Publié le 22 Mar 2024 - 17:39
THIERNO ALASSANE SALL, CANDIDAT A LA PRÉSIDENTIELLE

‘’Mon entrée en politique…’’

 

Il fait partie des 19 candidats qui brigueront, ce dimanche 24 mars, les suffrages des Sénégalais. Thierno Alassane Sall est devenu très célèbre, au lendemain de sa démission de son poste de ministre de l’Énergie en 2017 pour, dit-on, avoir refusé de signer un contrat avec Total. Il démissionne ensuite de l’Alliance pour la République et met plus tard en place la République des valeurs.

 

Parlez-nous de votre parcours scolaire. 

J’ai fait essentiellement mes humanités à Thiès. J’ai fait le cycle élémentaire dans plusieurs écoles à Thiès et à Saint-Louis. À Saint-Louis, en une année, j’ai fait deux écoles. J’étais dans la classe d’un enseignant qui était très absentéiste. Mon père a eu le réflexe de me sortir de cette école en milieu d’année. Ce qui m’a tiré d’un mauvais pas. J’ai eu la chance de faire Khayar Mbengue sur l’avenue De Gaulle, ancienne école de fils de chefs. Ce qui m’a donné une grande passion pour la ville de Saint-Louis. J’ai fait l’école d’application HLM. Elle était dirigée par un directeur qu’on n’oublie jamais : Demba Sarr. Il était le modèle de l’éducateur, du père, de l’autorité au sens total, intégral et positif du terme. Au lycée Malick Sy, qui nous a habitués à une rigueur que beaucoup d’entre nous ne supportaient pas bien, à tel point qu’on l’appelait ‘’Bokassa’’. Le lycée Malick Sy était un creuset d’excellence. Je ne comprends pas d’ailleurs la volonté des États de singulariser certaines écoles en en faisant des écoles d’excellence et en y investissant. Or, avant, la plupart des lycées étaient des lycées d’excellence. Le lycée Malick Sy se singularisait, par exemple, par de très hauts rangs au Concours général.

Que retenez-vous de vos années au lycée Malick Sy ?

Au lycée Malick Sy, on a eu droit à une formation au-delà de celle intellectuelle et académique. On a reçu une formation humaine. C’est là-bas où j’ai reçu mes premières leçons de politique. On trustait avec le marxisme pour les uns, le guévarisme pour les autres. Il y avait des partisans farouches aussi de Cheikh Anta. On admirait nos grands frères, parce qu’ils étaient talentueux au sens plein du terme. Il y a eu des élèves qui ont eu beaucoup d’influence positive sur moi, alors qu’on n’était même pas dans les mêmes écoles. Il y avait une émulation saine. Je pense que ce culte du savoir, de l’excellence a disparu. En classe de terminale, j’avais déjà lu une bonne partie de Marx, de Césaire, de Cheikh Anta. Cela ne m’empêchait pas de lire Hugo, par exemple. J’ai lu plusieurs fois ‘’la Condition humaine’’ (NDLR : écrit par André Malraux, paru en 1933). Je peux vous répéter intégralement certaines parties de ce livre et je peux vous parler de certains personnages comme s’ils étaient des amis. Il en est de même du livre d’Ernest Hemingway ‘’Pour qui sonne le glas’’ (NDLR : paru en 1940). Je me rappelle bien Pablo devenu capitaliste, parce qu’il ne veut plus entreprendre des actions qui fassent que les troupes de Franco viennent nous bombarder. Ce sont des choses remarquables qui vous font. J’ai eu au lycée un Bac scientifique, mais cela ne m’a pas empêché d’exceller dans les lettres. D’ailleurs, notre lycée a raflé les prix scientifiques et littéraires à l’époque. Moi, j’ai été lauréat et premier prix en français, philosophie.

Où avez-vous fait vos études supérieures ?

