Publié le 30 Sep 2020 - 00:17
NON-RÉHABILITATION DES SITES MINIERS, POUSSIÈRE…

L’enfer au fond des mines de Lam-Lam

 

Au-delà du pillage du sous-sol et de l’expropriation des terres des villageois de Lam-Lam, dans la commune de Chérif Lô, la Sénégalaise des phosphates (Sephos) implantée dans cette zone depuis 2009, plus d’une décennie donc, refuse de réhabiliter les sites déjà exploités. Du coup, ces trous à ciel ouvert détruisent complètement l’écosystème, constituent un danger de mort permanent et hantent le sommeil des populations. D’ailleurs, elles qualifient cette entreprise d’un ‘’tueur silencieux’’.

 

De la route nationale qui mène à Tivaouane jusqu’à l’intérieur du village de Lam-Lam, ce sont de grosses pierres et des carrières qui accueillent, en premier, le visiteur. C’est le signe d’une exploitation minière intense. Pour se rendre à l’intérieur de ce patelin essentiellement habité par des catholiques, nous avons affronté, pendant une quinzaine de minutes, une route latéritique longue de 2 km.

Avant d’entrer dans le village, une représentation de la Sephos sur fond blanc, avec des écritures noires et une flèche peinte en rouge indique au visiteur que celle-ci est le maître des lieux dans cette zone. Avec ce tableau, c’est une sorte de mot de bienvenue que la société adresse à tous.

Bienvenue alors à Lam-Lam, l’antre de l’enfer. Un village qui a perdu sa quiétude d’antan. Une terre réputée pourtant riche ! Mais avec une population appauvrie, malgré son phosphate exploité par le géant espagnol de l’exploitation minière : la Sénégalaise des phosphates. Ainsi, d’année en année, cette terre a été transformée en un véritable enfer. Ceinturé du nord au sud par la Sephos, Lam-Lam a du mal à respirer. Et depuis plus d’une décennie, les populations de Lam-Lam Château d’eau (à majorité peulhs), de Baliga, mais aussi de Ndiassane Sérère, crient et demandent aux autorités de cette entreprise minière de penser à la réhabilitation des tous les sites déjà exploités.

Cependant, ces complaintes sont restées vaines, puisque les cavités creusées dans le cadre de l’exploration et la production du phosphate de chaux n’ont pas encore été fermées. Il suffit de faire un tour dans ces ‘’sites de la mort’’, notamment à la ‘’lentille’’ nord et sud (anciennes zones d’exploitation) pour constater qu’aucun des trous n’est fermé.

Ce sont de vastes périmètres à ciel ouvert qui menacent la vie de l’homme, la survie de l’environnement et de l’animal. Dans un document présenté par les populations, la Sephos dit avoir restauré les sites. Elles réfutent.

En effet, il était prévu, dans ce processus de restauration, le reboisement, après la fermeture complète des panneaux déjà exploités. Mais depuis plus de dix ans, les Lam-Lamois, qui vivent sous la poussière 365 jours sur 365, attendent l’effectivité de cette fermeture. Histoire de retrouver à nouveau leurs terres et épargner tous les enfants et les animaux d’une mort par accident. Il y a quelques années, deux enfants d’une même famille sont morts noyés dans un des sites creusés par la multinationale espagnole. Ce fut le choc à Lam-Lam.

Cette tragédie continue encore d’alimenter l’ire des villageois. Tous s’en souviennent comme si c’était hier. Ce jour-là, dit-on, avant que les pompiers ne débarquent dans ce village pour tenter de sauver les deux gosses, c’était déjà trop tard. Ils ont tout simplement réussi à repêcher les corps sous le regard impuissant des Lam-Lamois qui continuent à fustiger cette rançon de la négligence de la part de la Société sénégalaise des phosphates.

D’après cet employé retraité du secteur des mines, ce que la Sephos avait fait était ‘’inadmissible’’. Selon le ‘’combattant’’ pour la restauration des mines déjà exploitées, il faut à tout prix que cette société réhabilite tous les sites pour une meilleure sécurité des riverains. ‘’On ne peut pas continuer à mettre la vie des personnes en danger, sous prétexte qu’on exploite du phosphate. Ce qui s’est passé avec la mort de ces enfants ne doit plus jamais se reproduire ici à Lam-Lam. Dès son implantation, la Sephos a suscité un grand tollé dans cette localité. Je rappelle qu’avant même que cette société ne débarque avec son lot de conséquences pour l’environnement, il y avait déjà la Société sénégalaise d’exploitation des phosphates de Thiès (SSPT) qui détenait son site d’exploitation à Palo, loin des habitations. C’était des Français sérieux, et à l’époque tout marchait bien. Mais quand la Sephos est arrivée, ce fut la catastrophe’’, regrette Antoine Turpin.

