Publié le 7 Nov 2012 - 20:45
TRAQUE DES BIENS MAL ACQUIS

De la compétence des juridictions

 

 

Image, Google

 

 

S'il ne fait aucun doute que la gestion calamiteuse des anciens dignitaires du défunt libéral sera rigoureusement passée au crible et les fautifs poursuivis devant les juridictions nationales, se pose dès lors la question de leur mise en accusation et de leur traduction devant les cours et tribunaux. Une question complexe que des acteurs de la justice sénégalaise ont bien voulu élucider pour les lecteurs d'EnQuête.

 

L'actualité veut que l'ancien Tout-puissant ministre d'État, ministre des Infrastructures, de la Coopération internationale, des Transports aériens et de l'Énergie, Karim Wade, soit dans le collimateur de la justice. En effet, le 15 novembre prochain, le fils de l'ex-président Abdoulaye Wade sera à nouveau auditionné par les gendarmes de la Section de recherches. Une information confirmée par des sources proches de la Justice. Toutefois, compte tenu de sa qualité d'ancien ministre, quelle sera la juridiction compétente pour le traduire en justice, si les enquêtes et les audits en cours épinglent ses différentes gestions. La question est valable pour tous les autres dignitaires de l'ancien régime soupçonnés d'enrichissement illicite et dont certains bénéficient aujourd'hui d'une immunité parlementaire. Aujourd'hui que la machine judiciaire s'emballe et que la traque des biens mal acquis s'organise, avec la conférence de presse de cet après-midi du procureur spécial près la Cour de répression de l’enrichissement illicite (Crei), Alioune Ndao, force est de reconnaître qu'on risque d'assister à d'épiques joutes juridiques. En attendant, des juristes se prononcent sur toutes ces questions.

 

Quelle juridiction pour la répression des biens mal acquis ?

Le Sénégal a-t-il l'arsenal juridique pour la répression des biens mal acquis ? La réponse est oui, selon certains juristes. ''Nous l'avons, dit-on. La Cour de répression de l'enrichissement illicite ne date pas d'aujourd'hui. C'est depuis 1981. On n'a même pas repris les textes. On a fait que les réactiver, en nommant les membres. C'était en léthargie''. Nos interlocuteurs de poursuivre : ''On demande à la personne de justifier ses ressources, par rapport à son train de vie, quand on voit qu'il excède les ressources qu'on lui connaît. S'il n'y parvient pas, on présume que c'est un bien mal acquis. Ce sont des personnes qui ne sont pas des privés, mais ont une charge publique. C'est à eux de justifier que ce sont des biens licites''.

 

Exit ces précisions, la question fondamentale concerne les voies et moyens de poursuivre ces présumés prévaricateurs qui, dans le cas d'espèce, sont essentiellement d'anciens dignitaires (ministres, députés, directeurs généraux...) du défunt régime libéral. Ici, renseignent nos interlocuteurs, il y a des préalables à toute poursuite. Car ''Il faut distinguer deux choses. Il y a des gens qui ont des immunités de juridiction, ce sont les ministres qui sont redevables de la haute cour de justice, les magistrats qui sont redevables d'autres juridictions autres que celles ordinaires... Et les immunités : ce sont les députés. On ne peut pas les poursuivre sans lever leurs immunités. Mais, ils sont redevables des tribunaux ordinaires'', renseigne-t-on. Si en ce qui concerne le député, une simple levée de l'immunité suffira. Pour ce qui concerne les ministres, il faut qu'ils soient redevables de la haute cour de justice. ''Il faut un acte de mise en accusation qui est prise par l'Assemblée nationale, si le concerné a posé des actes de prévarication en étant ministre'', expliquent nos interlocuteurs. ''Un ministre est nommé. Il a une charge publique. On connaît son salaire. Maintenant, si son train de vie excède largement ce qu'on lui paie, on lui demande de s'expliquer''. Ce haut magistrat déclare : ''Je pense que si tout le monde veut la transparence, la bonne gouvernance, on ne doit pas s'effaroucher pour ce genre de juridiction'' et croit bon d'ajouter : ''Ce sont des hommes politiques. Mais, il faut bien qu'ils rendent compte. Ils n'ont qu'à aller s'expliquer.''

 

Les procédures

Si la majorité des Sénégalais veulent que l'ancien ministre d'État, ministre des Infrastructures, de la Coopération internationale, des Transports aériens et de l'Énergie, Karim Wade et d'autres anciens comptables des deniers publics rendent des comptes de leur gestion, on ne cesse néanmoins d'épiloguer sur leur mise en accusation. Concernant Karim Wade, la question d'un mandat d'arrêt est soulevée ou encore la possibilité pour lui d'être mis aux arrêts par la section de recherches de la gendarmerie. Que nenni ! ''La Section de recherches ne peut pas le mettre aux arrêts''. Toutefois, explique ce juge : ''En réalité, les enquêtes sont les premiers éléments que nous avons. On ne peut pas les inventer. C'est comme l'Ige qui n'a pas vocation à aller prendre quelqu'un. Ils mènent des enquêtes et donnent des pistes sur les actes de prévarication. Maintenant, si on les traduit en actes de mise en accusation, c'est sur cette base qu'il faut saisir la commission d'instruction.''

