Publié le 15 Mar 2015 - 22:36
VOLONTAIRES DE LA CONSOMMATION

La crainte d’un abus de pouvoir

 

Face à la difficulté du contrôle efficace des commerçants, Momar Ndao a proposé l’idée de volontaires de la consommation. Un point de vue qui ne recoupe pas celui des contrôleurs qui craignent un  abus de pouvoir.

 

A défaut d’avoir un personnel suffisant et/ou un contrôle citoyen efficace, Momar Ndao a une idée. Il propose le recrutement de volontaires de la consommation. Il s’agit d’un ou de deux auxiliaires par quartier qui puissent aider à avoir une représentation du service de commerce dans le quartier, une vigilance de proximité, par conséquent dissuasive. Leur rôle consistera à se substituer au consommateur auprès des services du commerce. D’abord, il va lui-même veiller à ce que les prix soient respectés. Ensuite, le consommateur pourra désormais s’approcher de lui pour lui souffler les infractions des boutiquiers. Et à lui de saisir l’autorité compétente. ‘’La déclaration du volontaire remplace celle du consommateur’’, argumente le consumériste Ndao. De l’avis de notre interlocuteur, cela mettra non seulement plus de pression sur les commerçants, mais ça permet également de créer des emplois et trouver un bout de solution à l’équation du chômage.

Du côte de l’autorité, l’on doute sérieusement de l’efficacité d’une telle initiative. D’abord, chat échaudé craint l’eau froide. Dans tous les autres secteurs, le volontariat a créé beaucoup de problèmes. L’éducation en constitue la preuve la plus parlante. Des agents de l’Agence de la sécurité de proximité sont souvent sous la sellette. On craint surtout  qu’il y ait abus de pouvoir. Les contrôleurs de prix se fondent sur le fait qu’il y a des gens qui ont appelé pour dénoncer le négociant de leur quartier. Mais vérification faite, ils se rendent compte que la vraie raison n’est pas le prix, mais plutôt le refus d’un crédit ou d’un service.

Par exemple, dans un quartier, raconte notre interlocuteur, des jeunes avaient l’habitude de laisser leur clé dans la boutique d’en bas. Un beau jour, le commerçant découvre qu’en réalité, la chambre dont il a la garde de la clé sert de garçonnière. Il décide alors de ne plus garder la clé pour ne pas être complice. Le monsieur appelle au service du commerce pour dire que le boutiquier pratique des prix hors norme. Au-delà de ce genre de pratique, un expert du contrôle a peur que le volontaire se dise qu’il a un poste précaire et révocable et qu’il essaie alors d’en profiter au maximum le temps que dure le privilège. Ce qui ouvre la porte à la corruption et au chantage. De ce fait, il opte plus pour le recrutement massif d’agents de contrôle.

Visibilité sur l’information commerciale

Cela ne veut pas dire pour autant que les contrôleurs sont incorruptibles, car eux aussi sont parfois pointés du doigt. Momar Ndao relève que des marchands se plaignent de temps en temps des pratiques peu orthodoxes d’agents pourtant assermentés. ‘’Il faut parfois payer pour rester tranquille’’, ajoute-t-il. Un fait que Cheikh Bamba Ndao ne nie pas. ‘’C’est dans tous les corps. C’est une question de personnalité.’’ Afin de faire face, le service a pris des mesures. ‘’Nous essayons de verrouiller. Nous avons une idée des boutiques et des performances. Nous fixons des objectifs de recettes selon la zone’’. En plus, il est plus recommandé à l’agent d’amener le boutiquier au service afin qu’il paye sur place. Ce qui pourrait assurer plus de transparence. Mais dans la réalité, le paiement se fait plus sur place. ‘’Le boutiquier étant souvent seul, il fait tout pour éviter le déplacement. Il préfère payer sur place’’, avoue-t-il.

L’adjoint du chef service du commerce estime lui que la solution est dans le contrôle en amont. Certes, il préconise que la loi soit plus répressive, mais il appelle particulièrement à un encadrement dans la liberté d’ouvrir une échoppe. A son avis, le contrôle des quantités et plus de visibilité sur l’information commerciale permettent de mieux prévenir certaines dérives. Par exemple, le grossiste n’a pas l’obligation de déclarer ses dépôts. Etant le seul à connaître les quantités dont il dispose, il peut stocker certains produits, créer une pénurie organisée afin de mieux spéculer sur les prix. Il préconise donc que l’emplacement des dépôts et leurs contenus soient connus des services afin que le contrôle s’exerce de manière efficace. En attendant que toutes ces idées prennent corps, les boutiquiers vont continuer à gruger les consommateurs.

La petite monnaie et la faible marge de bénéfices

La spéculation est la pratique la mieux partagée dans les boutiques au Sénégal. Pourtant le service régional du commerce assure faire de son mieux pour diminuer l’ampleur du phénomène à défaut d’y mettre un terme. D’après l’adjoint du chef service régional du commerce de Dakar, la spéculation s’explique d’une part par le problème de pièces de monnaie. ‘’Ils se réfugient très souvent derrière la petite monnaie’’, souligne Cheikh Bamba Ndao. D’autre part, cela s’explique par la faiblesse des marges de bénéfices accordées aux détaillants. En effet, il y a des produits dont la commercialisation nécessité l’immobilisation d’importantes sommes d’argent, alors qu’ils ne dégagent presque pas de revenus. En général, ce sont des produits d’appel. Les bénéfices étant réalisés plus dans d’autres produits, surtout avec le micro-conditionnement.

Ce n’est pas pour autant que les boutiquiers restent impunis. En 2014, la sanction aux contraventions a apporté 147 millions F CFA. A chaque fois qu’un boutiquier est pris, révèle M. Ndao, il est verbalisé. La marchandise avec laquelle il a fait de la spéculation est saisie quelle que soit sa quantité. Et une amende est payée en fonction de cette quantité.  Mais le vrai problème ici est le déficit de sensibilisation. ‘’Le tissu commercial est composé de gens qui ne savent pas leurs droits et devoirs’’, dit-il. D’où la nécessité d’informer, mais aussi de réglementer l’ouverture des points de vente. 

B. WILLANE

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