Publié le 5 Dec 2015 - 02:06
PROFESSEUR ABDOU NIANG NEPHROLOGUE HEMODIALYSE A L’HÔPITAL ARISTIDE LE DANTEC

‘’La transplantation aidera beaucoup de malades, en particulier les jeunes’’

 

Votée le vendredi 27 novembre dernier, la loi sur la transplantation fait actuellement l’objet de toutes les discussions. Dans cet entretien, le professeur Abdou Niang parle du 1er Cours International de la Dialyse qui sera organisé au Sénégal et revient sur l’utilité de la greffe qui va permettre de réduire le nombre de dialysés.

 

Pouvez-vous nous parler du 1er Cours International de Dialyse qui sera organisé ici à Dakar ?

Ce 1er Cours verra la participation d’éminentes personnalités venant des Etats-Unis, de l’Amérique, de l’Europe et de l’Afrique. Nous attendons plus de 250 participants qui viendront de l’Afrique anglophone et francophone. L’originalité de cette réunion est que, pour la première fois, une réunion va regrouper dans des ateliers satellites aussi bien des médecins néphrologues, des infirmiers de dialyse que des techniciens de maintenance. Donc, ce sont les trois entités qui sont autour de cette technique qui est l’une des plus récentes découvertes de la médecine de ces cinquante dernières années. La conférence va débuter le samedi et durera trois jours.

Quels sont les thèmes qui seront débattus ?

Les thèmes vont tourner essentiellement autour des thérapies de suppléance rénale. Lorsque le rein ne fonctionne plus, ce qu’on appelle l’état d’insuffisance rénale, on fait appel à des techniques qui suppléent le rein. Et ce sont essentiellement trois types de traitement : c’est l’hémodialyse, c'est-à-dire, avec une machine qui épure le sang en dehors du corps de l’homme ; la dialyse territoriale qui fait l’épuration à l’intérieur du corps en utilisant le territoire comme membrane de dialyse ; il y a la transplantation rénale qui complète ce trio. Mais durant cette réunion, nous parlerons essentiellement de l’hémodialyse et de la dialyse.

L’insuffisance rénale constitue un grand problème en Afrique. Quel est l’impact de cette maladie au Sénégal ?

Effectivement, l’Afrique est en train de payer un lourd fardeau sur l’insuffisance rénale. L’Afrique représente 14% de la population mondiale. Mais imaginez que nous ne traitons que 4,5% des personnes dialysées dans le monde. C'est-à-dire vraiment une partie infinie, alors que cette insuffisance rénale a une prévalence de 250 par million d’habitants en Afrique. L’incidence est encore beaucoup plus surprenante, parce que chaque année, il y a 150 nouveaux malades par million d’habitants et par an ici en Afrique. Aujourd’hui, au Sénégal nous estimons qu’il y a environ 650 mille personnes sur les 13 millions qui souffrent de maladies rénales chroniques.

C’est-à-dire que ce sont ces personnes qui sont susceptibles à l’avenir de développer une insuffisance rénale nécessitant la dialyse. Mais, si vous imaginez que parmi ces 650 mille, chaque année, il y a mille personnes qui vont avoir besoin de dialyse, en capacité de traitement pour nos pays, c’est énorme. Avec tous les efforts que le Sénégal est en train de faire dans la dialyse, nous n’avons pas encore pris en charge 1 000 patients. Si chaque année il y a mille nouveaux cas qui vont se rajouter à ces mille, déjà c’est un lourd fardeau auquel notre pays sera confronté. On sait que le coût de la dialyse est extrêmement élevé. La dialyse nous revient à 9 millions, chaque année. Même si l’Etat le paye, c’est un budget énorme. D’où l’importance qu’il y a à beaucoup travailler dans le domaine de la prévention pour parvenir à réduire ce chiffre faramineux de nouveaux malades qui arrivent chaque année.

Parlant de prévention qu’est-ce qu’on doit faire pour éviter cette maladie ?

