Publié le 27 Jan 2020 - 23:27
CONFERENCE PETROLE ET GAZ

Les solutions ‘‘expertes’’ de la diaspora

 

Une conférence dédiée à l’expertise sénégalaise de la diaspora spécialisée dans le secteur pétrolier et gazier a été organisée, samedi, au ministère du Pétrole et des Energies (MPE). Un brainstorming grandeur nature que le ministre en charge, Mouhamadou Makhtar Cissé, espère annualiser.

 

C’est le secrétaire d’Etat auprès du ministre des Affaires étrangères, Moise Sarr, qui a trouvé l’expression la plus exacte : ‘‘Reverse brain drain.’’ Une sorte de contre-exil des compétences sénégalaises du pétrole et du gaz évoluant dans les grandes compagnies du ‘‘oil and gas’’ ou structures apparentées comme Saudi Aramco, Schlumberger, BP, Elf, Total, Adnoc, Eni, Sonatrac, Gaz de France, Saipem, Solveig... Ils ont pour noms Talla Guèye, Samba Ba, Madiou Diallo, Bocar Wane, El Hadj Malick Fall, Lamine Badio, Rose Ndong et sont ingénieurs, spécialistes forage, Global Solution Architect, conseiller au ministère saoudien de l’Energie. En tout, plus d’une vingtaine de Sénégalais de la diaspora qui ont été reçus par le président de la République, Macky Sall, samedi après-midi, pour consulter leur avis sur les grandes orientations politiques de l’exploitation des hydrocarbures.

Mais la séance de brainstorming a été beaucoup plus élargie avec le ministre du Pétrole et des Energies qui les a reçus dans la matinée jusqu’en début d’après-midi.  ‘‘A l’horizon 2035, le président souhaiterait que plus de la moitié de la chaîne de valeur des hydrocarbures soit sénégalaise. Autrement dit, un taux de 50 % de contenu local est visé, dans les 15 prochaines années. Pour arriver à ce résultat, il nous faut beaucoup investir dans l’apprentissage professionnel, la formation et la capitalisation de nos ressources humaines. L’appel que nous lançons à votre endroit participe de cette recherche’’, a déclaré le ministre Mouhamadou Makhtar Cissé.

D’après lui, la croissance du Sénégal est largement portée par l’investissement public et les retombées de l’exploitation des hydrocarbures vont servir à inverser cette tendance. ‘‘Plus de 6 % sur 5 ans est porté par l’investissement public.  Avec ces découvertes, c’est l’occasion d’inverser la tendance pour impliquer un peu plus le secteur privé national et international. Cela suppose qu’il y ait un cadre protecteur des intérêts du Sénégal, mais qu’il y ait également un cadre assez attractif pour que ce secteur privé puisse continuer à venir investir. Les opérateurs internationaux font confiance au Sénégal pour venir investir entre 3 et 15 milliards de dollars dans l’exploitation du pétrole dans un petit pays qui s’appelle le Sénégal. C’est une grosse avancée. On n’en parle pas assez. On ne le magnifie pas assez. Il ne faut pas qu’on soit dans le pessimisme. Les perspectives sont bonnes. Elles le seront plus, si on mobilise davantage toute notre expertise nationale’’, exhorte Mouhamadou Makhtar Cissé.

Idrissa Bodian propose la création d’un organe indépendant de contrôle des opérations pétrolières

La question de la maitrise de l’exploitation, par la partie sénégalaise, s’est naturellement trouvée au centre des débats. L’expert Idrissa Bodian propose, en ce sens, la création d’un organe indépendant de contrôle des opérations pétrolières. Le souci qu’il soulève est relatif à l’incapacité réelle des États pauvres à contrôler effectivement le déroulement de l’exploitation, quand bien même les textes ont été bien négociés en amont. ‘‘Les compagnies ont besoin d’être contrôlées et supervisées. En théorie, le contrat sert toujours les États, mais dans les faits, si on n’est pas là pour le contrôle, on perd au change’’, estime-t-il. 

Mais, de prime abord, le cadre général fait bonne impression à Tidiani Niass qui évolue dans la plus grande compagnie mondiale d’hydrocarbures, la Saudi Aramco, et qui est par ailleurs conseiller au ministère saoudien de l’Energie. Les fondamentaux sont déjà en place, estime-t-il, et le Sénégal ‘‘devra transformer l'essai’’, dit-il. Le tableau est plus réjouissant pour lui que le gaz, dont les découvertes sont supérieures à celles du pétrole dans le bassin sénégalais, a des perspectives beaucoup plus intéressantes que l’or noir. Les préoccupations environnementales vont bientôt obliger les législations dans les grands marchés de consommation des pays du Nord à des restrictions sur le pétrole. ‘‘Il est fort à parier que, dans un avenir proche, le pétrole sera vendu en fonction de son empreinte carbone (...) Le gaz a des perspectives économiques beaucoup plus intéressantes que le pétrole’’, déclare-t-il, regrettant également que les préoccupations d’ordre climatique aient occupé la portion congrue dans le cadre légal esquissé par le Sénégal.

D’ailleurs, sur ce point, M. Bodian estime que l’attention des autorités doit se focaliser sur les termes des études d’impact environnemental et social qui sont ‘‘en général du copier-coller’’.

