Publié le 25 Jun 2015 - 16:49
ADAMA SY, (VICTIME D’ERREUR MEDICALE)

‘’Nous sommes tous des handicapés en sursis dans ce pays’’

 

Adama Sy est un commerçant de 41 ans, originaire d’Orakidiria, une localité du département de Kanel, dans la région de Matam. Par un étrange caprice du destin, il s’est retrouvé amputé de la main droite, suite à une perfusion qui a mal tourné, un jour de 1997, à l’hôpital Principal de Dakar. Malgré cette infortune, il impressionne par sa bonne humeur, sa foi toujours vive en l’avenir. Une joie de vivre que son handicap entame à peine. Se voulant optimiste en dépit de tout, il continue de s’inspirer du bon côté de la vie pour se refuser à tout complexe et avancer dans la vie. La tête toujours haute. Dire qu’il avait espéré faire fortune dans le commerce à ses débuts dans ce métier en 1994. Il venait de s’installer à Dakar. ‘’Jusqu’en 1997, j’ai travaillé dans un magasin spécialisé dans la friperie.

C’est là où j’ai été rattrapé par mon destin’’, sous la forme d’un paludisme chronique qui a fait basculer sa vie. ‘’J’étais très malade. Le 6 septembre 1997, j’ai été évacué d’urgence à l’hôpital Principal de Dakar. J’étais mis sous perfusion. Je dormais tranquillement. Mais vers les coups de 19 heures, lorsque j’ai senti que la perfusion allait dans le sens contraire, j’ai sursauté.

Pris de peur, j’ai appuyé sur la touche alerte à maintes reprises, témoigne-t-il. A ma grande surprise, les médecins se sont présentés devant moi très furieux. Ils se sont jetés sur moi pour me maîtriser’’. De fait, Adama Sy était dans un état d’agitation extrême. ‘’J’étais très malade, j’étais agité, cela se comprenait mais eux, ils m’ont ligoté avec les fils qui servaient de perfusion et m’ont attaché au lit. Je suis resté dans cette position jusqu’à 7 heures du matin’’. Une scène assez cruelle qui s’est déroulée en l’absence des accompagnants du patient, qui n’avaient que leurs yeux pour pleurer lorsqu’ils se sont rendu compte du désastre le lendemain.

‘’Mon frère qui me tenait compagnie a été sommé de rentrer. Mes parents avaient les yeux embués lorsqu’ils ont constaté le lendemain, vers 7 heures du matin, que les choses se sont mal tournées et qu’il fallait m’amputer la main droite’’, malgré tous les efforts pour la

sauver, raconte Adama. La perfusion avait raté en réalité. ‘’Quand ils m’ont ligoté, dit-il, le sang ne circulait plus. Finalement, la seule solution, c’était d’amputer pour que je puisse survivre’’. Un choc brutal l’attendait au réveil. ‘’J’ai remarqué que ma main était coupée, Je me suis écrié : Où est ma main ? On m’a alors répondu qu’on allait m’expliquer après. C’était dur à supporter psychologiquement. Je n’avais que 20 ans."

‘’Soutien de la famille’’

Adama dit avoir ressenti un malaise indéfinissable de savoir qu’il était condamné à vivre avec cette infirmité. Mais sa famille n’avait pas l’intention de laisser tomber et porte donc l’affaire devant les juridictions. Il fallait engager un nouveau combat face à la pression des médecins qui cherchaient à étouffer ce problème. ‘’C’était une autre phase, un autre combat. Lorsqu’on a porté plainte, des policiers de la DIC (Division des investigations criminelles) sont venus à l’hôpital faire une enquête préliminaire. Le dossier est ensuite resté un an au parquet pour les besoins de l’instruction’’, renseigne Adama. La vérité, c’est que, selon lui, les médecins ont mis ‘’beaucoup de pression’’ et ‘’ont cherché à bloquer le dossier. Il fallait surmonter beaucoup d’obstacles’’, puisque l’étape des enquêtes passée, le dossier a été rangé aux oubliettes pendant 7 ans. ‘’On n’en parlait plus.’’ Il a eu toutefois l’idée de solliciter l’intervention du chef de

l’Etat sénégalais, Me Abdoulaye Wade, à l’époque aux affaires. ‘’J’ai eu la chance de susciter sa réaction. Il m’a dit que le dossier était pendant devant la justice et qu’il allait envoyer une requête. C’était en 2004. Ce n’est que 5 ans plus tard, après les élections, que j’ai été convoqué au Tribunal correctionnel de Dakar. J’allais de renvoi en renvoi pendant un an.’’

Devant cette juridiction, les médecins concernés ont dû répondre des chefs d’accusation de blessures involontaires et de non-assistance à personne en danger, 13 ans après les faits. Adama Sy a finalement gagné sa bataille judiciaire et a été dédommagé à hauteur de 50 millions de francs CFA pour qu’il puisse refaire ma vie. ‘’J’ai acheté cette maison à 35 millions de F CFA’’ à Guédiawaye, dans la banlieue dakaroise où il vit maintenant. ‘’J’y habite avec mon frère qui m’a toujours soutenu durant ces dures épreuves, et me suis marié en 2004’’, explique-t-il. La morale de cette affaire, selon Adama : ‘’Il faut s’armer de beaucoup de patience, de courage et d’audace dans la vie’’. ‘’Cela n’a pas été facile. Les médecins m’ont mis beaucoup de pression, ils ont cherché à bloquer le dossier. Il fallait surmonter beaucoup d’obstacles.

Mais le Bon Dieu a accordé une issue heureuse à ma plainte’’, poursuit-il. ‘’Mon expérience m’a mis devant une évidence : nous sommes tous des handicapés en sursis, j’en profite pour lancer un appel aux autorités, afin que l’information passe concernant les cartes d’égalité de chances’’, plaide celui qui voudrait bien intégrer le marché de l’emploi et avoir une  activité professionnelle.
Le gouvernement du Sénégal ambitionne de réaliser annuellement 50 000 cartes d'égalité des chances à partir de 2015 et au profit des personnes vivant avec un handicap. Ce document devrait permettre à son titulaire de bénéficier, selon l’importance de son handicap, d’une gratuité totale ou partielle de soins dans les institutions médicales relevant de l’Etat, des collectivités locales et des organismes publics et à un prix réduit dans les services de santé privés au Sénégal.

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