Publié le 12 Jun 2018 - 02:23
YATMA FALL, PRESIDENT DE LA FÉDÉRATION SÉNÉGALAISE DES ASSOCIATIONS DE PERSONNES HANDICAPÉES (FASPH)

‘’Nous sommes vraiment choqués de voir de telles images’’

 

Les violences exercées sur deux femmes handicapées ont provoqué la colère du président de la Fédération sénégalaise des associations de personnes handicapées (FASPH). Le membre du Haut conseil des Collectivités territoriales se dit choqué par cette situation. Yatma Fall analyse, dans cette interview, les difficultés auxquelles sont confrontées les personnes vivant avec un handicap, fait le point sur la situation des cartes d’égalité des chances et se prononce sur leur nouveau projet de participation à la vie politique et citoyenne, etc.

 

Quel commentaire faites-vous de la vidéo qui défraie la chronique, depuis vendredi dernier. Ces images diffusent un agent de sécurité de proximité (ASP) qui maltraite deux femmes handicapées motrices assises sur leurs fauteuils roulants ?   

C’est un sentiment d’indignation que nous ressentons. Nous sommes vraiment choqués de voir de telles images. Nous sommes d’autant plus peinés que cette violence contre la dignité humaine a été commise un jour saint (vendredi) un mois saint (ramadan), période de concorde, de solidarité et de pardon. Ce qui est encore regrettable dans cette affaire, c’est que l’acte a été commis par des agents qui sont chargés d’assurer notre sécurité. C’est pourquoi nous condamnons cette violence des agents sécuritaires exercée sur des personnes handicapées, avec la dernière énergie. La fédération demande au procureur de la République de s’autosaisir et d’ouvrir sans délai une enquête pour arrêter les auteurs de ce forfait. Ils sont identifiés et identifiables dans la vidéo qui circule sur les réseaux sociaux. Nous voulons que les coupables soient traqués et punis à la hauteur de l’acte commis. L’Etat doit savoir que la question de la mendicité des personnes handicapées ne peut pas se régler par la violence.

Nous avons saisi nos avocats et on leur a demandé de faire le nécessaire pour que nous puissions nous constituer partie civile dans cette affaire. La fédération va mener le combat jusqu’à son terme. Elle a alerté ses sections des régions du Sénégal. La Fédération Ouest africaine des personnes handicapées et l’organisation mondiale des personnes handicapées sont aussi informées. Elles sont en train de suivre avec nous l’évolution de la situation. Nous restons vigilants et mobilisés pour éviter que de pareilles situations se reproduisent dans l’avenir. Le Sénégal est un pays de droit. Il faut donc qu’il le soit pour tout le monde, y compris les personnes qui vivent avec des handicaps.    

Ne pensez-vous pas que les personnes handicapées doivent arrêter de mendier pour éviter des confrontations avec les forces de l’ordre ?  

Il faut savoir que la mendicité est la conséquence d’une exclusion sociale de fait des personnes handicapées. Certains de nos membres sont exclus de l’école et de la formation professionnelle. Notre système éducatif n’est pas inclusif. Du coup, la seule alternative qui s’offre à ces individus, c’est de tendre la main. Nous invitons l’Etat à régler la question de la mendicité de façon structurelle, en rendant accessible le système éducatif. Il doit aussi mettre en place le fonds d’appui des personnes handicapées prévu par la loi d’orientation sociale. Cette structure aura pour rôle de financer des activités créatrices de revenus aux handicapées qui sont dans la rue afin de leur permettre de retrouver leur dignité.  

La FASPH a tenu récemment un atelier de formation sur la participation politique et citoyenne des personnes handicapées. Qu’est-ce qui est visé ?

Ce séminaire s’inscrit dans le projet de participation politique et citoyenne des personnes handicapées et s’étale sur cinq ans (2016-2021. Ce projet est financé par l’Agence irlandaise de développement et la fondation ‘’Sightsavers’’ (Organisation non gouvernemental allemande ndlr) pour un montant de 500 millions de francs Cfa. Ce qui est visé à travers ce projet, c’est de réaffirmer d’abord le statut de citoyen des personnes handicapées. On est des citoyens comme les autres Sénégalais. Nous avons donc des droits et des devoirs. Et nous pensons que notre droit de participation politique n’est pas bien respecté. C’est pourquoi on a voulu mettre le focus à travers ce projet pour que ce droit soit davantage affirmé. Et nous voulons, au terme de ce projet, avoir un système électoral plus inclusif. Nous avons constaté que le système électoral ne nous prend pas en compte. Les bulletins de vote ne sont pas faits en braille pour permettre aux personnes aveugles de lire les contenus. Les professions de foi, les déclarations et les meetings des candidats ne sont pas traduits en langue des signes pour permettre aux sourds de comprendre les messages et de pouvoir faire les choix librement. Les bureaux de vote et les centres de vote ne sont pas aussi accessibles aux handicapés moteurs.

