diplômes et s’insérer, c’est un rôle que le Sénégal doit jouer. Et dans ce demain, le privé l’aide bien en essayant de recycler au maximum les enfants laissés en rade.

L’un des problèmes est que le privé n’a pas des enseignants permanents. Que faites-vous pour que ce sous-secteur ait un personnel qui lui est propre ?

Vous savez aujourd’hui, l’Etat est très préoccupé par cette question. Il y a de grands efforts qui sont fournis pour mettre suffisamment d’enseignants dans les écoles. L’Etat a un plan depuis le Programme décennal de l’éducation et de la formation (PDEF) et qui est suivi dans le cadre du programme d’amélioration de la qualité de l’équité et de la transparence (Paquet) pour que tous les enfants sénégalais soient à l’école. C’est une ambition très noble mais l’Etat n’a pas encore toutes les ressources malgré l’apport des partenaires extérieurs pour enrôler tous les enfants et leur donner un enseignement de qualité. Il y a des pas importants accomplis ces années-ci.

Mais il n’est pas encore dans les possibilités de l’Etat de recruter autant  d’enseignants et de professeurs qualifiés pour tous les élèves qui en demandent. Ce qui fait qu’on est obligé souvent d’accepter que des enseignants officient dans le privé sans la qualification. Jusqu’à présent, les conditions pour enseigner dans le privé, c’est juste avoir un diplôme pédagogique le Bac, la Licence, la maitrise etc. on n’exige pas la qualification professionnelle mais  de plus en plus un effort est fait pour que la formation pédagogique et celle académique soient couplées pour enseigner dans le privé. C’est des textes qui sont actuellement en cours de révision.

PAR ABDOURAHIM BARRY 

 

Section: