Publié le 3 Apr 2024 - 16:33
MARY TEUW NIANE, NOUVEAU DIRCAB DU PRESIDENT DE LA REPUBLIQUE

Du PAI au cabinet du président de la République

 

En août 2021, à la veille des élections locales auxquelles il tenait vaille que vaille à prendre part, le Professeur Mary Teuw Niane, alors président du Conseil d’administration de Petrosen, avait accordé une interview à EnQuête. Il y retraçait son parcours d’études, donnait son avis sur le choix des dirigeants au Sénégal, la gestion du pétrole… Nous avons choisi quelques passages qui nous semblent actuels de cet entretien pour vous présenter le directeur de cabinet du tout nouveau président de la République, Bassirou Diomaye Diakhar Faye. M. Niane a été nommé à ce poste, hier.

 

Où le Pr Mary Teuw Niane a fait ses études ?

J’ai fait mes études primaires à l’école Dakar Bango. Je suis allé après au Cem Abbé Boilat qui s’appelait à l’époque CEG Caseille. J’ai fait le cycle secondaire au Lycée Charles De Gaulle où j’ai obtenu le baccalauréat série C (actuelle S1) avec la mention Bien. Ce qui m’a permis d’avoir une bourse d’excellence pour faire les classes préparatoires aux grandes écoles. J’ai fait une année mathématiques supérieures à Orléans, puis Mathématiques spéciales M’ au lycée Descartes de Tours. Senghor y a enseigné, lorsqu’il a été agrégé. Il y a même une salle baptisée Léopold Sédar Senghor. J’ai réussi au concours aux grandes écoles, l’école centrale de Lyon, les écoles nationales supérieures d’ingénieurs (ENSI). J’ai choisi l’ingéniorat électrotechnique à l’école nationale supérieure d’électronique, d’électrotechnique, d’informatique, d’hydraulique de Toulouse (ENSEEIHT). En parallèle, j’ai une fait une licence, une maitrise et un diplôme d’études approfondies de mathématiques appliquées.

A l’issue de cela, je suis rentré au Sénégal. J’ai tout de suite été accueilli à l’université de Dakar par le Pr Maguette Thiam qui m’a présenté au Pr Doudou Sakhir Thiam. C’est ainsi que j’ai obtenu un poste d’assistant à l’Ucad et j’ai soutenu une thèse de doctorat en 3e cycle, en 1984, sous la direction du Pr Doudou Sakhir Thiam. Je me suis orienté après vers les mathématiques plus liées aux sciences de l’ingénieur. Ce qu’on appelle les équations aux dérivées partielles qui sont des mathématiques assez difficiles et à la théorie du contrôle des systèmes. Je suis allé en France pour préparer une thèse de doctorat d’Etat et sciences mathématiques. J’ai eu la chance d’être encadré par le Pr Pierre Grisvard qui était à l’époque le directeur de l’institut Henry Poincaré. Il m’a présenté au grand professeur de l’époque Jacques Louis Lions (ndlr mathématicien français, mort en 2001) qui était président de l’académie des sciences, qui a été directeur du centre d’études spatiales, directeur de l’institut national de recherches informatiques et automatiques. J’ai eu un bureau que je partageais avec Pierre Grisvard à l’annexe du Collège de France à la rue D’Ulm. Cela m’a permis de connaître de grands et vieux mathématiciens français comme Leray. J’ai eu la chance de bénéficier des conseils de Jacques Louis Lions qui m’avait hébergé comme un fils.

