Publié le 6 Apr 2021 - 22:31
DEDICACES SOULEYMANE TELIKO

L’indépendance contre vents et marées

 

Dans une salle bien remplie, le président de l’Union des magistrats sénégalais, Souleymane Téliko, a présenté son troisième livre intitulé ‘’Indépendance de la justice au Sénégal, faut-il réformer le Conseil supérieur de la magistrature’’.

 
 
Il ne se lasse jamais. Malgré les élucubrations de ses détracteurs, le président de l’Union des magistrats sénégalais, Souleymane Téliko, maintient le cap. Pour lui, il n’y a qu’un combat qui vaille : celui de l’indépendance de la justice et, par ricochet, de la dignité de tous ces magistrats qui refusent de faire le pied de grue devant les bureaux de ceux qui incarnent l’Exécutif pour accéder à certains postes.
 
En séance de dédicace, samedi, de son troisième livre intitulé ‘’Indépendance de la justice au Sénégal, faut-il réformer le Conseil supérieur de la magistrature’’, il a remis ça, malgré les tentatives de le déstabiliser. ‘’Il ne faut pas aussi qu’on soit dans un pays où les gens auraient même peur de parler du Conseil supérieur. Je sais que c’est un sujet qui fâche, mais c’est un sujet important. Nous ne sommes pas là pour plaire ou déplaire. On cherche juste à contribuer à une réflexion qui, pour nous, revêt une importance capitale pour l’indépendance de la justice et pour le pays’’, précise-t-il.
 
Ainsi, Téliko n’entend pour rien renoncer à son combat. Les sanctions disciplinaires, les attaques personnelles, rien ne semble l’ébranler. A ceux qui seraient tentés de lui prêter une coloration politique, il rétorque : ‘’C’est très difficile chez nous d’adopter certaines positions. Parce que dès que vous le faites, au lieu d’apprécier la substance de vos propos, on essaie de vous situer dans un camp. Est-ce qu’il n’est pas de l’opposition, du pouvoir… ? Et on oublie l’essentiel, c’est-à-dire la substance du débat que l’on pose. Nous, nous n’appartenons à aucun camp. Nous sommes du camp de la justice et de la vérité. C’est extrêmement important.’’
 
Etre chantre de l’indépendance de la justice dans un pays comme le Sénégal, ce n’est pas toujours chose aisée. Entre une opinion qui ne comprend pas toujours les enjeux et des adversaires jusque dans son propre corps, il faut avoir les reins solides pour tenir bon. Et les tentatives de bâillonner sa liberté semblent toutes vouées à l’échec. Sur l’obligation de réserve que d’aucuns ont tendance à lui opposer, il assume : ‘’Certaines personnes, même de bonne foi, pensent que le magistrat ne doit pas se prononcer sur certaines questions… Moi, je considère que l’article 11 du statut pose le principe de la liberté d’expression, pour les magistrats, pour toutes les questions d’ordre technique ou professionnel.’’
 
Maintenant, renchérit-il, ‘’chacun est libre d’user ou de ne pas user de cette liberté. Je ne vais jamais reprocher à quelqu’un de ne pas en user. Mais je considère que c’est dans l’expression libre des idées qu’on arrivera à faire avancer les choses. Il faut donc laisser le soin à ceux qui veulent user de cette liberté de le faire. Ceux qui entendent rester dans leur zone de confort, c’est leur choix. Il faut aussi le respecter. Si chacun respecte la liberté de l’autre, il n’y aura aucun problème’’.
 
Avec force conviction, l’ancien juge d’instruction aux Chambres africaines extraordinaires est revenu sur presque toutes les tares qui empêchent de rendre au pouvoir Judiciaire toute sa plénitude. La gestion de la carrière, le musellement du CSM… Tout ! Pour Téliko, point d’indépendance sans une véritable réforme du Conseil supérieur de la magistrature, sans garantie statutaire pour les magistrats, etc. ‘’Si on laisse les magistrats travailler dans ces situations de précarité absolue, ça peut déteindre sur leur comportement, parce que tout le monde n’a pas la même capacité de résistance. Certains peuvent être tentés de céder à la facilité et à la docilité. C’est pourquoi d’ailleurs on prévoit le principe d’inamovibilité dans toutes les constitutions. Il faut empêcher qu’il y ait d’autres pouvoirs qui puissent organiser des représailles contre un juge, simplement parce qu’il a fait son travail’’.
 
A ce propos, le président de l’UMS a cité le cas Ngor Diop, ancien Président du tribunal d’instance de Podor, sanctionné suite à une décision rendue dans une affaire privée impliquant un dignitaire dans le Fouta.  ‘’C’est un exemple achevé de la précarité statutaire d’un juge. Comme le disait un collègue, si vous violez votre statut, vous êtes passible de sanction. Mais si vous vous conformez au statut en fâchant l’autorité également, on vous sanctionne’’.
 
Tout ce que veut l’Exécutif passe…
 
Revenant sur l’esprit du CSM, il déclare : ‘’C’est d’être un organe d’interposition entre les acteurs de la justice et les pouvoirs extérieurs. Pour y parvenir, il faut respecter certaines exigences. Est-ce qu’il est logique de mettre sous le contrôle de l’Exécutif un organe censé le limiter ? C’est un paradoxe. Si vous interrogez l’essentiel des magistrats, ils vous diront qu’ils ne sont pas satisfaits du fonctionnement du CSM. Et pourtant, ce sont de braves magistrats qui sont dans ce conseil. Mais ils ne peuvent rien, à cause du mode de fonctionnement.’’
 
