“Entre la mort et la survie, nous avons choisi la survie”
Malgré la dissolution de son parti prononcée par les juridictions maliennes au mois de juin dernier pour les motifs de ‘’troubles à l’ordre public’’ et ‘’atteinte à la souveraineté de l’État’’, le président du PSDA (Parti social-démocrate africain), qui a interjeté appel, poursuit la lutte acharnée contre ce qu’il appelle de manière caricaturale ‘’le régime assimite’’. De passage à Dakar, il a accordé une interview à ‘’EnQuête’’.
Pourquoi avez-vous quitté le Mali au lieu de rester sur place pour vous battre et dire non à ce que vous considérez comme des dérives du régime militaire en place à Bamako ?
(Rires) C’est souvent un motif invoqué par nos détracteurs. Ce que les gens oublient, c’est qu’en novembre 2021, à la veille de l’organisation des assises dites Assises nationales de la refondation que nous avions boycottées parce que nous savions que l’objectif était, en réalité, de prolonger la transition et non la refondation, sept présidents de parti, dont moi, avaient été reçus à la présidence de la République. Ce jour-là, j’ai dit à Assimi en face que ‘’nous ne participerons pas à ces concertations’’. Je lui ai dit en face que ‘’vous êtes un chef militaire, vous avez été vice-président chargé des Affaires sécuritaires sous Bah Ndao (désigné président à la suite du premier coup d’État qui avait emporté le président IBK) ; que de cette date à aujourd’hui, chaque mois, il y a des villages maliens qui tombent entre les mains des terroristes ou des villages qui signent des pactes avec les terroristes pour avoir la paix’’. Encore en novembre 2023, je tiens à le préciser, pas plus tard qu’il y a juste 10 jours, des localités ont encore signé des pactes avec des terroristes pour vivre en paix. J’avais alors dit ‘’qu’il fallait arrêter ce qui se passe pour ne pas exposer le Mali aux sanctions de la CEDEAO’’.
Malheureusement, les gens ont voulu garder le pouvoir, quel qu’en soit le prix. Ce qui nous a menés vers cette situation difficile que nous connaissons aujourd’hui. Juste pour dire que nous avons toujours été constant, nous avons toujours dit ce que nous pensons ; c’est que les militaires doivent organiser des élections et transmettre le pouvoir à un régime civil. À un moment donné, il y a eu des menaces sur notre vie, nous avons préféré quitter le pays pour continuer la lutte. Au lieu de rester sur place pour subir le même sort que Soumeylou Boubèye Maïga, arrêté par la junte, humilié, envoyé en prison dans des conditions dignes des grands criminels. Et il en est mort. Alors, entre la survie et la mort, nous, nous avons choisi une stratégie pour survivre. Entre l’abandon et la lutte, nous avons choisi de continuer à lutter.
Pouvez-vous revenir sur les raisons qui vous ont poussé à quitter votre pays ?
J’ai quitté mon pays à cause des divergences d’opinions avec le régime militaire en place. Je dois préciser qu’il n’y a rien de personnel. Quand Assimi Goita prenait le pouvoir, il avait juré qu’il respecterait et ferait respecter la Charte de la transition, qu’il allait respecter les accords nationaux et internationaux. Il avait pris l’engagement solennel d’organiser les élections à date, pendant les neuf mois restants et de transmettre le pouvoir aux régimes civils. Nous l’avons cru sur parole, nous l’avons laissé dérouler son programme, nous l’avons accompagné, pour qu’il réussisse dans ses missions régaliennes hautement compliquées.
À un moment donné, il a dévié de la voie qui a été tracée. En tant que porte-parole, l’un des porte-paroles du Cadre de l’opposition, j’ai dit au nom du Cadre : ‘’Puisque la junte a décidé de ne pas respecter le calendrier électoral, la CEDEAO doit être dure, ferme, pour le respect du calendrier électoral. La semaine qui a suivi, la CEDEAO s’est réunie et a prononcé des sanctions contre le Mali, des sanctions qui n’épargnent personne ; ma famille et moi y compris. Suite à cela, certains groupes de soutien de la junte ont fait des manifestations et m’ont pointé du doigt. Il y a eu une cabale contre ma personne. Ont commencé alors les menaces, les invectives partout où je passais. J’ai dû m’éloigner de ma famille pendant une semaine à Bamako parce que ma vie était menacée. Mais on n’a pas flanché, on a continué la lutte dans les différents médias locaux et internationaux dans lesquels on était invité. Et quand la junte a décidé de proroger le mandat de la transition, j’ai dit sur RFI et sur des antennes locales maliennes que : ‘’nous n’allons pas reconnaître la junte ‘assimite’ en tant que président. Et le peuple malien doit lui demander de démissionner’’. C’était pour eux la déclaration de trop, tout a été mis en place pour m’empêcher de sortir du Mali. J’avais le choix entre la prison avec tout ce qui va avec comme supplice et l’exil, j’ai choisi de quitter mon pays.