J’ai eu à enseigner, durant cette période, à Paris 7, puis à l’institut national de sciences appliquées de Rennes. J’ai soutenu une thèse en mai 1990, je crois à l’université de Nice, Sophia Antipolis. Je suis après rentré à Dakar où j’ai soutenu une thèse de doctorat d’Etat et sciences mathématiques. Cette année coïncidait avec la création de l’université de Saint-Louis, avec la décision du Président Abdou Diouf de l’ouvrir pour l’année académique 1990-1991. J’ai décidé d’aller à Saint-Louis. Il a fallu que je plaide mon sort. Le recteur de l’époque, le doyen Souleymane Niang (paix à son âme), a été très sensible à l’argument que j’avais donné. Je lui avais dit que je voulais être à côté de ma maman. J’ai perdu mon père, alors que j’avais un an et demi et il ne me restait que ma maman et je voulais pour le restant de sa vie être à ses côtés. Je pense qu’en bon halpular, c’est quelque chose qui l’a beaucoup touché. C’est ainsi que j’ai rejoint l’équipe qui a démarré l’université de Saint-Louis. Je pense que j’ai été le premier à faire cours de mathématiques dans cette université, lors de l’ouverture des classes 1990-1991. C’était à une semaine des vacances de noël.

On ne promeut pas les porteurs de savoirs. Vous êtes passé de ministre à PCA, pensez-vous être à la place qu'il faut, celle où vous pouvez valoriser vos connaissances ?

Là où je suis, je valorise mon expérience de management que j’ai accumulée comme directeur d’Unité de Formation et de Recherche, Recteur, Ministre et au niveau international dans les différentes positions équivalentes à celles de PCA que j’ai occupées au niveau africain. Certaines de mes spécialités, comme la modélisation mathématique et la simulation numérique, me permettent d’être à l’aise sur les questions techniques. Donc, mon profil me permet d’assumer ces responsabilités. J’ai la chance d’avoir un profil polyvalent. Les défis pour le Sénégal du secteur pétrolier et gazier me passionnent, car la réussite d’une bonne prise en charge de ce secteur en fera un accélérateur de la marche du Sénégal vers l’émergence économique et social. Si votre question est de me demander est-ce qu’il y a des secteurs qui me passionnent en dehors du secteur gazier et pétrolier. Je vous répondrai qu’il y en a d’autres aussi où je me sentirai à l’aise et qui ne sont pas moins passionnants.

Certains accusent les politiques de valoriser ceux qui ne le méritent pas à la place de ceux qui le méritent vraiment.

Non, c’est certains d’entre eux qui sont à des postes où ils peuvent promouvoir. On ne peut pas développer un pays, si on n’aligne pas les profils et les parcours par rapport aux postes que les gens occupent. Pour moi, c’est une illusion. Et la réalité le montre. A chaque fois qu’on a eu cette situation-là, le pays n’a pas progressé. Il faut revenir à la réalité de tous pays qui se développent. Le capital humain est un élément majeur. On ne peut pas occuper un poste de ministre, lorsqu’on n’a pas le niveau d’occuper un poste de chef de division. C’est une catastrophe et on la paie forcément. Il faut qu’on revienne à une réelle gestion, à la fois du capital humain politique que de celui technique. Je fais un plaidoyer constant en disant aux cadres d’aller dans la politique. Il est naturel que, s’ils ne s’y sont pas, que ce soit ceux qui y sont qui sont promus à des postes de décision. Il ne faut pas après être surpris que les résultats ne suivent pas.

On ne peut pas occuper un poste de ministre, quand on n'a pas le niveau d'occuper un poste de chef de division, dites-vous. Dans le Gouvernement actuel, y a-t-il des gens qui ne seraient pas à leur place ?

C’est une réalité, depuis au moins deux décennies. Évidemment, cela n’aide pas à accélérer la mise en œuvre des plans de développement, la réalisation des résultats attendus, n’assure pas la continuité indispensable des politiques publiques, surtout ne permet aux pouvoirs publics de bien communiquer sur la politique mise en œuvre et, enfin, creuse le fossé de la confiance des populations envers des gouvernements dont l’expertise n’est pas évidente. Posez la question aux citoyennes et aux citoyens sénégalais vous serez édifiée. Tous les pays qui veulent se développer font la chasse aux compétences, à l’expertise et à l’expérience réussie. Il est dommage que les Sénégalais aient aujourd’hui le sentiment que c’est la politique politicienne qui est la base de beaucoup de promotions précipitées.

Comment êtes-vous entré en politique ?