Du reste, pour le projet de code gazier qui va être voté ce lundi 27 janvier, les suggestions ont également été nombreuses. L’exigence la plus courante a été ‘‘de sécuriser un pourcentage immuable sur le gaz qui soit réservé au marché sénégalais’’. Deux décisions d’investissement final (Fid) ont été signées pour le moment, depuis l’annonce des découvertes en 2014. L’une en décembre 2018, avec une production 2,5 millions de tonnes de gaz naturel liquéfié (GNL) par an pour la phase 1 du projet de Grand Tortue Ahmeyim (GTA), conjointement avec la Mauritanie. L’autre en janvier 2020 pour le champ de Sangomar où il est espéré pour la première phase 230 millions de barils avec une production journalière estimée à 100 000 barils par jour.

Mal hollandais

Les intervenants ont également insisté auprès du ministre sur la nécessité de ne pas laisser les hydrocarbures vampiriser les autres secteurs de l'économie sénégalaise. Ce syndrome de délaissement, connu sous l’appellation de ‘‘mal hollandais’’, a d’ailleurs motivé les suggestions d’un expert à plus s’inspirer ‘‘d’un modèle norvégien à adopter’’ et d’un ‘‘modèle vénézuélien à éviter’’, quoique les modèles ne soient pas forcément transposables d’un pays à l’autre, estime un autre. Dans ce sens, M. Dème a même demandé la révision des points du PSE relatifs à l’énergie, pour que le pétrole et le gaz rentrent dans une stratégie d’ensemble qui ne ferait du ministère en charge une structure hypertrophique à l’image des Finances. ‘‘Il ne faut pas penser les hydrocarbures de manière isolée’’, a-t-il suggéré.

Mais les pouvoirs publics, par l’intermédiaire de Serigne Mboup, avancent que la tendance est à la poursuite du PSE jusqu’en 2026 où les efforts seront focalisés sur la pêche, l’agriculture, le PSE Vert... ‘‘Les revenus du pétrole seront utilisés comme accélérateur et ne serviront pas de substitution à notre modèle économique’’, a-t-il assuré.

Communication et gestion des attentes

Les fonctionnaires internationaux invités à cette séance de brainstorming se sont également inquiétés du peu de cas fait de la gestion des attentes. La question des hydrocarbures ayant pris une place de plus en plus importante dans l’agenda politico-médiatique. Un fonctionnaire FMI alerte déjà sur une communication un peu trop optimiste en déphasage avec les découvertes extrêmement modestes dans le bassin sénégalais. ‘‘Nous allons produire cent fois moins que l’Arabie saoudite dont un seul champ donne un million de barils jour. il faut s’impliquer dans la gestion des attentes, car on ne sera pas comme le Qatar ou l’Arabie saoudite dans dix ans’’, a-t-il analysé, soulignant quand même que les propos engagent sa personne uniquement. Quant à la finalité des revenus tirés de l’exploitation, il propose le modèle malaisien qui a choisi d’investir dans son capital humain (éducation) et le multiplier par six en 60 ans, là où des pays comme le Sénégal sont à 1,1 %.

En outre, l’industrie en tant que telle ne produit pas beaucoup d’emplois directs, mais l'économie périphérique qu’elle crée sera prolifique. Aussi, les propositions sur la maximisation des termes du Contenu local ont été nombreuses. ‘‘Que le gouvernement veille à ce qu’on ne nous vende pas de services dont on n’a pas besoin’’, a estimé un autre expert travaillant en Malaisie. Quant à Mouhamed Guèye, spécialisé en GNL, il a avancé que le paramètre de l’opportunité est important pour que ‘‘sécurité, rentabilité et process’’ soient au rendez-vous. ‘‘Tous les schémas de développement, c’est maintenant. Si on les rate, c’est fini’’.

Manar Sall, cahier du retour au pays natal (encadré)

‘‘Les Malais et les Singapouriens ont développé leur pays. Alors, est-ce que vous allez rentrer ?’’. Le questionnement du nouveau directeur de la filiale Petrosen Aval a quelque chose de presque existentiel, malgré les rires enjoués qui ont ponctué son interrogation dans la salle de conférence du MPE samedi. Expatrié ayant fait plus de deux décennies dans beaucoup de pays après un diplôme HEC Paris, il a été en position de demander à ses ‘‘frères’’ et ‘‘sœurs’’ de venir contribuer de manière concrète au futur développement d’une industrie des hydrocarbures au Sénégal.

‘’Qu’est-ce qu’il faut pour que vous rentriez dans ce pays ? La réalité se passe ici, l’exploitation se passera ici. Je ne crois pas que vous soyez intéressés par des motifs financiers. Alors, qu’est-ce vous posez comme conditions pour revenir ?’’, a-t-il lancé aux experts sénégalais de la diaspora venus assister à cette journée qui leur était dédiée par le MPE. D’ailleurs, ce dernier, dans son allocution d’ouverture, a bien souligné l’une des finalités de cette rencontre qu’il souhaite annuelle.

‘‘On trouvera les moyens d’attirer quelques-uns d’entre vous qui veulent rentrer et contribuer dans cette belle œuvre de construction nationale’’.  ‘‘Il est vrai que notre économie n’a pas les ressorts aussi solides que ceux des pays d’où vous venez, pour prendre en charge le niveau de vos expertises dans le domaine du pétrole et du gaz. Mais nous pensons que la fibre patriotique transcende la question’’, dixit Mouhamadou Makhtar Cissé. 

OUSMANE LAYE DIOP