Et si Macky Sall avait raison

Jamais, dans l’histoire du Sénégal, le Fonds monétaire international (FMI) ne s’est autant senti en position de force qu’aujourd’hui. Bouclées les discussions entre le puissant bailleur et l’État du Sénégal, ce dernier n’a d’autre choix que de compter sur une attitude bienveillante du Fonds pour que la coopération redémarre. Au moment où les discussions sont finalisées en attendant les décisions concrètes du Conseil d’administration de l’institution financière de Bretton Woods, la question se pose sur l’efficacité de la méthode Sonko-Diomaye sur la communication de l’État du Sénégal, depuis le départ de Macky Sall du pouvoir.
Si certains proches du nouveau régime sont réellement appâtés par le discours va-t-en-guerre du Premier ministre Ousmane Sonko, dans certains cercles bien au fait des ‘’conséquences désastreuses’’ subséquentes, la méthode est ‘’très critiquable’’. L’on se rappelle bien que les hostilités ont réellement commencé lorsque le Premier ministre, dans sa première grande sortie consacrée à la situation économique du Sénégal, chargeait : ‘’Le régime du président Macky Sall a menti au peuple, a menti aux partenaires, a tripatouillé les chiffres pour donner une image économique, financière et budgétaire qui n’avait rien à voir avec la réalité.’’
En pleine euphorie d’un pouvoir qui vient de s’installer, le Premier ministre, entouré de ses ministres de l’Économie, du Plan et de la Coopération, Abdourahmane Sarr, Ousmane Diagne de la Justice et du secrétaire général du Gouvernement Al Amine Lo, distribue la parole, en l’absence remarquée du ministre des Finances Cheikh Diba. Il apparaîtra plus tard que ce dernier n’a jamais cautionné cette forme de communication qui satisfait certes les réflexes de l’électorat dit ‘’souverainiste’’, mais cassait la note souveraine du Sénégal sur les marchés.
C’est donc son frère jumeau de l’Économie qui assène violemment les chiffres. Morceaux choisis : ‘’La dette publique a été annoncée en moyenne à 65,9 % du PIB durant la période 2019-2023. Mais en réalité, elle a été en moyenne de 76,3 % du PIB en raison des déficits publics plus élevés que publiés (…) Ainsi, en fin 2023, par exemple, la dette de l’État central, hors secteur parapublic, est à 15 664 milliards, soit 83,7 % du PIB, alors qu’elle était avancée à 13 772 milliards ou 73,6 % du PIB.’’
Il s’agit donc ‘’d’un supplément de dette contracté et non publié de près de 1 892 milliards, soit 10 % du PIB de plus’’. Et d’expliquer que "cette dette supplémentaire est principalement due à des tirages sur des prêts projets sur financements extérieurs et des prêts contractés auprès des banques locales de façon non transparente’’.
Le Premier ministre, en chef d’orchestre, pouvait donc incriminer les bailleurs, au premier rang desquels le Fonds monétaire international et jeter en pâture les tenants du régime de Macky Sall. L’ardoise et lourde, puisqu’il s’agit de 7 milliards de dollars de ‘’dette cachée’’. ‘’Les partenaires avaient accepté que le Sénégal puisse aller, en termes de lever de fonds, au-delà de ce qui était annuellement autorisé (…) Au moment où l’on parle, nous ne retrouvons nulle trace de l’utilisation de ces fonds".
Le ministre de la Justice, Ousmane Diagne, pouvait, quant à lui, avec nuance, annoncer la suite à réserver à tout cela : ‘’Ces faits sont d’une gravité certaine et semblent revêtir une qualification pénale que les autorités judiciaires compétentes saisies vont devoir déterminer au moyen d’investigations qu’elles jugent appropriées. Il appartiendra donc aux autorités judiciaires et policières de le déterminer. C’est leur travail. Mais ce que je peux dire, c’est que ce sera fait avec le maximum de rigueur, de transparence et sous réserve de la règle et du principe de la présomption d’innocence.’’ La messe est dite.
Le peuple, qui attend du nouveau régime qu’il fasse décoller l’économie jamais comme le Sénégal n’en a connu, est satisfait. Il faut punir les coupables, redresser et impulser. Sauf que cette communication ultra spectaculaire, pour honnête qu’elle puisse apparaître, ne manque pas de créer des problèmes.