Natif de Ndiaffate, dans le Saloum, M. Turpin se bat inlassablement aux côtés des populations de Lam-Lam pour pousser la Sephos à refermer et reboiser les sites, source de dangers permanents. Cependant, se désole-t-il encore une fois, rien n’a été entrepris dans ce sens. Et pourtant, les populations expropriées de leurs terres ne disent pas non à l’exploitation. Par contre, tout ce que souhaitent les Lam-Lamois, c’est la réhabilitation et le reboisement après exploitation, pour permettre aux paysans, d’ici à quelques années, de reprendre leurs activités agricoles.

La ‘’Sephos ne respecte pas la politique environnementale. Et quelque part aussi, c’est la faute de l’État du Sénégal qui laisse passer tout cela. L’entreprise exploite les terres des populations, exploite également les populations et s’attaque à l’environnement. Nous, on est là. Nous les regardons faire. La Sephos est en train de détruire cette localité. C’est extrêmement grave’’, déplore le fils couvé depuis 30 ans par Lam-Lam, rappelant que ce sont les femmes membres du mouvement catholique qui s’investissent à reboiser les anciennes zones d’exploitation.

D’ailleurs, elles ont déjà reçu 1 300 plants de l’Inspection régionale des eaux et forêts de Thiès. Ainsi, Antoine Turpin affirme que la Sephos doit réhabiliter les panneaux déjà exploités, pour permettre aux habitants de tous les villages environnants de retrouver leurs terres ‘’aussi riches, vierges et de bonne qualité’’.       

Des trous et des années zéro

Dans le rapport 2018 de l’Initiative pour la transparence dans les industries extractives du Sénégal (ITIE), la Société sénégalaise des phosphates (Sephos SA) dit avoir payé aux communautés la somme totale de 18 311 640 F CFA dont 7 872 495 F CFA en guise de paiements sociaux obligatoires et 10 439 145 F CFA comme paiements sociaux volontaires, c’est-à-dire non obligatoires.

Mais sur place, aucune infrastructure sociale de base. A part les terrains de football et de basket offerts aux populations à raison de 10 millions de francs CFA, pas une autre infrastructure digne de ce nom. Et pourtant, en 2014, la Sephos a eu à produire 1 346 547 t de phosphate pour une valeur totale estimée à 46 454 524 953 F CFA. A la place, l’entreprise extractive laisse Lam-Lam avec ses trous et une population qui vit en deçà de 3 000 F CFA par jour (pour plusieurs familles).

‘’La Sephos nous a tués. Au moins, avec la SSPT, les populations avaient la joie de vivre. Il y avait de l’ambiance et Lam-Lam tendait vers le développement. Les jeunes construisaient des maisons pour leurs parents. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas et des espoirs sont anéantis. Des trous et de la poussière, c’est tout ce que nous avons obtenu de la Sephos. Nous souffrons dans le silence. On nous tue à petit feu. Mais qu’il pleuve ou neige, la Sephos va fermer les sites miniers et restituer les terres aux populations. La société a déclaré sur tous les toits avoir exposé aux populations sa politique environnementale. Mais tout ceci est faux. On respire de la poussière tous les jours et le bruit des machines nous empêche de dormir’’, fulmine l’ancien chef du réseau ferroviaire, soulignant que cette société se soucie ‘’très peu du bien-être des populations’’.

Depuis 2009, Lam-Lam sombre dans la poussière, le bruit et dans un environnement où il ne fait pas bon vivre. Tout comme Antoine Turpin, cet ancien policier à la retraite attend tout simplement deux choses de la Sephos : remblayer tous les panneaux déjà exploités et restituer les terres aux paysans. Pour lui, il est inconcevable que cette société extractive ne pense qu’à fermer les puits de sondage et non les sites exploités.

‘’Je suis né et j’ai grandi dans ce village. Je suis âgé de 64 ans. Mais jamais je n’ai vu ou entendu qu’une entreprise minière installée dans cette zone a entamé une procédure de restauration. Les agriculteurs ont été expropriés de leurs terres. Je pense qu’après exploitation, les gens doivent au minimum penser à refermer ces grands trous et restituer les terres aux ayants droit. C’est tout ce que nous souhaitons. Au début, les sociétés font croire aux habitants que les zones déjà exploitées seront fermées comme le stipule le Code minier. Mais en réalité, après production, rien de tout cela n’est appliqué’’, s’offusque Charles Ndiolène.