Vous avez été un haut cadre de l’État malien. Aujourd’hui vous êtes contraint de vivre loin de votre pays, des vôtres, comment vivez-vous tout ça ?
C’est des moments de grande tristesse, des moments de nostalgie. C’est difficile de ne pas pouvoir encadrer ses enfants, de ne pas pouvoir les voir grandir… Mon père a plus de 82 ans ; je ne peux plus aller le voir, le rassurer comme je le faisais avant. Tous les quatre mois, je quittais Bamako pour aller lui rendre visite au village. Je ne peux plus aller me recueillir sur la tombe de ma mère comme je le faisais régulièrement. C’est tout cela qui nous manque depuis janvier 2022, bientôt deux ans, quand nous avons décidé de quitter pour préserver notre intégrité physique. Nous avons aussi été triste de voir des proches qui sont censés nous connaitre mieux que tout le monde nous reprocher des choses simplement parce que nous avons tenu des propos hostiles contre une junte qui semblait être très populaire. Mais nous avons su résister grâce à la foi et à la force de nos convictions, grâce à notre amour inébranlable pour le Mali.
Malgré le tableau sombre que vous peignez, la junte bénéficie quand même d’un soutien populaire massif. Comment expliquez-vous cette popularité d’Assimi ?
Il y a plusieurs raisons. D’abord, reconnaissons-le, certains parmi nous les hommes politiques ont pendant longtemps tronqué le vote des citoyens, ont trahi la confiance des électeurs ; ils n’ont pas pu servir et réussir les missions qui leur ont été confiées au bénéfice des populations. Beaucoup se sont servis, ont usé du népotisme à la tête de l’appareil d’État, en promouvant des militants, des proches, des membres de la famille, ce qui n’a pas aidé à faire avancer l’action publique, avec des cas d’abus de biens sociaux, de corruption avérée… Lesquels ont éclaboussé le régime d’IBK même si le régime a eu à faire pas mal de choses positives, sur les plans socio-économiques notamment. En tout état de cause, tout cela a débouché sur une crise de confiance entre le peuple et la classe politique.
Le terreau était donc fertile. C’est pour tout cela que les auteurs du coup d’État ont été adulés, portés au pinacle lors du premier coup d’État. Mais avec le deuxième coup d’État contre leur propre oncle (Bah Ndao) pour des raisons fallacieuses, l’enjeu était différent. Les militaires voulaient juste se maintenir au pouvoir alors que Bah Ndao n’en voulait pas… Dans tous les cas, les gens ont dit que c’est une affaire interne au régime, laissons-les gérer ça en interne. Mais aujourd’hui, est-ce que Assimi est populaire ? Est-ce que le système ‘’assimite’’ est populaire ? Il est clair que non. C’est un régime qui est en berne. Une des preuves les plus éloquentes est l’envoi en prison d’Adama Ben Le Cerveau, un de leurs plus fervents soutiens, pour avoir simplement émis une voix discordante contre le régime qu’il a toujours soutenu, pour avoir demandé l’organisation des élections. Et il n’est pas le seul. Plusieurs parmi ceux qui étaient les plus fervents soutiens de ce régime, sont revenus à la réalité. Donc, c’est un leurre que de vouloir faire croire que le régime reste toujours aussi populaire.
Pourtant de l’extérieur, on a plutôt l’impression que l’écrasante majorité des Maliens sont satisfaits par l’action du régime. Pensez-vous qu’ils ne se seraient pas battus s’ils n’étaient pas satisfaits ?
Cette impression est une impression vendue par un système de communication soutenu, entretenu, valorisé, payé par le régime à travers des influenceurs qui vivent tantôt au Sénégal, tantôt en Côte d’Ivoire, au Mali, en France ou aux États-Unis. Nous les avons vus se quereller parfois quand il y a des divergences autour du partage du butin. C’est tout ce système-là soutenu également par Wagner et les Russes, via des influenceurs connus pour démanteler les régimes dans notre sous-région, qui tente de faire croire le contraire. Beaucoup d’argent a été investi pour entretenir le mensonge et la manipulation. Mais Assimi n’est pas du tout populaire. L’un des meilleurs baromètres c’est les élections référendaires qu’il a organisées. Seuls 23% des Maliens sont sortis voter. Malgré les magouilles de grande ampleur, on n’a pas dépassé les 23% de participation. 67% des électeurs ont exprimé leur désaccord. Ils lui ont dit : ‘’comme vous avez des armes, comme vous pouvez nous malmener, nous torturer, nous appauvrir, nous préférons garder le silence’’; c’est cela le message. C’est une majorité silencieuse qui est là, qui n’a pas la possibilité de s’exprimer librement.
