Publié le 5 Sep 2017 - 14:38
GUEST EDITO

La leçon des juges kenyans

 

“Inouï! », “historique! », “stupéfiant!”… Les qualificatifs n’ont pas manqué pour saluer l’extraordinaire décision rendue par les juges de la Cour suprême du Kenya. En décidant d’annuler, pour « irrégularités », l’élection présidentielle qui opposait le président sortant Uhuru Kenyatta à son principal challenger Raila Odinga, le président de la Cour suprême David Maraga et ses collègues ont provoqué un séisme dont les secousses telluriques se feront encore longtemps entendre sur le continent africain.

Alors que le Kenya tout entier retenait son souffle, le pays ayant connu de très graves tensions électorales lors des scrutins présidentiels précédents qui avaient failli faire sombrer le pays dans la guerre civile, au point que certains leaders de la classe politique étaient sous le coup d’une inculpation à la CPI, le miracle judiciaire kenyan donne des motifs de ne pas complètement désespérer de la classe politique africaine.

Même si tout n’est pas encore gagné, le président Kenyatta se conformant à la décision des juges de très mauvaise grâce, c’est une première victoire pour un continent habitué aux mascarades électorales et aux tripatouillages les plus ubuesques de la Constitution. Le sentiment que les dés sont truqués, que les jeux sont déjà faits, que les Commissions électorales et juridictions de validation des résultats sont à la botte des potentats au pouvoir, font que les élections en Afrique, à de très rares exceptions près, ouvrent toujours de grosses périodes d’incertitude. La bonne nouvelle venue d’Afrique de l’Est est aussi un camouflet cinglant pour les observateurs de la communauté internationale déployés à Nairobi, qui s’étaient empressés de saluer la « transparence » de ce scrutin.

La première leçon à tirer de ce formidable tsunami judiciaire, c’est que des magistrats qui font honneur à leur serment en exerçant leur « devoir d’ingratitude », deviennent les premiers remparts de la démocratie. A ce sujet, les homologues sénégalais des juges kenyans qui siègent au fameux Conseil constitutionnel devraient faire leur introspection. Rarement une institution, censée être au-dessus de la pyramide judiciaire par son poids moral, n’aura été aussi décriée.  D’un régime à l’autre, les « Sept sages » qui siègent au sein de cette auguste instance ont souvent donné l’impression tenace d’être à la solde du pouvoir exécutif. Au point que des décisions juridiquement aberrantes et politiquement dangereuses ont donné lieu à un début de fronde.

D’abord, à l’université où pas moins de 45 docteurs en droit se sont élevés contre une énième argutie lors du dernier référendum. Pire, en bravant les foudres de leur hiérarchie et en mettant leur carrière en péril, deux jeunes magistrats, Ibrahima Hamidou Dème et Souleymane Téliko, ulcérés par les immixtions répétées de l’Exécutif dans le fonctionnement normal de la justice, ont sonné la révolte. Comme pour signifier que ces magistrats rebelles et courageux n’étaient pas des parias dans leur profession, leurs pairs, à l’issue de la dernière assemblée générale de l’Ums, ont décidé de porter précisément le juge Téliko à la tête de cette structure. Difficile de faire mieux comme pied de nez et avertissement sans frais à la tutelle. 

Cette prise de pouvoir de la part de jeunes magistrats est une lame de fond qui montre qu’à Dakar comme à Nairobi, certains juges ont décidé de ne plus être les « idiots utiles » du système. Il y va de l’avenir de notre pays qui se gargarise de deux alternances exemplaires mais dont les embardées institutionnelles produisent, par intermittence, ce qu’il y a de pire dans une démocratie qui se veut apaisée : Penda Ba et Assane Diouf. Autrement dit, un affaissement moral et un effondrement intellectuel synonymes de boîte de Pandore. C’est l’honneur de notre magistrature, en regardant ce qui se passe au pays de Jomo Kenyatta, que d’y mettre un terme.

Barka BA, Directeur de l’information de la TFM

 

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