Après le Bac, j’avais l’opportunité de faire mes études en France ou ailleurs. Mais le destin a choisi que j’aille en Tunisie pour des raisons qu’il serait long d’expliquer ici. Je fais partie de la première promotion de l’École nationale d’ingénieurs de Sfax, en Tunisie. Je n’ai pas regretté d’avoir fait l’électronique avec une spécialisation dans les télécommunications. Je suis toujours curieux d’échanges et, en Tunisie, il y avait beaucoup de Palestiniens. Arafat s’était installé à Tunis. Dans les foyers universitaires, c’était l’époque où les Frères musulmans étaient en train de barouder et d’achever de dégager les marxistes des universités. L’encadrement des universités à l’époque était de formation marxiste, de manière générale. Ces enseignants ont été supplantés par une nouvelle vague d’enseignants qui étaient des ‘’barbus’’, comme on disait. On voyait bien venir ce qui est devenu plus tard le problème d’Ennahdha, Mouvement pour la tendance islamiste, comme on disait.

À l’université, on les voyait organiser des quêtes dans les mosquées, des séminaires ; utiliser la lutte palestinienne pour pouvoir mobiliser certaines sommes d’argent, aider les étudiants non boursiers. Sous ce couvert-là, ils formaient une sorte de famille et de réseau qui finalement allait supplanter les autres mouvements démocratiques ou révolutionnaires qui étaient dans les universités tunisiennes. Je me suis beaucoup passionné pour cet aspect des choses, malgré les cours qu’on suivait.

Quand je suis sorti de l’université, j’ai été recruté à l’Asecna. J’étais jeune et j’avais encore du temps et je suis allé faire économie. Mais j’ai dû arrêter en Licence, parce que les obligations professionnelles, à un moment donné, sont devenues très prenantes.

Parallèlement, j’ai fait un diplôme d’aviation civile à l’École d’aviation civile de Niamey. Au-delà de l’expérience professionnelle, j’ai fait du syndicalisme à l’Asecna. Je suis un des membres fondateurs du Syndicat des cadres de l’aviation civile, alors que j’étais un cadre supérieur. Les gens disaient que ceux qui étaient prédestinés à diriger la structure ne devraient pas se mêler de syndicalisme, mais s’il y a une chose qui reste constante chez moi, c’est cette culture révolutionnaire. Au lycée Malick Sy, j’étais membre du foyer, je participais à organiser des grèves, même si parfois, je me demande, avec le temps, si c’était toujours justifié.

Quand je vois le nombre d’abris provisoires, la déliquescence de nos écoles et notre équipement scolaire, je me dis que nos conditions étaient extrêmement luxueuses. Il est vrai que les bourses arrivaient en retard et les gens qui venaient d’autres villes étaient dans des conditions assez difficiles. Cela nous poussait à une sorte de révolte. Mais si on examine les plateformes revendicatives comparativement à ce qui se passe aujourd’hui, on peut se poser des questions sur le progrès ou la dégradation que notre système éducatif a subie.

Mais à l’Asecna, qu’est-ce qui vous avait poussé à vous syndiquer ?

Cette tendance à essayer de vivre ce que je pense m’avait poussé à être proche des milieux syndicaux. Je me rappelle qu’un jour, un de nos représentants m’a fait venir avec d’autres collègues qui étaient dans la gestion des services techniques et nous a dit : les syndicats menacent de faire grève et on compte sur vous pour éviter que les gens ne bloquent les équipements et les services. Je lui ai dit : monsieur le représentant, je suis désolé, mais moi, je suis syndiqué et le jour où ils seront en grève, j’en ferais partie. Je ne veux pas que vous croyiez que j’ai un engagement avec vous. Il m’a dit : si vous le faites, on vous renvoie. Quand je suis sorti de la salle, les collègues m’ont dit que j’aurai dû me taire et faire après ce que bon me semble. Je leur ai dit que par loyauté, je pense qu’il est plus correct de lui dire afin qu’il sache à quoi s’en tenir. C’était ma façon de l’aider, afin qu’il aille discuter et trouver un terrain d’entente avec le personnel.