De plus, dans tous les pays du monde, pour que les populations se soulèvent, il faut qu’il y ait des leaders qui lancent l’alerte, il faut des meneurs. Ensuite vient une masse critique qui se dresse. Tout cela est rendu difficile par la terreur qui a été érigée en système de gouvernance. Nous avons l’exemple de la Dame de Rose, une dame pieuse, vertueuse, connue et respectée de tous pour son travail en tant que commerçante. Elle a été envoyée en prison simplement parce qu’elle a dénoncé la cherté de la vie. Ce n’est pas évident dans ces conditions pour les populations de s’exprimer. Mais il y a de plus en plus une prise de conscience qui se forme petit à petit. Vous avez remarqué tant au niveau national qu’au niveau de la diaspora, la junte a perdu de son influence. À l’époque, il était difficile de parler de la junte au niveau de la diaspora. Il y a des amis qui m’ont combattu et qui aujourd’hui m’appellent pour reconnaître qu’ils se sont trompés. Cela montre aussi que la constance paie.
Quid de la posture des forces politiques et de la société civile ? Peut-on parler de démission de leur part ?
Il faut rappeler que la classe politique est sortie en 2021 ; elle est sortie en 2022 ; elle l’a fait courant 2023. Mais de plus en plus de leaders sont envoyés en prison, des cadres sont envoyés en prison ou menacés. Maintenant, il y a aussi des leaders qui font la politique du ventre, qui guettent des nominations avec le régime. D’autres ont fait des choses et sont obligés de se taire pour ne pas subir des représailles. Aussi, il est difficile même de tenir certaines critiques dans les médias. Ils sont nombreux les journalistes qui m’écrivent pour soutenir mes positions, mais qui n’osent pas les traiter ou les reprendre dans leurs médias. Et on ne peut que les comprendre. La situation est difficile, mais cela ne va pas continuer indéfiniment. Je rappelais que la propagande ne gère pas un pays. Nous avons fait le choix en tant que politiques d’avoir une démocratie comme mode de gouvernance. Je lance encore un appel à la classe politique, que nous préférons la paix au chaos ; la stabilité à l’instabilité ; la démocratie à la dictature. Assimi est devenu un despote aveugle, qui ne voit pas, qui n’entend pas. J’espère qu’il a conscience qu’il est en train de créer les conditions d’un Mali qui se meurt ; d’une Nation étiolée ; une paupérisation notable avec l’absence d’électricité… Aujourd’hui, vous avez au moins 12 heures de coupure par jour. Les populations souffrent en silence, mais ça ne va pas continuer ainsi.
Que pensez-vous de la posture de la CEDEAO dans cet enlisement de la crise malienne ?
La CEDEAO passe à côté de l’essentiel. Et cela remonte au début de la crise. Au lieu de discuter avec la société civile et la classe politique, elle avait préféré discuter avec la junte qui les a coiffés au poteau, qui les a dribblés. Ils sont aujourd’hui pris pour les dindons de la farce. Je pense que la CEDEAO doit se ressaisir et exiger le respect du calendrier électoral. Pendant que la junte paie six à sept milliards tous les mois, pour tuer et massacrer les Maliens avec Wagner, on nous dit qu’on n’a pas 5 milliards pour organiser les élections. Je pense que ce n’est pas sérieux et la CEDEAO doit prendre ses responsabilités.
La junte a quand même remporté une grande victoire avec le retour de l’armée à Kidal. Vous vous en félicitez ?