 

Cette commission d'instruction est logée à la Cour d'Appel. Y figurent le premier président de la cour d'Appel, assisté de quatre magistrats qu'il choisit, à l'issue d'une assemblée générale qui se tient chaque début d'année à la cour d'Appel. Il faut préciser que le président de la chambre d'accusation est l'adjoint direct du président de la commission d'instruction.

 

Donc, en ce qui concerne l'ex-ministre Karim Wade, les PV des enquêteurs de la gendarmerie seront transmis à la juridiction compétente en matière de haute cour de justice qui va les transmettre à l'Assemblée nationale. Car, après l'instruction, le dossier est envoyé à la juridiction de jugement. ''Comme c'est une juridiction politique, explique-t-on, le seul magistrat qui y siège est le premier président de la Cour suprême''. Les autres membres sont des députés. Le magistrat préside sur la base du dossier qui lui a été envoyé par la commission d'instruction. ''Maintenant, poursuivent nos juristes, la commission ne peut instrumenter que sur la base d'un acte de mise en accusation voté par l'Assemblée nationale''. Ainsi, un dossier sera confectionné, c'est-à-dire un acte de mise en accusation, à partir des faits relatés par les gendarmes. Les membres de la commission vont qualifier les faits et déterminer les chefs d'accusation pour lesquels on va le poursuivre. ''Idrissa Seck a été poursuivi pour détournement de deniers publics, prise illégale d'intérêts etc., sur la base du rapport de l'Ige'', explique ce haut magistrat qui note que ''ce n'est pas dit que tous les ministres doivent être audités par l'Ige. Car, poursuit-il, les gendarmes peuvent faire les enquêtes concernant les ministres, mais ils ne peuvent pas les arrêter. Ils font les enquêtes, les auditions, ensuite, ils envoient tous les éléments au procureur qui va voir la voie la plus indiquée. S'il faut les envoyer à l'Assemblée nationale, il le fait. Une mise en accusation est votée. La commission commence à instrumenter sur la base de l'acte de mise en accusation voté par l'Assemblée nationale''.

 

Idrissa Seck et Salif Ba

 

Ici nos interlocuteurs reviennent sur deux cas d'école : les chantiers de Thiès et l'interpellation de l'ancien ministre de l'Habitat et de la Construction et ancien directeur du Projet de Construction et de Réhabilitation du Patrimoine bâti de l’État (Pcrpe), Salif Bâ .

 

L'affaire Idrissa Seck avait été jugée par une commission d'instruction composée de 5 magistrats. ''Là, c'était le droit commun. C'est ce qui devait être'', précise-t-on. Nos juristes donnent l'exemple du sang contaminé en France où des médecins ont pris du sang chez des gens contaminés. ''C'est une décision malhonnête qui a entraîné mort d'homme. Il y a des gens qui sont affectés par le Sida. Donc le ministre est poursuivi en tant qu'autorité administrative de tutelle. Cela n'a rien à voir avec le vol qui est une responsabilité personnelle. C'est cette confusion qui est faite'', explique-t-on. Pour les actes de prévarication, on considère que le ministre qui gère les deniers publics est passible de poursuite, parce qu'il a ''pris des décisions qui ont pour conséquences de dissiper l'argent public''.

 

En ce qui concerne l'ancien directeur du Pcrpe, puis ministre de l'Habitat et de la Construction, Salif Bâ, ''il y a des actes qu'il avait posés en tant que directeur et d'autres en tant que ministre'', explique-t-on. Ainsi, pour les actes posés en tant que directeur du PRCPE, il était redevable des tribunaux ordinaires. Et pour les décisions de versement qu'il avait signées en tant que ministre, il était redevable de la haute cour de justice. ''Il y avait un dédoublement fonctionnel. Il était à la fois redevable de deux juridictions différentes'', indique-t-on.

 

Débat autour de la Crei

Considérée comme l'arme idéale pour la répression de la délinquance économique qui avait fini de gangrener l'économie de ce pays, la cour de répression de l'enrichissement illicite n'en est pas moins sujette à caution. Outre les anciens dignitaires du régime libéral et leurs avocats, des juristes émettent des réserves. ''Mon point de vue personnel est que les textes n'ont pas été revisités et mis en adéquation des conventions internationales qu'on a signées. Notamment, la garantie d'un procès équitable, le principe de la contradiction. Que cela ne soit pas de l'inquisition, qu'il ne s'agisse pas de renversement de charge de la preuve, comme c'est le cas avec le tribunal-là. Car, ces engagements sont au-dessus de la loi, même de la Constitution. C'est en cela que les gens disent que c'est illégal, ça viole le principe d'un procès équitable''. Les pourfendeurs de cette Cour estiment que le ministère public doit apporter les preuves de ses accusations, et non la personne poursuivie. ''Cela est une discussion juridique'', tempère ce juge. Car poursuit-il, ''si quelqu'un vit au-dessus de ses moyens et ne peut pas apporter la preuve que c'est son argent propre ou l'a hérité, étant entendu qu'il gère de l'argent public, il ne peut s'agir que d'argent public''.

 

Gaston COLY

 

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