Publié le 30 Apr 2021 - 01:45
PRODUITS AVEC MOINS DE PRINCIPES, CAUSES DE PLUSIEURS MALADIES…

Négligence coupable

 

Des médicaments sans principes actifs, avec d’autres molécules que celles attendues, sous-dosés ou dégradés… C’est la panoplie de médicaments aux conséquences incalculables que l’on rencontre sur le marché très lucratif des faux médicaments.

 

Très lucratif et sans grand risque pénal, ce business impliquerait de nombreux réseaux mafieux. En effet, mille dollars investis dans ce secteur rapporteraient jusqu’à 500 fois plus aux organisations criminelles, selon l’Institut de recherche anti-contrefaçon de médicaments (Ircam). Si le phénomène est mondial, 42 % des signalements proviennent d’Afrique subsaharienne, 21 % des Amériques et 21 % de la région européenne. ‘’L’Afrique subsaharienne concentre toutes les vulnérabilités qui vont favoriser les médicaments de qualité inférieure ou falsifiés. La faiblesse de la gouvernance des systèmes de santé, une offre de soins et un maillage des pharmacies sur le territoire insuffisants, l’existence d’un marché parallèle quasiment toléré et la pauvreté des populations’’, analyse le président de l’Ordre national des pharmaciens du Sénégal, Docteur Amath Niang.

Selon les dernières évaluations de l’Organisation mondiale de la santé (OMS), dans les pays à revenus faibles à intermédiaires, environ un médicament sur dix ne serait pas conforme aux normes de qualité. Aucun médicament n’est à l’abri, des plus innovants aux plus anciens, des médicaments de marque aux génériques. ‘’Ceux qui participent à la falsification de médicaments, recherchent avant tout le profit. A partir du moment où la demande existe, il leur est indifférent que les médicaments soient de marque, des génériques ou de savoir quelle entreprise produit la version d’origine’’, note l’OMS qui a mis en place un système mondial de surveillance et de suivi en 2013.

Autre cas de figure, sans doute le plus habituellement rencontré, c’est que, souligne le document de l’OMS, les produits contiennent moins de principes actifs qu’indiqué. Dans ce cas, il est particulièrement difficile de prouver si le sous-dosage est délibéré ou non. ‘’Cela demande, en effet, des investigations supplémentaires longues et coûteuses‘’, explique-t-on.

De plus, soutient le Dr Niang, ces médicaments qui contiennent peu de principes actifs, voire pas du tout, sont encore plus difficiles à repérer. Certes, l’antalgique ne soulagera pas la douleur ; l’antibiotique ne guérira pas l’infection ; l’anticancéreux ne fera pas régresser la tumeur, mais ils ne déclencheront pas d’effets toxiques majeurs. D’autant plus, lorsque les trafiquants s’ingénient parfois à masquer l’arnaque. ‘’On a vu des vaccins sans principe actif, mais avec une dose d’antibiotiques pour éviter les infections au point d’injection. Ou encore des antipaludiques contenant du paracétamol pour faire baisser la fièvre’’, raconte un pharmacien.

Médicaments sans principes actifs, avec d’autres molécules que celles attendues, sous-dosés, dégradés… Tous ces produits ont des conséquences sur la santé des populations qui les prennent. Au mieux, ils prolongent la maladie et entraînent des soins inutiles et des arrêts de travail prolongés. Au pire, ils augmentent le nombre de décès, soit directement lorsqu’ils sont toxiques, soit indirectement lorsqu’ils ne traitent pas une maladie potentiellement mortelle.

En se basant sur l’hypothèse de l’OMS, entre 72 000 et 169 000 enfants décèdent probablement, chaque année, d’une pneumonie traitée avec des antibiotiques de qualité inférieure ou falsifiés, selon la modélisation établie par des chercheurs de la faculté d’Edimbourg. De la même façon, la London School of Hygiene and Tropical Medicine a estimé que les antipaludiques de qualité inférieure ou falsifiés seraient responsables de 116 000 décès supplémentaires, chaque année. L’OMS explique également qu’il est clairement établi que la résistance au principal antipaludique, l’artémisinine, est d’abord apparu dans une région du monde où, pendant une période, entre 38 et 90 % des médicaments à base de cette molécule étaient de qualité inférieure ou falsifiés.

Tous les circuits peuvent être concernés par ces médicaments non-conformes. Cependant, soutient l’institut de l’ONU, le marché informel, plus connu sous le nom de ‘’pharmacie par terre‘’, phénomène propre à l’Afrique subsaharienne, apparaît le plus perméable à la fraude. Les médicaments qui sont vendus sur les marchés, sur des étals de rue, dans les magasins d’alimentation, etc., échappent tout simplement à la traçabilité et au contrôle de qualité.  ‘’Leur provenance, leur état de conservation, le manque de formation des vendeurs exposent les consommateurs à un risque parfois mortel’’.

