Publié le 24 Mar 2020 - 10:12
ÉDITO PAR MAHMOUDOU WANE

Déni de réalité !

 

‘’Après la foi, personne n’a jamais reçu de grâce meilleure que la santé.’’ (Le Prophète Mohamed, rapporté par Bukhari)

 

Pour ne jamais connaître leur état réel de santé, certaines personnes boudent, jusqu’à l’instant fatidique, les cabinets d’analyses médicales. Mais d’autres, sans doute parce que la vie a subitement revêtu une toge cruelle, préfèrent nier une maladie pour lui substituer une… autre pathologie imaginaire, socialement acceptée. Avec la Covid-19, impossible de fourrer sa tête un millimètre sous terre, tant la réalité est à fleur de sol. Après les premiers jours de dépression semi-collective, qui aujourd’hui ose nier son existence ? Covid-19 est plus que debout.

Nous pensons d’ailleurs que l’Etat aurait dû, pour gagner du temps, accélérer le processus d’acceptation de la maladie par les populations, en levant l’anonymat sur les personnes infectées et en encourageant leurs témoignages. On n’aurait même pas eu besoin d’entendre des clowns comme Selbé Ndom et autres. Et sans doute aussi, aurait-on gagné du temps. Bien sérieusement, quelle honte y a-t-il à piquer une grippe, même lorsque le virus qui en est la cause ne s’appelle pas paramyxovirus ou adénovirus, mais Covid-19 ?

Dans tous les cas, nous voilà enfin dans la réalité. En plein dans le mille. Le président Sall a bien raison, dans son discours d’hier, d’insister sur le fait que la Covid-19 ne discrimine pas entre le riche et le pauvre. On devrait ajouter qu’il ne connaît pas de frontières religieuses, confrériques, ethniques, de castes, races, etc. Ce qui l’intéresse, c’est la matière vivante humaine qui se déplace pour le transporter de corps à corps. Nous voilà donc réduits à être de simples… mules. Bye bye notre fierté ! Nous qui sommes si habitués à régner, depuis des millénaires, au sommet de la chaîne alimentaire, domptant les animaux les plus féroces, y compris les humains, nous avons fini par oublier que nous vivons à côté de ces tout minuscules virus. Tous les savants qui s’y sont frottés s’y sont piqués, l’infiniment petit est tout aussi énigmatique et chaotique que l’infiniment grand. Soit dit en passant, ils ne sont pas tous méchants, les virus. Et presque tous sont utiles à la vie, dans des fonctions que nous ignorons.

Mais enfin, il va donc falloir se retrousser les manches. Dans aucun pays infecté, la courbe ne s’est spontanément repliée, sans avoir fait le plein de victimes. Aujourd’hui, les chiffres font froid dans le dos. Selon le dernier comptage effectué par l’AFP et validé par l’OMS, plus de 341 300 cas d’infection ont été officiellement diagnostiqués dans 174 pays et territoires, depuis le début de l’épidémie. Des chiffres qui ne sont que la face visible de l’iceberg, puisqu’il ne s’agit là que du nombre de cas officiellement diagnostiqués, un grand nombre de pays ne testant désormais plus que les cas nécessitant une hospitalisation.

Au Sénégal, le nombre de cas de coronavirus a plus que doublé, en moins d’une semaine, passant de 31 à 67, du mardi 17 mars au dimanche 22 mars, selon les statistiques publiées par le ministère de la Santé et reprises par l’APS. Il faudra s’attendre à des moments difficiles. Il y aura des morts. Cela peut être n’importe qui. Y compris l’auteur de ces lignes ! Mais est-ce le plus important ?

Car, pour pervers que soit le virus, l’ennemi à vaincre, c’est d’abord nous. Nous ne saurons le battre sans changer de comportement et/ou l’encourager. Le terrain est très fertile. Non seulement notre pendule interne a perdu sa cadence tic-tac au point que chacun fonctionne selon son horloge personnelle, mais aussi l’anarchie a fini d’infiltrer, très profondément, la société dans ses démembrements (de la famille au sommet). Tous ceux qui réfléchissent sur les transformations sociales le savent. Ce mouvement s’accompagne du recul de la rationalité en termes de perception de la réalité, mais aussi de l’affaissement de l’esprit citoyen et du sens du bien commun. Et dans ce contexte, on peut physiquement braver une décision d’Etat, prise par celui qu’on considère comme le dépositaire de la souveraineté populaire et le faire avec toute la bonne conscience requise. La parole religieuse elle-même, dans sa pureté et sa poésie originelle, n’a plus la même prise sur les masses populaires.

C’est dire que nous avons trop longtemps dormi sur nos lauriers au point que nos corps sont ridés de cicatrices multiformes. Et le spectacle n’est pas beau à voir.

Le temps de la reprise en main est-il arrivé ? Au-delà donc de l’épreuve qu’il draine, ce virus doit nous aider à recentrer certaines lignes. Il ne s’agit pas de profiter de la situation pour bâillonner qui que ce soit ou de faire reculer des libertés. Mais, inéluctablement, il faudrait assumer les responsabilités qui sont les nôtres. Ici et maintenant ! Dans le sens bien compris de l’intérêt général.

 

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