Pour la prévention de la maladie rénale chronique, les choses s’atténuent à deux types de population. D’abord celles qui ne sont pas malades peuvent faire une prévention primaire. Ce, par des règles d’hygiène qu’on recommande tous les jours aux gens, de manger sainement, moins de sel, moins de sucre , moins d’huile, de pratiquer une activité physique régulière mais aussi de contrôler la pression artérielle, son sucre, son cholestérol régulièrement, de ne pas fumer, ne pas consommer trop d’alcool. Ce sont des mesures d’hygiène de vie collective que nous préconisons pour éviter les maladies comme le diabète, l’hypertension artérielle. Maintenant, il y a des mesures qui s’adressent à ces gens qui sont déjà hypertendus ou diabétiques ou qui ont déjà une maladie rénale. Il y a un travail important à faire à leur niveau, pour éviter qu’il y ait une dégradation rapide de leur fonction rénale. Ceci est extrêmement important, parce que si on applique ces mesures, au lieu d’arriver à une insuffisance terminale au bout de deux ans, on retarde la dialyse à dix ans.

La loi sur la greffe est votée aujourd’hui au Sénégal, quelle est l’utilité de cette décision ?

Cette décision est importante. Elle était attendue, pas seulement par la communauté médicale, mais également par les malades ainsi que leur famille. C’est en 2005 que nous avons commencé à travailler sur ce texte législatif. Nous avons pu travailler avec toutes les composantes de la société, les députés, les religieux donc, c’est un grand plaisir pour nous que cette loi soit votée par l’Assemblée nationale. Ceci nous permet d’aller vers cette pratique, parce qu’il est extrêmement difficile, dans un pays, de réaliser cette activité sans loi. Parce que sans légifération, ça ouvre à tous les abus et ceci n’est pas bien pour le corps médical ainsi que la société.

C’est pourquoi il est important de légiférer pour pratiquer cela dans les conditions de transparence, comme dans tous les pays du monde. Ceci va changer beaucoup de choses, parce que jusqu’à présent, nos malades qui souffrent d’insuffisance rénale, c’est une population très jeune. La moyenne d’âge est de 35 ans pour nos malades qui sont dialysés. Il y a des enfants âgés de dix ans, parfois moins, d’autres de 15 ans, 20 ans. Ces malades vivent cette dialyse dans des conditions difficiles qui perturbent leur parcours scolaire ou leur travail. Ceux qui en avaient les moyens, une infime partie, allaient se faire greffer à l’étranger (Inde, Tunisie, Maroc). Dans ces pays, ces Sénégalais dépensaient entre 25 et 50 millions de francs pour être greffés. Aujourd’hui, si nous parvenons à réaliser cette étude chez nous, naturellement ce chiffre exorbitant va être divisé par 4 voire 5, en fonction de ce que nous allons mettre sur le problème de la greffe.

Est-ce que le Sénégal a les moyens et les ressources qu’il faut pour faire cette transplantation ?

Absolument. Si nous avons commencé depuis dix ans à y travailler, c’est que nous avons rempli un certain nombre de conditions. Les ressources humaines existent depuis longtemps dans notre pays. Des personnes ont été formées sur cette activité qu’elles ont pratiquée à l’étranger. Le Sénégal a des structures hospitalières capables de réaliser cette activité. Donc, ce qui reste, c’est tout simplement de mettre les structures d’organisation et d’avoir l’appui de partenaires étrangers qui sont très experimentés dans ce domaine technique.

Quel est le nombre de dialysés que cette loi peut sauver ?

Cette loi peut sauver beaucoup de monde. Je disais que nous atteignons difficilement les mille malades dialysés. Si nous savons que parmi ces malades dialysés, beaucoup peuvent être transplantés, on les transplante. Parce que non seulement ils sont jeunes, mais nous allons faire une transplantation avec un donneur apparenté, et celle-ci donne de meilleurs résultats et une meilleure survie du malade. Si nous parvenons à réaliser entre 20 et 50 transplantations par an, ceci aidera beaucoup de malades, en particulier les jeunes, à survivre.

Cette greffe comporte-t-elle des risques ?   

Effectivement, quand on veut donner un rein à un parent. On se pose toujours la question : s’il y a un risque. Mais je vous rassure d’emblée que ce risque est minime. La transplantation est réalisée depuis plus de 60 ans. On a évalué le risque à 0,03%. Ce qui a été constaté de merveilleux dans ce geste extrêmement important, c’est que ceux qui ont donné leur rein, qu’on a pu évaluer après 30 à 40 ans, quand on les a comparés à une population du même âge, mais qui n’avait pas donné du rein, ces donneurs vivaient plus longtemps que les non-donneurs.

VIVIANE DIATTA 

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