Publié le 7 Jan 2022 - 11:39
PROPOSITION DE LOI SUR LA CRIMINALISATION DE L’HOMOSEXUALITE

L’Assemblée nationale dit niet 

 

Le Bureau de l'Assemblée nationale a déclaré irrecevable la proposition de loi annoncée depuis plusieurs mois par le collectif And Samm Jikko Yi. Tout comme la position déjà adoptée par les députés de la majorité parlementaire, il estime que la loi sénégalaise punit déjà assez sévèrement l’homosexualité et que la position du président de la République sur la question est claire.

 

Ce sera plus compliqué que prévu, pour les associations réunies au sein du collectif And Samm Jikko Yi, de faire criminaliser l’homosexualité au Sénégal. Si ces derniers se voyaient déjà dans les tribunes de l’Assemblée nationale à noter les députés disposés à voter contre le projet de loi dont ils sont à l’origine, l’occasion ne leur sera pas offerte. Si l’on en croit le communiqué publié hier par le bureau de l’hémicycle.

En effet, celui-ci  a annoncé, ‘’conformément aux prérogatives qui lui sont dévolues, avoir décidé ‘’de déclarer irrecevable‘’ la proposition pour la criminalisation de l’homosexualité au Sénégal. Cette décision est motivée, dans le texte reçu à ‘’EnQuête’’, par la position du président de la République sur la question. Ainsi, assure le communiqué, ‘’tous les Sénégalais connaissent la position définie et affirmée, en plusieurs occasions, et plus particulièrement lors de rencontres avec des chefs d’Etat étrangers, par le président de la République, Monsieur Macky Sall’’.   

Le Bureau de l’Assemblée nationale ajoute que ‘’cette position est claire, elle est pertinente et elle engage tout le peuple sénégalais s’opposant à toute forme de dépénalisation et de légalisation de l’homosexualité, qui est punie sévèrement par le Code pénal sénégalais ; il en est de même en ce qui concerne tous les actes contre-nature et des attentats à la pudeur’’.

Ces allusions sont faites aux propos tenus par le président de la République le 12 février 2020, lors de la visite du Premier ministre canadien Justin Trudeau à Dakar. Ainsi, déclarait Macky Sall : ‘’Les lois de notre pays obéissent à des normes qui sont le condensé de nos valeurs de culture et de civilisation. Cela n’a rien à voir avec l’homophobie. Ceux qui ont une orientation sexuelle de leur choix ne font pas l’objet d’exclusion. (…) On ne peut pas non plus demander au Sénégal de dire : Demain, on légalise l’homosexualité, et, demain, c’est la gay parade. Ça, ce n’est pas possible, parce que notre société ne l’accepte pas. La société, elle va évoluer. Ça prendra le temps que ça prendra. Chaque pays a son propre métabolisme.’’

L’autre moment phare auquel se fonde le Bureau de l'Assemblée nationale, la conférence de presse conjointe entre le président Macky Sall et son homologue Barack Obama, le jeudi 27 juin 2013, à Dakar. Devant l’homme le plus puissant au monde, le chef de l’Etat avait soutenu que ‘’le Sénégal est un pays tolérant qui ne fait pas de discrimination en termes de traitement sur les droits (…). Mais on n'est pas prêts à dépénaliser l'homosexualité. C'est l'option du Sénégal, pour le moment. Cela ne veut pas dire que nous sommes homophobes. Mais il faut que la société absorbe, prenne le temps de traiter ces questions sans qu'il y ait pression".

Pape Diop : ‘’Nous ne sommes pas une République islamique’’

Mercredi 22 décembre 2021, 13 parlementaires majoritairement de l’opposition ont déposé le projet de loi mûri depuis plusieurs mois dans le cadre du collectif And Samm Jikko Yi. Ce regroupement d’une centaine d’organisations religieuses et de la société civile espère faire modifier l’article 319 du code, afin de durcir les peines contre l’homosexualité. Ce point de la législation sénégalaise dispose, en son alinéa 3 : ‘’Sera puni d’un emprisonnement d’un à cinq ans et d’une amende de 100 000 à 1 500 000 F, quiconque aura commis un acte impudique ou contre-nature avec un individu de son sexe.’’

Une punition plus assez sévère pour le collectif And Samm Jikko Yi qui espère voir la condamnation passer à 10 ans de prison. Mais aussi intégrer dans cette modification une répression contre l’apologie de l’homosexualité ‘’par tout moyen de diffusion publique ou par le financement de toute activité relative à l’agenda LGBT’’. Le but, selon un des députés porteurs de la proposition de loi, est d’obliger les homosexuels à ‘’respecter la société dans laquelle ils vivent et faire ce qu’ils veulent en privé’’.

Cette proposition de loi avait déjà vu s’opposer à elle la majorité parlementaire, le 26 décembre dernier. Sous la plume du président Aymérou Gningue, le groupe majoritaire Benno Bokk Yaakaar avait vu en cette proposition de loi un ‘’faux débat (qui) veut être installé dans cette période préélectorale par des députés qui cachent des objectifs politiques inavoués’’. L’’’apériste’’ les a invités à se trouver ''d’autres sujets, car celui-ci n’en est pas un. La loi en vigueur et la position inébranlable du président Macky Sall sont sans équivoque possible’’.  

Parmi les 13 députés dépositaires de la proposition de loi, un seul, Abdoulaye Wilane, est membre de la majorité parlementaire.

Une personnalité politique de l’opposition - une première - s’est prononcée contre l’adoption d’une loi criminalisant l’homosexualité au Sénégal. Il s’agit de l’ancien maire de Dakar ; Pape Diop. Le leader de Bokk Gis Gis s’était déjà montré sceptique sur la recevabilité de ce texte par le Bureau de l’Assemblée nationale. Pour qu’une telle loi passe, disait-il, il faudrait changer la loi fondamentale du Sénégal : ‘’Vraiment, nous ne sommes pas une République islamique. Nous sommes laïques. Là également, si vous voulez que les choses se passent comme ça, il faudrait qu’on change les dispositions de notre loi fondamentale pour aller vers une République islamique.’’

Lamine Diouf

 

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