Publié le 2 Mar 2021 - 20:36
ARRESTATIONS TOUS AZIMUTS

L’Etat de droit mis à rude épreuve, au risque de tensions sociales imminentes

 

Après les enseignants, c’est un autre syndicat influent de fonctionnaires qui dénonce des arrestations arbitraires d’un collègue. Un pas de plus vers des dérives qui menacent le pays, depuis les accusations de viols et de menaces de mort à l’encontre du principal opposant au régime en place.

 

Résistance ! Le mot a été lancé par le leader du Pastef/Les patriotes, lors de sa dernière conférence de presse, jeudi 25 février 2021. Dénonçant un complot ourdi par le pouvoir en place pour détruire son avenir politique, Ousmane Sonko a invoqué son droit constitutionnel de résister à l’oppression. En même temps, il a invité chaque Sénégalais à faire son introspection et à user, si nécessaire, de ce même droit pour refuser la liquidation injuste d’un adversaire politique du président de la République.

Au vu de l’évolution des événements depuis la convocation à la gendarmerie du principal opposant au pouvoir, suite à des accusations de viols et de menaces de mort par la masseuse Adji Sarr, l’appel à la résistance prend de plus en plus de sens pour ses partisans. Une série d’arrestations vise les soutiens d’Ousmane Sonko. Rien que dans la région de Dakar, 47 partisans du leader du Pastef ont été placés en garde à vue durant le weekend. En ce moment, Pastef/Les patriotes dénonce l’arrestation de 77 ‘’otages politiques’’.

‘’Plus de 113 arrestations dont plus de 30 placés sous mandat de dépôt, 52 toujours en garde à vue et 4 placés sous contrôle judiciaire. La dictature n'est plus rampante, mais elle court désormais’’, alarme le parti sur les réseaux sociaux.

Une quarantaine de jeunes avaient été arrêtés (dont une vingtaine libérée depuis) le lundi 8 février, lors de heurts avec la police au domicile d’Ousmane Sonko. Identifiés comme les principaux soutiens du leader du Pastef, les jeunes ne sont plus la seule composante sociale à lui manifester appui. Il suffit, pour s’en rendre compte, de revoir le profil des personnes privées de liberté dans le cadre de la série d’arrestations de proches de l’opposant politique. Parmi les 17 femmes interpellées samedi dernier, figuraient des cheffes d’entreprise, des déléguées médicales, des ingénieures commerciales, une professeure de français et même un agent de la Senelec.

Enseignants, chefs d’entreprise, ingénieurs, commerciaux, femmes de ménage : tout le monde y passe

A Sédhiou, 8 enseignants, une femme de ménage, un menuisier, un agent commercial et la responsable du Pastef local ont été arrêtés hier, pour avoir participé à une manifestation non-autorisée, en soutien à Ousmane Sonko. Pour des mêmes faits, l’arrestation, ce weekend, de l’enseignant Dame Mbodj, leader de l’organisation syndicale Cusems/Authentique, a eu pour conséquence une grève de 24 heures du G20, observée hier pour exiger sa libération.

Complaintes entendues ou un premier pas vers la décrispation de l’atmosphère sociale plus que tendu, tout ce beau monde a été libéré dans la soirée d’hier. Le rappeur activiste Abdou Karim Guèye (‘’Xrum Xax’’), de même que les étudiants Ousmane Wade et El Hadj Diop, membres de Frapp-Ucad, arrêtés le même jour que Dame Mbodj, ont également été libérés.

Ce n’est toutefois pas le cas pour les activistes Assane Diouf, Clédor Sène et Guy Marius Sagna. Pour ce dernier, son avocat ne s’explique toujours pas les raisons de son interpellation depuis une dizaine de jours. ‘’Guy a été arrêté sur la base de faits imaginaires. Mon client a été enlevé et séquestré. Il n’a commis aucune infraction. Il a été arrêté parce qu’il est membre de Frapp/France dégage, parce qu’il a été directeur de campagne du candidat Ousmane Sonko à la dernière élection présidentielle’’, a dénoncé hier Me Moussa Sarr.

Si la résistance reste encore le jargon des militants du Pastef, avec le hashtag #AarsunuDémocratie (défendre notre démocratie), l’indignation sur la répression tous azimuts et l’interdiction systématique de toute manifestation gagne chaque jour du terrain. Et les conséquences de l’arrestation du leader du Cusems/A risquent de se reproduire au sein de l’Administration fiscale.

En effet, le Syndicat autonome des agents des impôts et domaines (SAID) dénonce, à son tour, à travers un communiqué de presse, le ‘’kidnapping d’un valeureux haut cadre de l’Administration fiscale contre qui aucune charge notoirement connue ne lui a été notifiée’’. Il s’agit de l’administrateur général du Pastef/Les patriotes Birame Soulèye Diop, placé sous mandat de dépôt le 23 février en même temps que le coordonnateur de la formation du parti à Dakar, Abass Fall.

Vers une défiance dans l’Administration ?

Dans la même note, le SAID exige sa libération immédiate, afin ‘’qu’il puisse regagner son travail et sa famille’’. Aussi, il relève ‘’cette attitude inqualifiable des autorités visant à déshonorer un grand commis de l’Etat détenu arbitrairement pour l’exercice de son droit constitutionnel et inaliénable de s’engager librement en politique dans le camp de son choix’’. Ceci, en se réservant le droit d’engager toute action syndicale qu’il juge nécessaire pour la restauration des droits et libertés de leur collègue.

Ce qui pourrait être une défiance au sein de l’Administration divise déjà la classe politique. Un constat fait également par l’organisation panafricaniste de la société civile Legs-Africa, à travers ce qu’elle considère comme ‘’un nivellement par le bas du débat public, tendant à transformer l’espace public en une sorte d’arène, avec des oppositions de plus en plus radicalisées et des parti-pris suivant des logiques à l’encontre de la République et du commun vouloir de vivre-ensemble’’.

Les réponses apportées par les autorités ne rassurent pas non plus cet observateur qui se veut neutre. En effet, ‘’constatant plusieurs manquements dans l’exécution de la force publique, notamment les barricades et autres dispositifs de surveillance au niveau du domicile privé de monsieur Ousmane Sonko, les arrestations de citoyens dans l’exercice de leur droit constitutionnel de se réunir et de manifester, l’abus au niveau de certaines mesures spéciales liées à la riposte Covid, Legs-Africa appelle à plus de retenue et de dépassement de la part des responsables en charge de la sécurité publique et aux responsables politiques concernés’’ dans l’affaire opposant le député Ousmane Sonko et son accusatrice Adji Sarr.

Jusqu’où mènera cette escalade ? Une nouvelle semaine décisive s’annonce, après celles de la levée de l’immunité parlementaire du chef du Pastef. Le juge d’instruction du 8e cabinet a reçu, hier, la notification de la décision de l’Assemblée nationale. Mamadou Seck a ainsi convoqué Ousmane Sonko ce mercredi, à 9 h, pour une audition. Ayant récusé ce juge d’instruction et annoncé qu’il ne répondra à aucune convocation qui n’a pas respecté les procédures, l’audition de l’opposant risque de passer par un mandat d’amener et une interpellation de tous les dangers.

Si les têtes d’affiche des organisations le soutenant ont été arrêtées pour la plupart, les détentions préventives dans un Etat de droit sont, comme l’a rappelé Me Moussa Sarr, illégales.

Seulement, vit-on encore dans un Etat pleinement démocratique ? Il semble de plus en plus que personne ne soit à l’abri des effets de l’affaire Adji Sarr-Ousmane Sonko et de ses dérives autoritaires.

Lamine Diouf

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