Publié le 4 Oct 2012 - 10:35
ENTRETIEN AVEC... MASSAER DIALLO (POLITOLOGUE)

«Ce dont Macky Sall a besoin, c'est d'un recentrage et non d’élargissement»

 

Massaer Diallo, philosophe, politologue, ancien directeur de l'Université des mutants de Gorée, analyse pour EnQuête les ressorts fondamentaux d'un ajustement ministériel, et liste des contraintes qui peuvent le rendre inéluctables.

 

 

 

Depuis New York, le chef de l'État a entrouvert la possibilité d'un remaniement du gouvernement. Est-ce pertinent après seulement 6 mois de pouvoir ?

 

En général, les décisions de remaniement viennent souvent à l’improviste. Le fait qu’il l'ait annoncé est probablement lié au fait qu’il envisage d'élargir un tout petit peu la taille du gouvernement. Le jeu principal de la communication se situe à ce niveau par rapport à la promesse qu’il avait faite en mars d’avoir un gouvernement d’une taille réduite. Il n'y a pas particulièrement un rythme qui définisse un gouvernement, un remaniement. Ce dont il est question ici, est moins un remaniement au sens général qu’un réajustement. C’est un premier réglage au bout de 6 mois d’exercice. L’équipe a été mise en route sur la base d’un certain nombre de critères y compris des critères d’alliance politique. Le président a choisi ses hommes. Il y a ensuite une marge qui revient aux partis politiques. Ils viennent d’horizons divers, avec des profils qui ne sont pas nécessairement techniques. Même s’ils sont techniques, ils ne cadrent pas avec le poste où ils se retrouvent. Ce qui peut justifier, par rapport aux défis rencontrés et aux objectifs qui leur sont assignés, que le président puisse revenir pour réajuster en fonction des capacités des gens.

 

 

«Le Président Macky Sall doit bien comprendre qu’il y a un enjeu de confiance entre lui et le peuple.»

 

 

Le profil des ministres répond-il à ce que l’on attend d’eux ?

 

De toute manière, un poste gouvernemental est toujours d’abord politique. L’enjeu d’un gouvernement est de conduire une politique. Cela requiert des compétences techniques qui se situent en aval du poste de ministre. Un ministre doit piloter une équipe qui est technique. Celle-ci doit mériter d’abord la confiance qui est placée en elle. En tous les cas, un ministre doit être compétent. Le ministère ne peut être un lieu pour caser un homme politique. Si on le fait, on sacrifie l’avenir du pays. Je ne pense pas que cela a été le cas avec le président Macky Sall. Toutefois, il faut noter qu’on a un gouvernement d’alliance. Ces membres sont probablement compétents, mais leur profil peut ne pas cadrer avec les postes qu’on leur a confiés.

 

Donc Macky Sall tient compte de cette contrainte d’alliance.

 

Oui, il y a une répartition des portefeuilles. Tous les partis politiques sont des viviers de compétences, mais ceux qu’ils envoient au poste ne cadrent pas toujours avec leur profil. Ça c’est a priori. A posteriori, le président de la République qui est au-dessus du Premier ministre doit tout à fait savoir qu’il faut réagir à temps. Il ne doit pas attendre qu’il y ait des insuffisances et des erreurs pour recentrer son équipe et la resserrer. Et là, il n’est pas question de resserrage mais d’élargissement. Pour moi, ce dont Macky Sall a besoin, c’est d'un recentrage et non d’élargissement. Les grandes urgences sont sociales et économiques. Le Sénégal a beaucoup perdu en matière de performance économique. Il faut relancer la croissance pour que les dépenses sociales qui sont liées à la demande sociale puissent être assumées par le Sénégal, même si les bailleurs de fonds doivent mettre la main à la poche.

 

 

«Un ministère ne peut être un lieu pour caser un homme politique. Si on le fait, on sacrifie l’avenir du pays.»

 

Avec quels moyens le Sénégal va-t-il assurer ses dépenses sociales ?

 

Il faut qu’il y ait un certain nombre de politiques qui marche. C’est la première chose. Deuxième élément, il faut réagir par rapport à des défis qui sont profonds tels que la paix et la sécurité. La question de la Casamance n’est pas une question politicienne. Ce n’est plus de simples négociations entre un groupe secret et un groupe de combattants. Cette question intéresse tout le peuple sénégalais. Dans l’action gouvernementale nous devons retrouver cette politique de paix et de sécurité.

