Publié le 28 Jan 2016 - 13:54
JANVIER SANS FRAÎCHEUR

Quand l’été joue les prolongations à Dakar  

 

La capitale sénégalaise a toujours chaud en ce mois de janvier finissant.  Un petit dérèglement climatique qui oblige les Dakarois à conserver leur mode vestimentaire de l’été, alors que, dans les normes, l’habillement aurait dû être à l’enveloppement. Les clients accrochés à Colobane plaident pour le retour du froid, alors que la météo avertit que les températures seront au-dessus des normes saisonnières.

 

Etre en tenue d’été, en plein mois de janvier à Dakar. C’est la tendance, cette année, pour les habitants de la capitale qui remarquent que l’alternance normale des saisons a subi un léger dérèglement. La question semble d’importance moindre, à la vue de l’amusement qu’il provoque chez quelques Dakarois interpellés. Mais, elle préoccupe toutefois, quand on en vient à parler de changement climatique. ‘‘C’est vrai que pour ce premier mois de l’année, on avait plutôt l’habitude de se blottir. Présentement, c’est la canicule. J’étais plutôt de tendance climato-sceptique, mais j’adhère de plus en plus à l’idée du réchauffement climatique’’, lance un homme en chemise blanche, écrasant un mégot de cigarette qui marque la fin de sa pause de la mi-journée dans une boîte au Point E. Le costume et la cravate qui vont avec, il les a laissés au bureau, pour ne pas ‘‘rôtir dans cet ensemble’’ qu’on leur exige. S’il ne tenait qu’à lui, il serait venu ‘‘dans une tenue moins formelle’’, ajoute-t-il, avant de prendre congé.

Il fait chaud à Dakar et l’air estival prolongé n’échappe à personne dans la capitale. ‘‘En décembre déjà, on aurait dû avoir un bon coup de froid, mais présentement, il fait chaud. Et je ne m’en plains pas’’, lance presque avec désinvolture Thiané, une lycéenne de Blaise Diagne en tenue d’école, avec ses camarades. A 15 heures passées, le thermomètre affiche 32°, accompagné d’un vent de 10 km/h avec une orientation Nord-Ouest. Pourtant dans la matinée, à 9 heures, la température était plus clémente, avec 8° de moins. 

Dans le fameux marché dakarois de friperie, Colobane, les marchands n’en reviennent pas que les clients s’arrachent toujours des habits légers, alors qu’à pareil moment, ils se jetaient sur les pullovers ou autres doudounes pour se protéger du froid. Les tee-shirts et culottes étalés durant la période juillet-octobre ont toujours la cote chez les acheteurs. ‘‘J’ai acheté des vêtements en prévision du froid, mais présentement, ils sont au fond de mon armoire. Je pensais qu’il allait faire très froid pour décembre, mais comme vous le constatez, je cherche quelques habits légers. Vivement le froid !’’, déclare Alassane qui soulève et dépose la marchandise pour trouver quelque chose à sa convenance.

Le marché est en effervescence comme d’habitude. Entre les étals étroits des fripiers, thé et café touba laissent échapper les senteurs de jasmin et de girofle. La discussion s’engage avec beaucoup de passion autour de la défaite-éclair du lutteur Gouy-gui, le dimanche, et de la reprise du fugitif Boy Djinné. Une frénésie qui retombe d’un cran à la question de savoir comment se porte la vente des habits ‘lourds’, en cette période de chaleur persistance. Les vendeurs estiment que les circonstances ne changent pas, puisqu’en tout temps, acheter des habits est une nécessité. ‘‘C’est vrai que nous sommes un peu surpris du fait que le froid ne se soit pas encore installé. Mais de toute façon, il n’y a pas un impact négatif. Si ce ne sont les jackets et autres vestes, ce sont les tee-shirts et culottes qui se vendent bien’’, déclare Baye Ndiaye pragmatique. ‘‘Beaucoup de personnes sont venues acheter en prévision du froid, mais elles reviennent chercher des accessoires plus légers’’, confirme Pape Fall à ses côtés.