La Fédération compte travailler avec la direction générale des élections pour faire en sorte que les personnes handicapées puissent exprimer librement leur choix, lors des prochaines élections au Sénégal.  Et pour ce faire, il faut que les autorités étatiques rendent accessibles les bureaux de vote, le matériel de vote et la communication électorale. L’autre ambition du projet, c’est d’améliorer notre participation citoyenne. Et là, c’est plus ancré dans le développement local. Nous sommes à l’ère de la territorialisation des politiques publiques avec les pouvoirs importants dévolus aux communes et départements à partir desquels le développement sera impulsé. Nous pensons que ce développement ne doit laisser en rade aucun Sénégalais, y compris les personnes handicapées.  C’est pourquoi, dans le cadre du projet, nous sommes en train de former des jeunes leaders en leur donnant les outils nécessaires pour qu’ils puissent se déployer dans leurs localités et porter la voix de leurs camarades au niveau des conseils municipaux et départementaux. Nous voulons, à travers ce projet, travailler pour une bonne représentation dans les prochains bureaux des conseils municipaux départementaux qui seront institués, dès 2019.

Quelles sont les principales difficultés auxquelles vous êtes confrontées ?

Les personnes handicapées constituent 15% de la population sénégalaise. Nous avons fait un diagnostic sur la situation du handicap pour voir dans quel état se trouvaient ces 15% de la population sénégalaise. Cette enquête a révélé l’existence de quatre types de problèmes que nous rencontrons.  Le premier, c’est la difficulté d’accéder aux structures de santé, à l’appareillage et aux services de réadaptation. Le deuxième concerne les difficultés liées à l’accès à l’éducation et à la formation. Les établissements scolaires sénégalais ne sont pas préparés à prendre en charges des apprenants handicapés. Les enseignants ne sont pas formés pour encadrer des enfants aveugles ou sourds-muets. Le troisième est lié à l’accès à l’emploi et à la formation. La dernière, c’est l’absence d’aménagement du cadre de vie général et à la mobilité. Les autorités construisent beaucoup d’infrastructures, mais elles ne pensent pas souvent aux handicapés qui ont le droit de se déplacer. Il faut donc que l’Etat veille au respect de l’aménagement du cadre de vie en prévoyant des rampes inclusives dans les édifices publics. Nos médias audiovisuels aussi nous oublient.

 La télévision nationale sénégalaise n’a pas institué un service d’interprétariat en langue des signes. Elle doit penser aux personnes sourdes qui ont droit à l’information. Il incombe à l’Etat de prendre toutes les dispositions pour que les sourds-muets puissent s’informer et s’épanouir dans la société. Donc, nous invitons la télévision nationale et les chaînes privées à installer un service d’interprétariat en langue des signes comme cela se fait dans d’autres pays.

Pouvez-vous nous dire l’état actuel des cartes d’égalité des chances ?

La carté d’égalité des chances a pour rôle de permettre à son détenteur d’avoir un accès facile aux services sociaux de base : santé, éducation, transport, habitat etc. Le gouvernement a atteint actuellement son objectif de produire 50 000 cartes en 2017. Mais le problème se trouve dans l’effectivité de l’accès aux différents services. Les détenteurs des cartes n’ont droit qu’à deux services : l’enrôlement dans les mutuelles de santé pour être pris en charge par la couverture maladie universelle et l’octroi d’une bourse de sécurité familiale. Le transport, l’éducation, les financements ne sont pas encore effectifs. Ces différents services transcendent notre ministère de tutelle : Santé et Action sociale. Ils sont gérés par de nombreux ministres. C’est ce qui est à l’origine du blocage. Nous attendons aussi la signature de tous les décrets d’application de la loi d’orientation sociale. Le Premier ministre avait, lors du conseil interministériel dédié au handicap, annoncé que ces décrets seront être signés avant la fin du mois de juin 2018.

Est-ce que l’actuel régime a procédé à un recrutement important de personnes handicapées dans la fonction publique ?

L’Etat a réservé un recrutement de 15% de la Fonction publique aux personnes handicapées, mais ce quota n’est pas respecté pour le moment. Nous avons tout de même constaté qu’il y a eu des avancées. Il y a beaucoup de jeunes qui sont dans la Fonction publique. Il faut s’en féliciter. Mais tout le monde ne peut pas être enrôlé par l’Etat. Il faut que le privé soit plus audacieux et recrute parmi nos membres. Nous sommes en train de sensibiliser nos jeunes sur l’auto emploi, en les invitant à contacter l’Agence nationale pour la promotion de l’emploi des jeunes (Anpej). Nous ne voulons pas être un poids pour la société. Nous voulons être des personnes qui contribuent dans la construction de notre pays. Et il faut que nos droits soient respectés pour que cet objectif puisse être réalisé.

Le directeur de Dakar Dem Dikk a rendu gratuit le transport des personnes handicapées. N’est-ce pas une mesure salutaire pour la FASPH ?

Nous avons déjà salué cette mesure du directeur de Dakar Dem Dikk. Il ne s’est pas limité à rendre gratuit le transport. Il a recruté 25 à 30 jeunes handicapés. Certains d’entre eux sont embauchés comme receveur ou agents d’administration. Maître Moussa Diop a aussi pensé aux handicapés moteurs en aménageant les nouveaux bus.  Sur les 475 nouveaux bus récemment acquis par la société Dakar Dem Dikk, le 1/3 est aménagé pour permettre aux personnes à mobilité réduite de les emprunter librement. Il a respecté les rampes d’inclusion. Les nouvelles mesures du directeur de Dakar Dem Dikk sont salutaires. J’invite les autres autorités à s’inspirer de lui.

OUMAR BAYO BA

 

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