Rappelant que Lam-Lam est une zone pastorale, l’ex-flic affirme que les populations ne peuvent et doivent pas continuer à cohabiter avec ces trous de la mort. ‘’A Lam-Lam, on vit l’enfer, mais cela ne doit pas continuer’’, tempête-t-il. Sur les nerfs lui aussi, le chef de village de Lam-Lam et père de Charles Ndiolène crie son ras-le-bol. ‘’Il y a quelques années, deux garçons y avaient perdu la vie. Nous avons vécu un épisode douloureux. Et nous ne voulons pas qu’une telle tragédie ne s’y reproduise. Outre ces deux enfants, des bêtes ont aussi péri dans ces trous. Voilà pourquoi on insiste tant pour demander à la Sephos de fermer les anciennes zones d’exploitation pour nous assurer une meilleure sécurité’’, déclare Louis Ndiolène, soulignant que le grand trou qui se trouve non loin des habitations (Lam-Lam Château d’eau) est le plus dangereux.

Pour protéger les populations ainsi que les animaux, la Sephos a fait appel à l’expertise locale, en ‘’recrutant’’ des vigiles dans cette zone. Amadou Tall, qui a vu une de ses chèvres mourir dans ces trous, en fait partie. Il regrette encore cet incident et appelle la Sénégalaise des phosphates à faire de la réhabilitation des sites miniers à terme d’exploitation leur principale priorité. 

Le même supplice guette Ngandiouf

Les années passent, les populations crient, mais rien ne change. Selon Djibril Sow, habitant de Lam-Lam Khar Yalla, l’environnement ‘’est foutu en l’air’’. C’est pourquoi, rappelle-t-il à la Sénégalaise des phosphates toutes ses obligations. ‘’Elle n’a pas eu l’initiative de réparer après l’exploitation. Rien n’est fait dans ce sens. Nous souffrons. Mais les générations futures vont souffrir davantage de ces conséquences néfastes. Ces trous qui ne sont pas fermés sont devenus un réel danger permanent. Si la Sephos ne peut pas tout de suite combler tous les sites, il faut qu’elle mette au moins des balises de sécurité pour protéger les populations. On ne peut pas continuer à vivre avec ce danger permanent. Encore une fois, c’est tout notre environnement qui est foutu en l’air’’, gronde l’ancien infirmier-chef de poste de la Sephos.

Poursuivant ses récriminations, Djibril Sow indique que la société a les moyens de sécuriser toutes les zones déjà exploitées. Et pour garantir un meilleur avenir à tous les enfants de la zone, cet ex-travailleur de la boîte recommande l’élargissement d’un champ collectif. Dans ce village, l’entreprise n’a pas hésité à terrasser des rôniers pour élargir son champ d’exploitation. En guise de compensation, la multinationale a décidé de payer 5 000 F CFA aux populations pour chaque rônier enlevé. C’est le cas à Koudiadiène, situé à un jet de pierre de Lam-Lam.

D’après le directeur de l’Institut panafricain pour la citoyenneté, les consommateurs et le développement (Cicodev)-Afrique, ce billet de 5 000 F CFA ne sert à rien du tout. Dans la mesure où le coût réel d’un rônier pendant un an tourne autour de 650 000 F CFA. Amadou Kanouté l’a dit en mars 2020, lors d’un séminaire à Thiès sur la question des obligations extraterritoriales par rapport aux multinationales installées dans certaines régions du pays.

A Lam-Lam, dans la commune de Chérif Lô, c’est la Sénégalaise des phosphates qui, depuis longtemps, détient le pouvoir. Après avoir exploité des milliers d’hectares à Lam-Lam, elle a rejoint le village de Ngassama, dans la commune de Ngandiouf, pour mettre en valeur un autre gisement d’une superficie de 6 800 ha. Des terres qui appartiennent à la population locale et qui servent à l’agriculture.

 La Sephos va se déplacer avec toute sa logistique, sa méthode et même sa technique d’exploration et de production, au grand désarroi des Ngandioufois qui vont subir aussi le calvaire que vivent actuellement les Lam-Lamois dans leur chair.

GAUSTIN DIATTA (THIES)

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