La galerie Kemboury a présenté, du 25 novembre au 29 décembre, les œuvres de l’artiste visuel El Hadj Babou Ndao de Kaffrine sous le titre ‘’Des oiseaux comme des hommes’’. L’artiste et professeur d'art plastique à Kaffrine au Centre régional de formation des professionnels d'éducation, est un ancien pensionnaire l'École nationale des arts de Dakar d’où il est sorti major de sa promotion, en 2020. Dans le cadre de la Biennale 2022, il a été coopté pour faire partie des artistes des régions qui ont exposé au pavillon du Sénégal. Dans cet entretien, il se prononce sur ses œuvres et son attrait pour les oiseaux.
On voit des oiseaux dans presque tous vos tableaux. Quelle relation avez-vous avec eux ?
Beaucoup de personnes me demandent ça. D'abord, parce que j'ai longtemps vécu avec les oiseaux. Si vous venez chez moi, vous verrez que je connais bien les oiseaux et ils me connaissent aussi. J'ai fait plus de 40 ans avec les oiseaux. Je suis éleveur de pigeons, de poules, etc. J'ai appris, à travers les oiseaux, ce que je n'ai jamais appris chez la personne. Malheureusement, nous ne leur accordons pas beaucoup d'attention. Mais il y a tellement d'enseignement, de formation, de leçons de morale à retenir des oiseaux avec qui nous vivons tous les jours. C’est la raison pour laquelle je me sers d'eux pour instruire les hommes. C'est avec les oiseaux que j’arrive à véhiculer mes informations, parfois signaler ou dévoiler des vices de la société.
Quel est votre oiseau préféré ? Et pourquoi ?
Mon oiseau préféré, c'est le pigeon. D’ailleurs, mon thème de mémoire porté sur le pigeon. Parce que je connais les pigeons. Je suis très religieux, si vous voyez, même du côté de l'islam, le pigeon est au centre de beaucoup de choses, même avec le Prophète Mouhamed, le pigeon a été un compagnon et a créé même des camouflages, a induit en erreur les polythéistes qui le poursuivez. Le pigeon est aussi, de par sa fidélité, sa solidarité entre couples, sa beauté, sa régularité, même du côté alimentation, vous verrez que le pigeon est en quelque sorte une thérapie pour la santé de l'être humain. Il incarne beaucoup de choses que la personne a besoin pour avoir des repères.
Qu'est-ce qui vous a amené à faire de l'art ?
Je suis né avec l'art. Je suis très observateur. Je suis très pointu avec mes enfants. Je rends hommage à mon papa qui a accepté de me laisser être ce que je suis devenu aujourd'hui. Parce que si, par négligence ou par rigueur de parent, il m’avait barré la route, peut-être que je ne serais pas là aujourd’hui. Mais il m'a compris très tôt ; il m’a laissé trouver ma voie. Et voilà qu’avec le don et quelques enseignements de mes professeurs, les techniques que j’ai développées et que j’utilise pour me retrouver avec les tableaux que vous voyez là, aujourd'hui. J'utilise plusieurs techniques. En matière d'éducation artistique, le plasticien a plusieurs techniques autour de lui. Le plus souvent, certains artistes ont une seule touche, mais moi, je profite de toutes les touches, parce que la variabilité est formatrice. Et j'en profite aussi. Il y a l'empattement que j’utilise le plus souvent, le collage avec même des plumes naturelles de pigeon, le pointillisme, les assures, le gribouillage et si vous observez avec les tableaux, c'est toujours comme ça.
Est-ce que vous rencontrez quelques difficultés dans votre travail ?
La difficulté que je rencontre, c'est que je vis dans un milieu très enclavé où les gens ne connaissent pas bien l'art. Ce n'est pas comme à Dakar. Je suis saloum-saloum où les gens diabolisent même ce métier d'artiste. Ils disent que ce n'est pas un métier, ce n'est pas bon, l'islam n'accepte pas ça, etc. Auparavant, les gens disaient même qu’élever des pigeons, ce n'est pas bon. Ils disaient : ‘’Quand vous élevez un pigeon chez vous, vous risquez de reculer, c'est-à-dire, il n'y a pas d'opulence, vous perdez des richesses.’’ Mais moi je dis le contraire. J'ai toujours vécu avec les pigeons et Dieu merci. J'ai une fois été chez un de mes marabouts, qui est mon guide religieux et j'ai trouvé chez lui des pigeons. Je lui ai dit : ‘’Vous êtes mon guide religieux et les gens diabolisent les pigeons et j'en trouve chez vous.’’ Il me dit : ‘’Attends, je vais te montrer.’’ Et il commence à leur donner à manger. Il me dit : ‘’Le problème, c'est de les mettre dans des cases et de ne pas leur donner à manger.’’ Il faut observer les pigeons ; parfois, vous trouverez chez eux ce que vous ne trouverez pas chez l'être humain.
