Publié le 3 Nov 2016 - 21:33
MAMADOU WANE (SOCIOLOGUE)

 ‘’Nos sociétés produisent de la violence’’

 

D’un côté, la société produit de la violence. De l’autre, l’Etat et les régulateurs sociaux ne jouent plus leur rôle de veille et de protection. Voilà pourquoi les Sénégalais sentent la nécessité de s’armer. L’analyse est du sociologue Mamadou Wane qui préconise l’interdiction de la vente des armes blanches en plein air.

 

Comment expliquer la propension des Sénégalais à porter de plus en plus des armes ?

D’abord, il y a la banalisation du port d’arme. Dans ce pays, tout le monde peut accéder à des armes blanches. Tout le monde peut acheter ou vendre un couteau. Dans la plupart du temps, les gens, dans les conflits personnels, utilisent des armes blanches. Mon deuxième niveau de lecture est qu’on est dans une société où la violence est médiatisée. Par exemple, aujourd’hui, on peut être dans son salon et voir la retransmission d’images (violentes) à travers la télévision (…) Et à force d’être dans une société où les armes sont banalisées, avec l’accès facile à des engins qui peuvent tuer, on sent le besoin de s’armer. Ensuite, la violence sociétale, de la préhistoire à maintenant, a toujours existé. Ainsi, nos sociétés produisent de la violence. Aussi bien, les discours politiques sont feutrés de violence. La médiatisation de la violence conduit, dans une certaine mesure, à la faiblesse de nos Etats.

Sur le plan interne, y a-t-il une insécurité qui justifierait le besoin de certaines personnes à porter des armes à feu ?

Aujourd’hui, il faut reconnaître l’échec de la politique de sécurité des personnes. Dans les banlieues, les gens ne se sentent pas en sécurité. De même que dans le milieu rural. Vous pouvez faire des kilomètres de route sans voir un poste de police ou une gendarmerie. Et pour certaines de ces zones qui sont en proie à la violence, elles sont souvent dans des situations économiques inadéquates. Par exemple, le vol de bétail dans la zone sylvo-pastorale. Il n’y a pas assez de sécurité. Le constat est que l’Etat qui a le monopole de la violence légalisée n’est pas présent partout. Et là où il est présent par contre, l’exposition démographique, le chômage, le problème d’amplification et les éléments qui concourent à produire de la violence s’y manifestent. C’est le cas des jeunes qui ne travaillent pas et qui ne peuvent pas accéder aux services sociaux de base. Aussi, nous sommes dans une société de consommation. Et quand vous ne pouvez pas accéder à ce modèle standard de consommation en milieu urbain, vous pouvez avoir recours à la violence afin de vous approprier la chose. Il faut aussi avouer qu’il y a un sentiment d’impunité. L’Etat ne punit pas assez certains meurtriers.

Comment expliquer cette rapidité pour certains citoyens à dégainer une arme, même dans les cas où leur vie n’est pas nécessairement menacée ?

Il y a quand même cette relation valorisante d’avoir une arme, surtout dans une situation psychologique de confort afin de gérer ses dépenses. Si par exemple l’organe chargé de gérer la sécurité collective est incapable de l’assurer, je peux m’armer. Et cela me met dans une situation de confort sécuritaire. On est aussi dans le Surmoi, le Moi surdimensionné. Et dans une telle situation, vous pouvez être amené à prendre un couteau lors d’un conflit. Et dans la représentation sociologique, il y a un mythe de l’homme armé. Nous sommes aussi dans une société qui ne déconstruit pas. Le père de famille, l’imam ou le curé qui devaient jouer ce rôle de déconstruction ne le font plus. Les associations de jeunes dans les quartiers s’arrêtent uniquement aux navétanes, c’est-à-dire à la compétition qui est également un champ de violence. Je veux faire comprendre le sens du ‘’dàl’’, garder son sang-froid, même si on subit du tort.

Une certaine catégorie de la société, notamment les acteurs politiques, s’est fait remarquer dernièrement par l’usage de ces armes. Comment comprendre cela ?

Normalement, tout acteur politique est un leader, car il aspire à exercer le pouvoir. Mais quand il n’est plus ce modèle, brandit des armes et utilise la violence verbale, cela pose problème. Cela renvoie à l’image d’un homme politique qui se retrouve dans un espace politique pour prendre des décisions au nom de la société et bonjour les dégâts.

Quelles solutions préconisez-vous pour limiter la circulation des armes et endiguer la violence ?

Pour limiter la circulation des armes, je pense qu’il faut une législation qui interdit la vente publique des couteaux. C’est même inadmissible que pour la Tabaski, n’importe qui puisse vendre aux quatre coins de la rue des couteaux, machettes… L’Etat doit organiser ce commerce.

Certains diront quand même que c’est pour un usage domestique…

Même pour cela, nous avons vu des bandes génocidaires commettre leurs forfaits avec des armes blanches. A mon avis, la vente des armes blanches ne doit pas être faite publiquement. Ensuite, il ne faut pas autoriser le port d’arme à des gens qui ont des problèmes de trouble de personnalité ou psychique. On doit imposer le certificat médical. Parce qu’on peut avoir le droit de porter une arme sans pour autant avoir les capacités psychiques qui nous imposent le contrôle. Le fondement de l’Etat est le monopole de la violence légalisée. Maintenant pour l’usage domestique, on peut s’en procurer dans les supermarchés. Mais il ne faut pas accepter que n’importe qui puisse les détenir.

 

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