Selon le magistrat, actuellement, le conseil est comme un organe consultatif qui a du mal à jouer véritablement certaines de ses fonctions essentielles : la protection des acteurs par le respect du principe de l’inamovibilité, l’autonomie de fonctionnement de certains aspects de la justice. ‘’Tout ce que veut l’Exécutif, à quelques exceptions près, passe. Parce que c’est l’Exécutif qui dirige. Il fait les propositions, les nominations, c’est lui qui organise selon son bon vouloir. Finalement, le conseil, en dehors de la matière disciplinaire, est juste un organe consultatif’’, tranche net le juge.
 
Et d’ajouter : ‘’Pour qu’un conseil soit efficace, il faut au moins deux critères : l’autonomie vis-à-vis des autres pouvoirs, être doté de prérogatives étendues dans la gestion de la carrière des magistrats. Sans ces deux conditions, le conseil ne pourra pas remplir convenablement ses missions. Il est donc nécessaire de le réformer’’.
 
Il ne s’agit pas, insiste-t-il, d’enlever tout juste le président de la République et son ministre du Conseil supérieur de la magistrature. Il s’agit surtout des mesures d’accompagnement, pour rendre véritablement au conseil son autonomie. Deux mesures s’imposent, selon l’auteur : d’abord, la mise en place d’un système d’appel à candidature ; ensuite, la suppression de la faculté de proposition donnée à l’Exécutif. Des réformes qui ont d’ailleurs fait l’objet de larges consensus, aussi bien au niveau des magistrats que lors des travaux de la Commission de modernisation de la justice. Le combat réside donc plus dans la mise en œuvre des propositions que dans la réflexion.
 
De l’avis du magistrat, ce combat doit être celui de tous les Sénégalais ; pas seulement des acteurs. ‘’Pour une fois, souligne-t-il, on voit les acteurs porter des doléances qui ne sont pas d’ordre pécuniaire, matériel. Il faut s’en féliciter et les encourager. Ceux qui ont la possibilité de parler à l’autorité n’ont qu’à nous aider dans ce sens. L’indépendance de la justice, c’est l’affaire de tous les citoyens épris de justice. Chacun de nous peut se retrouver, un jour, devant la justice’’. Et d’ajouter : ‘’Au Sénégal, on aime pousser les gens à se battre. C’est bien beau de dire au président ‘mangui ci sa guinaw. Demal mangui ci sa guinaw (Vas-y je suis derrière toi)’. Moi, je dis qu’il faut être à mes côtés, non derrière. Et je suis heureux de retrouver des acteurs issus de divers milieux, unis pour la même cause.’’
 
Téliko est un symbole du combat pour l’indépendance de la justice
 
Auteur de l’avant-propos, Maitre Assane Dioma Ndiaye est largement revenu sur les qualités de l’auteur qui, est, selon lui, un symbole du combat pour l’indépendance de la justice. ‘’Je dis qu’il a osé s’attaquer à ce que je considère comme le nœud gordien qui plombe l’indépendance de la justice aujourd’hui. Il s’agit du Conseil supérieur de la magistrature. Souleymane Téliko a donc pris date avec l’histoire. Il aurait pu mener sa mission dans la pure tradition de commodité, mais il a choisi de marquer sa présidence par des prises de position courageuses, aussi bien au plan individuel qu’au nom de son organisation. Par ce livre, il décide de laisser à la postérité des écrits et c’est tout à son honneur. Je salue son courage, mais aussi sa clairvoyance d’aborder encore un débat qui a été rendu beaucoup plus actuel, par les derniers évènements’’.
 
Pour l’avocat, il faut que la société défende ceux qui veulent faire avancer les choses, contre les forces centrifuges tapies dans l’ombre. A propos du passage de l’auteur aux Chambres africaines extraordinaires, il témoigne : ‘’Je ne peux pas ne pas revenir sur les Chambres africaines extraordinaires. J’en reviens parce qu’il faut témoigner, surtout quand on veut, par le biais de forces centrifuges tapies dans l’ombre, nuire à la réputation de certains défenseurs de l’intérêt général. A travers cette commission d’instruction, j’ai vu un homme prendre des positions très courageuses. Donc, vouloir faire croire à des accointances quelconques avec le président Déby…’’
 
De plus, ajoute-t-il, ‘’je vais vous faire une confidence. A travers l’intransigeance de ses juges, leur indépendance, la Commission d’instruction a failli créer une incidence diplomatique, en convoquant directement le président Déby pour l’entendre comme témoin. Quand le gouvernement sénégalais a été informé, il était dans un affolement total ; il s’est étonné que cette convocation ne soit pas passée par le canal diplomatique. Il en était de même pour Déby’’.
 
Pour lui, le combat ne sera certes pas facile, mais il faudra le mener jusqu’à son terme. ‘’Nous n’avons pas d’autre choix. Il faudra mener ce combat. Et il faut également rendre à César ce qui lui appartient. Nous avons aujourd’hui la chance d’avoir des jeunes qui sont conscients de leur mission et qui essaient de l’accomplir. La société a le devoir de les accompagner. Il y va de l’intérêt de tous’’.
 
MOR AMAR

 

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