Rétrospectivement, je me dis que c’est sur ces bases-là que les gens vous disent que vous êtes un peu ‘’carré’’. C’est la caricature qu’ils utilisent et que je n’aime pas. Non, je pense que je suis entier. Je ne pense pas qu’il faille, pour des raisons particulières, que quand on sent que c’est cela la vérité et les faits, essayer de les masquer pour apparaître politiquement correct aux yeux des autres. J’ai eu ces problèmes-là en beaucoup de circonstances, parce que nous sommes d’une culture faite de ‘masla’ et d’euphémisme ou d’atténuation de la vérité. On utilise des formules plus que diplomatiques, des formules d’arrangement. Dans notre famille, on nous dit qu’il faut être pour la vérité en toutes circonstances. Je pense que nous Africains, l’un des freins à notre développement est cette propension à vouloir toujours masquer la réalité.

Qu’est-ce qui a motivé votre entrée en politique ?

Jeune, j’étais de culture révolutionnaire. Thiès étant une ville fortement imprégnée des idéaux révolutionnaires, surtout depuis la grève des cheminots de 1947. Aussi, il y a beaucoup de partis politiques qui ont eu leur congrès fondateur à Thiès, y compris les partis socialistes de Senghor et Mamadou Dia ainsi que le PAI. Nous sommes dans une ville qui a une forte tendance à la contestation de l’ordre colonial et des autres ordres. Je suis revenu en politique, après une parenthèse professionnelle qui devait normalement m’éloigner de la politique.

Quand j’ai été à l’Asecna, j’ai eu à y occuper de hautes responsabilités et, à travers le monde, j’ai eu à faire partie des experts qui ont eu à travailler dans des programmes assez gratifiants au titre professionnel et personnel.

J’aurais pu, quand j’ai commencé à faire de la politique, en 2009, travailler à l’Organisation de l’aviation civile internationale (OACI) où on me proposait un poste.  J’ai choisi de rester en politique. Je suis entré en politique en 2007, dans une forme de geste de contestation qui est fondateur. On était dans le bureau du ministre des Transports de l’époque, Farba Senghor. Il avait annoncé des choses qui étaient l’antithèse même de la vérité. Il disait que le Sénégal devait sortir de l’Asecna sur décision de Me Abdoulaye Wade, pour des raisons qui étaient totalement non fondées et qui étaient pour ce que nous tous qui étions dans l’aviation l’antithèse de notre ‘’foi’’. Nous croyons à l’intégration africaine, à l’apport positif de l’Asecna. Pour faire main basse sur les terres de l’aéroport et les ressources, ils ont voulu faire sortir le pays de l’Asecna. Nous étions une demi-douzaine de hauts responsables de l’aviation civile qui était dans son bureau, quand il annonçait cela. Je pense que j’ai été l’un des rares à lui dire que les arguments qu’il donnait n’étaient pas vrais. Je me sentais l’obligation de le lui dire. Non pas de le dire dehors ou plus tard, mais en cet instant précis.

Il y a des moments historiques où chacun est jugé par rapport à ses responsabilités. Pour cela et parce que les travailleurs de l’Asecna ont fait plus tard dans la nuit la grève pour contester cette décision, il (Farba Senghor) a fait une conférence de presse, le lendemain, en disant qu’on avait donné instruction pour me faire arrêter, en me traitant de tous les noms d’oiseaux. Cela a constitué un choc. Je me suis dit que si ces messieurs-là croient qu’on est dans une dictature et qu’ils ont autant de pouvoir pour décider de nos sorts, de celui de nos institutions et de nos États comme ils l’entendent, c’est parce qu’ils sont engagés en politique. Je me suis dit qu’il me fallait faire quelque chose. C’est comme ça que je me suis engagé à l’APR, avec le serment de ne pas accepter que le chef puisse prendre certaines décisions radicales sans consulter la communauté concernée.

La démocratie, ce n’est pas l’autorité suprême du chef, comme on le croit ici. Le Conseil des ministres, par la Constitution, est un organe collégial et solidaire. Cela veut dire que les décisions sont prises par la majorité. Mais ici, on met en avant la solidarité, tout en oubliant la collégialité. Vous discutez des idées du président de la République, on vous dit que vous êtes carré. J’ai été l’un des rares à dire : ‘’Est-ce que…’’ On ne peut pas critiquer hier un projet de Wade et arriver au pouvoir pour le continuer ou l’amplifier. C’est se trahir. J’aurais signé un certain contrat, on n’aurait pas dit que je suis carré.

 

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