Réchauffement 

Le tableau récapitulatif de l’évolution des températures de l’Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (Anacim) montre que la moyenne annuelle au Sénégal est passée de -0,7° en 1950 à 1,2° en 2010. Malgré cette chaleur, Dakar, grâce à sa position littorale, bénéficie d’une amplitude thermique clémente (différence entre la température minimale et maximale pendant une durée déterminée). En comparaison, Kédougou (20° - 38°) ; Tambacounda (22° - 38°) ; et Kolda (16° - 38°) ont souffert des écarts de températures les plus consistants dans la journée, d’avant-hier lundi. La situation était presque pareille hier mardi. De fortes températures pour les localités orientales du pays. 

Les quelques citadins interpellés sur la persistance de la chaleur, surtout dans le milieu estudiantin, se rappellent les derniers développements de l’actualité environnementale, avec la Cop 21. ‘‘Il va falloir bien s’intéresser à la problématique du réchauffement qui semble loin de nos priorités et qui nous touche directement pourtant’’, souligne un étudiant accroché à hauteur de l’Avenue Cheikh Anta Diop. Le processus est en train de prendre des proportions inquiétantes avec des prévisions de 3 à 4 degrés d’augmentation de la température, si rien n’est fait dans les 15 années à venir. L’engagement des puissances économiques était d’en arriver à un chiffre de 2% pour réduire les effets néfastes du changement climatique. Mais l’étudiant est convaincu que cette résolution demeure un vœu pieux. ‘‘Même s’il y a des modèles alternatifs de développement, les grandes puissances ne sont pas prêtes à lâcher leur modèle de développement. Nous autres pays africains qui sommes les plus exposés, n’avons aucun moyen de les y contraindre’’, constate-t-il, amer.

PAPA NGOR NDIAYE  

‘‘Les températures seront au-delà des normales saisonnières’’

Ingénieur prévisionniste à l'Agence nationale de l’aviation civile et de la météorologie (ANACIM), Pape Ngor Ndiaye décortique les raisons de la persistance de la chaleur dans cet entretien par courriel.

 

 Un thermomètre de 30° en plein mois de janvier n’est pas chose habituelle. Par quel processus climatique expliquez-vous qu’il fasse si chaud en cette période ?

Les conditions anormalement chaudes notées sur le Sénégal, en ce mois de janvier, sont imputables à la hausse des températures en Europe et au niveau des bassins océaniques du Pacifique et de l’Atlantique qui impactent généralement en cette période le temps sur le sahel et au Sénégal.

On constate que le climat est plutôt tempéré le matin et le soir et atteint son pic en pleine journée. A quoi est-ce dû ?

De prime abord, le cycle diurne (Ndlr : durant la journée) de la température explique en partie la fraîcheur matinale et la chaleur notée sur le pays au cours de la journée, notamment l’après-midi. Par ailleurs, le régime des vents accentue l’amplitude thermique. Au courant de la journée, des vents provenant du sahel ramènent de l’air relativement chaud sur le pays, tandis que la nuit et au petit matin, les alizés maritimes adoucissent le temps sur une bonne partie du territoire particulièrement sur le littoral.

Peut-on parler d’une période de froid, maintenant ; la situation va-t-elle revenir à la normale ?

La situation sera globalement chaude sur le pays et les températures seront au-delà des normales saisonnières. Cependant, il n’est pas exclu qu’avec la circulation des masses d’air atmosphérique, le Sénégal soit, par moments, influencé par une masse d’air froid provenant d’Europe.

Dans quelle mesure le réchauffement climatique a-t-il affecté le cycle des saisons au Sénégal ?

Le cycle des saisons n’a pas été systématiquement affecté par le réchauffement climatique. Toutefois, il est vrai que des perturbations persistent, depuis le début de cet hiver, occasionnant une hausse des températures. A grande échelle, le phénomène El Niño présent sur le pacifique Est et central, depuis le printemps passé, contribue au maintien des conditions météorologiques observées sur le Sahel.

OUSMANE LAYE DIOP

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