(Il rit) Cela date de loin. J’ai adhéré, en 1976, au Parti africain de l’indépendance dit alors PAI clandestin. Il y avait deux PAI. Celui de Majhemouth Diop et celui dirigé par Seydou Cissokho. Il a été succédé par Amath Dansokho. Le PAI avait une politique de recrutement des meilleurs élèves dans les lycées et en France dans les classes préparatoires. Quand le PAI est entré dans la semi clandestinité en 1978, Harouna Dia et moi avions été choisis à Toulouse pour parler publiquement au nom du PAI clandestin. J’ai participé au congrès constitutif du PIT. J’ai été élu au comité central et c’est en 1993 que j’ai arrêté de militer pour des raisons personnelles. Mon objectif était de créer un laboratoire en mathématiques de niveau international. Cela me demandait beaucoup de temps à consacrer à la fois à la recherche, à l’encadrement, à l’enseignement. Ce qui était difficilement compatible avec les charges militantes.

Je n’avais aucune divergence avec ceux qui étaient au PIT. Amath Dansokho, Maguette Thiam, Samba Diouldé Thiam sont des grand-frères pour moi. Amath l’est resté et sa famille aujourd’hui est quasiment la mienne. J’ai repris l’activité politique, en 2003, avec le PDS. En janvier 2009, j’avais adressé un courrier au Président Wade pour attirer son attention sur les Locales de cette année. Je lui ai dit que les grandes villes avaient toutes les chances d’être perdues. Je lui ai dit qu’il devait prendre en main l’histoire, en ne se présentant pas à nouveau en 2012. Il l’avait bien apprécié même s’il n’avait pas fait ce que je lui conseillais. Wade était quelqu’un qui avait une bonne considération pour les écrits d’intellectuels qui lui étaient adressés et qui étaient bien argumentés. C’est en 2009 que j’ai gelé mes activités au PDS.  J’ai repris les activités politiques avec le Président Macky Sall. A Saint-Louis, nous avons fonctionné de manière autonome. Il y avait Mansour Faye d’un côté et nous de l’autre, puisque Mansour avait organisé le parti à sa manière. Cela ne nous convenait pas. Nous avons milité en parallèle.

Quelle est l’origine de votre prénom ?

(Il rit). Il me porte bonheur pour deux raisons. Parce que j’aime ce prénom-là. J’avais été orienté à l’école normale des jeunes filles quand j’ai terminé ma classe de 3e. C’est à travers tous les problèmes qui en ont résulté que je suis allé faire la classe de Seconde. Ce qui m’a conduit là où je suis actuellement. La deuxième chose, les gens, quand il voit mon prénom, mettent madame. Un jour, j’étais dans mon bureau à l’UGB, mes étudiants, les doctorants sont venus en courant pour me dire que l’Université Buffalo m’a répertorié parmi les black women mathematician. Souvent, je reçois des lettres venant de l’étranger et on met madame. Parfois, le Teuw fait penser à un Chinois. Et les Chinois de l’étranger, quand ils sont dans des organismes scientifiques m’écrivent. Je porte le prénom de mon oncle. Ce dernier est l’homonyme de quelqu’un de Gandiol. On ne trouve ce prénom qu’à Gandiol et Saint-Louis, mais il est mal transcrit. Logiquement, c’est Maritew. Ibrahima Thioub m’a dit que, dans ces recherches, il a trouvé quelqu’un du nom de de Marithow. Il me dit que ce doit être un des homonymes de mes homonymes. J’aime bien ce prénom. C’est un identifiant saint-louisien.

Brillant, habitant Dakar-Bango, vous n’avez jamais été tenté par le concours d’entrée au Prytanée militaire de Saint-Louis ?

Je l’avais tenté, mais je n’avais pas réussi. Je l’avais tenté en CM1. Notre maitre avait décidé de nous présenter toute notre classe à l’examen. On était 15. La moitié de la classe a eu le certificat d’études, j’ai été le seul à avoir l’entrée en 6e. Je suis le premier élève de Dakar Bango à avoir eu l’entrée en 6e. Je me suis rattrapé, parce que mon fils ainé a réussi au concours d’entrée au Prytanée et y a été jusqu’au Bac.

Bigué BOP

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