Comme on a l'habitude de le dire, ‘’en Afrique, un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle’’. Vous, en tant qu'artiste, est-ce vous avez appris à vos enfants votre métier ?
‘’ En Afrique, un vieillard qui meurt, c'est une bibliothèque qui brûle’’. Je connais et j'apprécie beaucoup cette citation. Chez moi, il n'y a pas de grand-place, comme on dit, hein ! Je vous jure, surprenez-moi et venez chez moi, vous me trouverez toujours entouré par mes enfants. Je suis toujours avec mes enfants, les filles comme les garçons. Il n'y pas de tabou entre nous. Parce que, quand vous laissez une marge entre vous et vos enfants, il y a toujours des erreurs. Quand vous parlez, il faut que l'enfant ose et donne son point de vue. Il m'arrive de dire à mes enfants : ‘’Dîtes-moi s'il y a des erreurs sur ce que je suis en train de faire. S'il y'en a j'arrête et s’il n’y en a pas, je continue. Parce qu’à chaque fois que vous commettez des erreurs, je vous arrête et je vous corrige.’’ Et comme il n’y a pas de tricherie, même sur des sujets intimes, mes filles viennent vers moi pour me dire : papa j'ai besoin de tel. J'accepte tout avec mes enfants, parce que je veux qu'ils me disent la vérité. Comme je suis en vie, je vais permettre à mes enfants de profiter de ma présence. Parce que je me rappelle, un jour, mon papa m'a appelé, ma maman était de l'autre côté, il m'a donné des informations sur les incantations et autres et maman s'est levée et a dit : ‘’Mais attends, c'est comme si tu vas mourir aujourd'hui.’’ Il a ri et a répondu : ‘’Mais attends, si j'attends le jour de ma mort pour dire ce que je suis en train de dire là, est-ce que Dieu va me donner le temps, la possibilité ou l'opportunité de le dire ? On doit préparer sa mort.’’
Est-ce que l'art vous fait vivre ?
Bien sûr ! C'est quoi la vie ? Quand vous dites à quelqu'un si l'art le fait vivre, il pense à l'argent. Mais l'argent, c'est la dernière des choses. Il y a des gens qui, chaque matin, gagnent des millions et ils ne gagnent pas leur vie. Moi, je gagne ma vie, parce que je suis à l'aise avec ce que je suis en train de faire. Quand je le fais chez moi, mes enfants sont autour de moi, ils sont là en train de critiquer mes tableaux, papa voulait faire ceci et il a fait cela et ça, c'est gagner sa vie. Dieu merci encore, je ne suis pas allé quémander quoi que ce soit chez quelqu'un. Ces tableaux, je les vends pour assurer la dépense quotidienne. Comme vous le savez, la conjecture sénégalaise, elle est tellement lourde, mais je suis très généreux avec mes tableaux. Je ne peux pas vous dire combien de tableaux j'ai offerts. La cherté d'une œuvre d'art est relative. Ça dépend de votre façon d'apprécier l'œuvre en tant que telle. La façon de préserver l'œuvre vaut plus que l'argent qu'on me donne pour avoir l'œuvre. Par exemple, si vous payez l'œuvre d’El Hadj Babou et demain je retrouve cette œuvre dans un milieu qui n'est pas valorisable, c'est ça qui va me déranger. Mais si je vous offre l'œuvre et que je trouve que vous y tenez beaucoup, vous la conservez bien, c'est ça qui est important.
Être à Kaffrine freine-t-il votre carrière ?
Oui. C'est pourquoi je salue beaucoup le passage Mme Diatta et Massamba Mbaye. Parce qu'en toute franchise, j'ai une fois exposé à Kaffrine "Ndoucoumane First" et c’était une exposition extraordinaire. Mais j'ai compris que je l'ai fait dans un milieu où les gens ne comprennent pas. Donc, c'est déjà un frein. Et bizarrement, il y a tellement de talents chez moi, chez les enfants, il y a du génie créateur qui sommeille et je n'ai pas encore la possibilité de les aider à être connus ou à exploiter leur talent. C'est dommage et c’est regrettable de le dire. Certains Kaffrinois même disaient : ‘’Mais Ndao, qu'est-ce qu'il est en train de dire ?’’ Les gens parlent beaucoup plus de politique que de culture et c'est très dangereux. La culture est fondamentale.
Fatima Zahra Diallo (stagiaire)