(Rires) On parle de reprise comme si Kidal avait une fois quitté le giron malien. C’est de la diversion. Vous parlez de retour de l’État, est-ce qu’il y a des juges à Kidal ? Est-ce qu’il y a des maires à Kidal ? Est-ce qu’il y a des services sociaux de base à Kidal ? Vous allez me dire qu’un gouverneur a été nommé à Kidal, est-ce qu’il n’y avait pas un gouverneur à Kidal ? Vous allez me dire que l’armée est à Kidal. Sous IBK il y avait un bataillon à Kidal ? On peut dire qu’elle était confinée, mais elle était à Kidal. Ce qui est constant est que la population de Kidal a été martyrisée, humiliée, tuée au vu et au su de tous par Assimi Goita et son système. Le camp dont on parle, ce n’est pas l’armée malienne qui l’a pris, ce sont les mercenaires russes de Wagner. Voilà la réalité. Jusqu’à ce jour où on parle, le 30 novembre 2023, l’armée malienne n’a pas pris possession de ce camp pour lequel ils se sont battus, pour un combat qui n’avait même pas lieu d’être. Vous pouvez mener votre enquête, aller à sa source pour voir s’il y a un soldat malien à l’intérieur de ce camp. Il ne faut pas faire comme si Kidal n’a pas été malien et qu’il a été conquis. Kidal a toujours été un territoire malien, avec des cadres membres des différents gouvernements qui se sont succédé, jusqu’aujourd’hui.
Certains ont pourtant estimé que cette reprise, même si vous récusez le terme, signifie que le régime avait raison de chasser les forces étrangères et africaines. Êtes-vous d’avis ?
En tant qu’ancien conseiller d’IBK, je fais partie de ceux qui pensent que les forces étrangères sont arrivées au Mali à un moment où nous en avions besoin, que nous devons faire en sorte que ce soit les forces maliennes ou africaines qui soient devant dans cette lutte contre les forces terroristes. Et que les autres accompagnent. Par la suite, il faut le reconnaître, les populations n’ont pas été satisfaites de la manière dont les choses se sont passées sur le plan sécuritaire. Qu’à cela ne tienne, cette force avait toute sa place. Il fallait un retrait organisé, coordonné, tout en gardant les liens avec chacun de ces pays. On aurait pu tout faire de manière civilisée et trouver un accord consensuel. Est-ce que Assimi a eu raison de les chasser comme il l’a fait, je dis qu’il a été ingrat dans sa manière de faire. Tout ça parce qu’il fallait que la Russie vienne, que Wagner soit là. La suite on la connait : avec le charnier de Moura avec une centaine de Maliens tués. Aujourd’hui, c’est Kidal, certains tentent d’indexer le CSP, mais demandez-vous pourquoi la population de Kidal n’a pas indexé les éléments du CSP.
Cette population sait qui a tué. C’est Wagner qui a d’ailleurs accroché son drapeau. Quand c’est l’Ukraine, on en parle, mais quand c’est le Mali on fait comme si de rien n’était. Donc, il n’y a pas eu de victoire, il y a eu de l’assassinat à Kidal, il y a eu de la tuerie à Kidal. Des Maliens sont tués par Wagner sous la conduite d’Assimi Goita, non pas parce qu’il fallait garder Kidal, mais parce qu’il faut conserver le pouvoir. Et les Maliens ont compris que tout ça n’est que diversion. Il s’attendait à ce que les populations sortent pour le plébisciter, ce qui n’a pas eu lieu. Les Maliens ne sont pas sortis comme il l’avait souhaité au boulevard de l’indépendance. Encore que ça n’a pas été spontané, on a sorti beaucoup d’argent pour que les gens sortent.
Est-ce que vous n’êtes pas trop sévère avec la junte ?
Il n’y a rien de personnel dans ce que je dis. Quand nous dressons ce tableau sombre, ce n’est pas pour souhaiter le mal au Mali. Nous avons au cœur le Mali. Nos enfants vivent au Mali, nos frères et sœurs vivent au Mali. Nous serions heureux de savoir que le Mali s’en sort comme le Sénégal et la Côte d’Ivoire, comme le Bénin et le Togo, comme d’autres Nations. Pour cela, on doit pouvoir revenir au dialogue. Aujourd’hui encore, nous disons que le dialogue doit prévaloir. La transition doit respecter ses engagements, organiser des élections et partir. Pour faire la paix, il faut aller dans le sens de libérer tous les prisonniers politiques. Ils (les tenants du régime) ont demandé à être amnistiés pour les coups d’État qu’ils ont commis, pour les crimes qu’ils commettent, pour les détournements. S’ils acceptent cela, on doit pouvoir accepter la libération des prisonniers politiques, le retour des exilés politiques, que la démocratie revienne, que l’on cesse de bâillonner les journalistes. Que les Maliens se soient réconciliés entre eux et avec les peuples frères. Nous avons besoin d’une diplomatie qui attire les investisseurs, qui contribue au développement de notre pays, pas d’une diplomatie va-t’en guerre. Cela ne construit pas un pays.
Propos recueillis par Mor Amar