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IDENTIFICATION DU VRAI MEDICAMENT ET DE LA BONNE PHARMACIE

‘’Mo woor’’, un concept digital en cours

Dans cette lutte effrénée contre le trafic de médicaments, la Direction de la pharmacie et du médicament (DPM) n’a pas croisé les mains. Elle compte protéger la population, même si que le circuit parallèle n’est pas maitrisé.  Selon son directeur général, des gens ne peuvent pas continuer à mourir à cause de ces faux médicaments. C’est pourquoi, explique le professeur Yerim Mbagnick Diop, ils sont en train de travailler sur des solutions digitales. Elles sont déjà prêtes. Il reste juste la validation des autorités, pour qu’ils puissent les mettre en place. Il s’agit de la solution de sécurité ‘’Trace and trait’’ ‘’Bi mo woor’’, pour identifier le bon médicament, le ‘’Fii mo woor’’ pour reconnaitre la bonne pharmacie et le ‘’Kii mo woor’’ pour le bon pharmacien et le bon médecin. Tout cela est dans un concept appelé ‘’Mo woor’’.  

‘’C’est une application. Il suffit de la télécharger. Quand vous êtes dans une pharmacie, vous tapez le nom de la pharmacie pour voir si c’est la bonne. C’est pareil pour les médicaments. Il suffit de prendre en photo la boite et la joindre à l’application. Si c’est du faux, on va l’indiquer en rouge’’, explique le Pr. Diop.

 A son avis, il faut une autorité de régulation forte techniquement pour que ceux qui importent sachent qu’il y a des contraintes de qualité liées à l’importation et la distribution des produits. Ils doivent se conformer à ces contraintes réglementaires. ‘’C’est des améliorations qu’on doit apporter à notre réglementation. C’est urgent, parce qu’on veut être producteur. On ne peut pas être producteur et s’aménager des produits faux ou avoir une autorité de réglementation qui n’est pas forte. C’est à nous de certifier les produits fabriqués au Sénégal’’, souligne-t-il.

Avant de préciser qu’ils sont en train d’améliorer la réglementation avec les exigences de transparence.

‘’On est dans la phase de digitalisation de tous les processus réglementaires. Quand on digitalise, on trace tout. L’autorité doit avoir jusqu’au numéro de chaque lot qui entre au Sénégal. Comme ça, on saura que tel lot est allé dans telle structure. Les outils de la digitalisation permettent cela. Cela permettra à l’autorité d’avoir une visibilité et une lisibilité sur tous les produits de santé qui entrent au Sénégal’’, informe-t-il.

Les critères d’importation de médicaments

Auparavant, il a expliqué les critères d’importation de médicaments. Selon lui, la loi dit qu’aucun médicament ne peut être distribué à titre onéreux ou gratuit sur le territoire, sans avoir reçu une autorisation de mise sur le marché (AMM). C’est une procédure antérieure à l’importation.

Souvent, pour ces AMM, fait-il savoir, le propriétaire de l’AMM demande l’autorisation d’importer les échantillons pour enregistrer, afin d’avoir l’AMM. ‘’C’est 25 modèles-vente ; ce n’est pas un conteneur. Il y a le dépôt de 5 dossiers où l’importateur donne toutes les informations sur la fabrication, le contrôle, la toxicité, les essais cliniques. Un comité d’experts se charge d’évaluer ces dossiers et une commission nationale fait la contre-expertise pour dire un avis favorable ou défavorable sur l’AMM. Si l’avis est favorable, nous on prépare l’arrêté signé par le ministre de la Santé qui autorise ce laboratoire à mettre sur le marché ces produits’’, renseigne-t-il.

Souvent, précise le directeur de la DPM, entre cette autorisation et la mise sur le marché, il peut y avoir un an. C’est ça la règle. Il peut y avoir des exceptions. En cas de rupture, à ce niveau, c’est la PNA qui gère. Pour des raisons de santé publique, le ministre peut autoriser, à travers la direction, une autorisation spéciale d’importer un produit qui n’a pas d’AMM. Dans tous les cas, pour toutes les importations, la DPM donne une autorisation, en plus de l’AMM, pour des structures qui sont autorisées à importer des médicaments. La direction fait des autorisations les donne à l’importateur qui, dans la remise de document à la douane, dépose en même temps ses documents d’AMM. La DPM vérifie derrière l’authenticité en ligne pour valider, avant que la douane ne libère ces produits.

 ‘’On a la lourde charge d’assurer la sécurité sanitaire de ces produits de santé. Peut-être qu’il y a beaucoup de choses à faire dans ce sens. Il faut beaucoup de moyens supplémentaires aussi bien pour le laboratoire que pour l’autorité pour assurer cette sécurité. Déjà, le laboratoire qui veut une AMM paie 500 mille au Trésor, renouvelable tous les 5 ans. Quand il doit renouveler, il paie la moitié. Quand il fait des variations, il paie au Trésor. On fait entrer au Trésor 300 et 500 millions de F CFA. Si on restitue une partie, on aurait pu avoir les moyens de mieux réguler le secteur. On peut augmenter les moyens, le changement de statut peut aider à monétiser les actes réglementaires’’, sollicite-t-il.

Par ailleurs, s’agissant du rôle de la douane sur les importations des médicaments, un des membres de la cellule de communication nous renvoie au communiqué envoyé sur la saisie par la structure. Tandis qu’un autre nous demande de faire une demande à la direction.  

VIVIANE DIATTA

 

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