 

Vous pensez que cette question n’est pas suffisamment pris en, charge par le gouvernement ?

 

Quand on exerce le pouvoir au bout de 6 mois, il faut voir dans quelle trajectoire se situer par rapport au défi de la paix et de la sécurité. Il faut une politique visible pour la Casamance qui associe les acteurs politiques et les populations. La négociation est un aspect, la médiation est un aspect de la facilitation, mais elle ne concerne pas la paix entre les militaires qui sont sur le terrain et les combattants. Elle concerne les Casamançais qui ne peuvent plus accéder à leurs terres du fait de l’insécurité, les jeunes qui ont perdu toutes possibilités d’aller à l’école, des gens qui perdent leurs jambes... Le gouvernement ne peut pas confier ces questions seulement à un individu. Ce n’est pas aussi un problème d’un ressortissant ou d’un fils, c’est un problème sénégalais. Les inondations, ce n’est pas une urgence, c’est un défi structurel qui doit être relevé de la même manière que le défi de l’électricité. Sur l’éducation, il est bien de faire une bonne rentrée, mais il faut faire une bonne année, dans le Supérieur comme dans le Secondaire. Il faut que l’Etat prenne en compte ceux qui ont le Bac et qui veulent entrer à l’université. Tous ces défis demandent une politique visible confiée des départements.

 

Quels risques encourt le président dans l'opinion s'il augmentait la taille du gouvernement ?

 

Remaniement ne signifie pas forcement reniement Mais attention : personne n’a imposé à Macky Sall le nombre de ministres dans le gouvernement. Il faut qu’il comprenne qu’il y a un enjeu de confiance entre lui et le peuple. C’est lui qui a bien dit : «Je ferai ceci, si vous m’élisez». Qu’il fasse tout pour garder cette confiance quelles que soient les rasions qu’il peut avancer. C’est plus de la communication politique qu’il faut faire. C’est aux hommes politiques d'aider le président de la République. Nous nous connaissons au Sénégal, il y a des gens qui pensent qu’ils ont le droit d’accéder au poste de ministre sinon ils estiment qu'ils ne sont rien ! La classe politique a les yeux rivés sur le poste de ministre. Ces gens là font directement ou sentimentalement pression pour être nommés. Sinon, ils tirent des ficelles pour vous dire que telle localité, tel groupe ethnique ou telle confrérie, n’est pas assez représenté ! Ce sont des pressions politiques qu’il exerce sur le président et qui, en retour, peuvent lui coûter la confiance du peuple.

 

 

 

«Les inondations, ce n’est pas une urgence, c’est un défi structurel qui doit être relevé de la même manière que le défi de l’électricité.»

 

 

Et que doit-il faire face à cette pression, selon vous ?

 

Il a deux impératifs : premièrement, sauvegarder la fidélité de son alliance. Je crois qu’il y est. Parce qu’il a tiré le bilan de l’ancien régime auquel il a appartenu, il sait comment l’infidélité a contribué à la destruction du PDS d’abord, et progressivement de l’ancien régime. Un parti politique, quelle que soit sa force, ne peut pas à lui seul diriger. Deuxièmement, il doit veiller à ce que cette fidélité ne transforme pas le gouvernement et les institutions en positions de rente. En faisant cela, comme je l’ai dit, il sacrifie la confiance que le peuple lui voue. Il y a un équilibre à faire à sa place ; personne ne peut le faire à sa place. Les gens peuvent l’aider dans son entourage pour résister aux pressions morales directes ou indirectes. Pour cela, il n’a pas besoin de donner de justificatif, il faut qu’il trouve les arguments techniques pour le faire (…)

 

Que peuvent être les dégâts d'un retour de dignitaires de l’ancien régime au cœur du pouvoir ?

 

Macky Sall est un homme politique. Il est issu du PDS, donc il sait ce que cela peut coûter. Le Sénégal est dans un tournant. Aujourd’hui, il y a une hypersensibilité aux questions éthiques, de démocratie et de transparence chez les populations. Il y a un rajeunissement profond de la population sénégalaise. Les jeunes sont confrontés aux problèmes d’emploi. Pour cette raison, ils refuseront que les politiciens puissent occuper une position dans le gouvernement pour faire plaisir au président alors qu'eux ne peuvent pas occuper ce poste malgré leurs mérites. De plus en plus, l’esprit citoyen y compris les partis qui soutiennent le pouvoir ne transigera pas à ce qui peut ressembler à une combine (…) .

 

PAR DAOUDA GBAYA

 

 

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