Dès le lendemain de cette opération de communication, Magaye Gaye, économiste, tire la sonnette d’alarme dans les colonnes du ‘’Soleil’’, sur les risques encourus : ‘’La révélation de cette dette cachée suscite des inquiétudes sur les marchés financiers, notamment la notation du pays et la confiance des investisseurs. Si cette situation entraîne une nouvelle dégradation de la note du Sénégal, cela pourrait se traduire par des coûts d’emprunt plus élevés et une limitation de l’accès aux financements internationaux, surtout du côté des créanciers privés. Cependant, il faut relativiser ces inquiétudes, car ce qui importe aux bailleurs de fonds internationaux, ce sont, avant tout, les fondamentaux économiques du pays.’’
Les effets négatifs n’ont pas tardé à se manifester, plus rapidement que prévu d’ailleurs. Septembre 2024, le FMI gèle son programme d’aide de 1,8 milliard de dollars jusqu’à clarification de la situation. En février 2025, Moody’s dégrade la note du Sénégal, passant de B1 à B3. Standard & Poor’s, se fondant sur la réévaluation du niveau d’endettement, estimé à 118 % du PIB, abaisse elle aussi la note à B-.
Ces réactions des agences de notation sont la conséquence directe de la stratégie du tout transparent. Méthode qu’un haut fonctionnaire du FMI trouve ‘’puérile’’. ‘’Tous les États ont leur méthode pour attirer financements et marchés. Les nouvelles autorités auraient pu gérer cette affaire en toute discrétion et en bonne intelligence avec les bailleurs. Ce qui aurait pu permettre de trouver plus sereinement des solutions, sans affoler les marchés. Au finish, c’est le Sénégal qui perd, puisqu’il va être obligé de suivre à la lettre les directives du FMI’’.
En gros, ‘’le Sénégal s’est tiré une balle dans le pied’’.
Quid de la méthode Diomaye-Sonko comparée à celle de Macky Sall ?
Pourtant, la communication du président Macky Sall sur les institutions n’a jamais été tendre. Bien au contraire, à l’Assemblée générale des Nations Unies, à New York, le 24 septembre 2019, il déclarait ceci : ‘’L’Afrique n’a pas besoin de programmes dictés de l’extérieur, mais de partenariats respectueux de ses priorités. Les conditionnalités imposées par les institutions financières internationales sont souvent trop rigides et inadaptées à nos réalités.’’ Morceaux repris au Forum de Dakar sur la Paix et la Sécurité, le 11 novembre 2020 : ‘’On ne peut pas nous demander d’investir massivement dans les infrastructures, la santé et l’éducation, tout en nous imposant des plafonds d’endettement qui ne tiennent pas compte des besoins de nos populations.’’ Et nommant directement au Sommet UA-UE, Bruxelles (février 2022), les deux institutions incriminées, il déclare : en tant que président de l’Union africaine, ‘’nous demandons une révision des critères du FMI et de la Banque mondiale pour l’accès aux financements. Il faut tenir compte du fait que nos pays partent avec un déficit historique en infrastructures’’.
Il reprendra le même laïus sur les conditionnalités trop strictes du FMI et des bailleurs, sur la refondation les relations Nord-Sud sur l’équité et la solidarité, la réforme de la gouvernance économique mondiale, en plusieurs autres occasions, notamment lors du Sommet de Paris sur le financement des économies africaines (18 mai 2021), au Sommet du G20, à Bali le 15 novembre 2022, au Sommet de l’Union africaine à Addis-Abeba en février 2022.
Macky Sall critiquait les bailleurs de fonds et leurs conditionnalités, mais tout en déployant une stratégie souterraine pour lever des fonds.
Autant dire que si la formule de Macky Sall peut être décriée du point du respect des normes communément admises dans la gestion des finances publiques, il reste qu’elle a permis l’érection d’infrastructures dont pour l’efficacité pour certaines (stade Me Abdoulaye Wade par exemple) peut être douteuse. Mais ce qui est des hôpitaux, universités, routes, etc., il reste clair que beaucoup d’infrastructures dans ces secteurs n’auraient pu être érigées, si le Sénégal s’était aligné dans les starting-blocks des bailleurs.
Fallait-il vendre la mèche aux bailleurs ?
AMADOU FALL