Publié le 18 Sep 2013 - 18:17
ABASS NDAO

Un hôpital qui fait peur aux patients

 

 

Réputée être un hôpital de référence en matière de spécialités liées à la maternité et à la néonatologie, le centre hospitalier Abass Ndao n'inspire pas grande confiance aux patients aujourd'hui. En cause, le manque d'équipements et de médicaments que vit l'établissement. Reportage.

 

Centre hospitalier Abass Ndao (CHAN), à Dakar, ce mois de septembre, en début de matinée. Entrées filtrées par un vigile. A l'intérieur, silence de cimetière, peu de monde. Considéré comme hôpital de référence depuis les années 1930 en matière de spécialités liées à la maternité et à la néonatologie, le centre est secoué ces dernières années par des crises multiformes : mouvements d'humeur récurrents du personnel et manque de matériels et de médicaments. De fait, les dix services médicaux sanitaires et six services d'appui technique fonctionnent au ralenti. Une situation qui fait douter les patients, lesquels hésitent à s'y rendre, l'établissement ne leur inspirant plus grande confiance.

 

Aïda Dème est assise sur le balcon de sa maison, à Gueule Tapée, son bébé sur les jambes. Foulard sur la tête, souriante à l'abord, cette trentenaire n'entend pas se faire consulter ou emmener son fils à Abass Ndao. Pourtant le centre est érigé dans ce quartier dakarois. ''Ils n'ont rien, dans cet hôpital, pas de médicament ni de matériel pour soigner les malades. C'est un hôpital dangereux car une personne peut y mourir à cause d'une mauvaise prise en charge. Chaque jour, les agents sont en grève pour dénoncer les conditions précaires dans lesquelles ils travaillent. Donc, je ne vais pas y aller pour signer ma mort'', confie-t-elle.

 

''J'ai failli perdre ma petite sœur''

A côté de la maison de Aïda, Fatou Bintou Diagne vend des beignets. Pour cette mère de trois enfants, le centre Abass Ndao a perdu son efficacité en soins. Ce n'est pas par manque de professionnalisme des médecins, mais plutôt de matériels, précise-t-elle. ''La pharmacie est vide. Ils n'ont même pas de paracétamol. Après consultation, les malades sont obligés d'acheter les médicaments ailleurs'', déplore Fatou Bintou. Cette structure n'inspire plus confiance à cette quadragénaire : ''J'ai failli perdre l'année dernière ma petite-sœur qui a accouché par césarienne'', dit-elle. A l'en croire, à la suite de son accouchement par césarienne, sa sœur a eu des maux de ventre le lendemain. ''Elle n'a pas fermé l’œil de la nuit. Je fais appel à la matrone qui lui a fait une injection, mais elle avait toujours mal. Le lendemain, la situation a empiré. Et malheureusement dans toute la maternité, il n'y avait pas le médicament pour calmer la douleur'', narre Fatou Bintou. Elle  a ajoute qu'il a fallu l'arrivée d'un médecin qui a ordonné d'évacuer la jeune femme à l’Hôpital Principal pour éviter le pire. ''Quand nous sommes arrivés à Principal, le médecin nous a clairement dit que si elle avait encore traîné à Abass Ndao, l’irréparable allait se produire. Depuis lors, j'ai peur de cet hôpital. Le personnel médical est bon mais le matériel et les médicaments n'y sont pas'', déclare la dame.

Au quartier voisin, la Médina, non loin du centre hospitalier, le discours est le même. ''A part le manque de matériels et de médicaments, Abass Ndao fait partie des structures hospitalières les plus performantes. Je préfère me soigner à Dantec où l'attente est longue plutôt qu'à Abass Ndao, parce que tous les jours, les médecins dénoncent le manque d'équipements. Donc si je m'y rend  et que quelque chose m'arrive, je suis responsable, j'ai été averti'', explique Karim Seck, vendeur de téléphones portables à la Médina. Une cliente trouvée sur les lieux renchérit : ''On ne parle plus de cet hôpital, c'est un hôpital malade. Rien ne marche à Abass Ndao à part le centre Marc Sankalé (un centre de diabétologie, Ndlr) où je me soigne''.

 

''Les gens exagèrent''

Dans le concert de méfiance et défiance envers le Centre hospitalier Abass Ndao, Mamadou Diop fait exception. Lui soutient ne pas sentir le défaut d'équipement qui est compensé par le dévouement des médecins. ''Avec le peu qu'ils ont, les médecins prennent bien en charge les patients. J'y vais souvent, et je ne vois pas pourquoi avoir peur. Les gens exagèrent trop. Ce n'est pas le manque de matériels qui va me tuer, Il faut que les gens arrêtent'' argue-t-il.

 

Des jours sans patient à consulter

D’après des médecins de la structure, qui ont parlé sous le sceau de l’anonymat, l'hôpital ne reçoit plus de patients comme auparavant. ''Ce n'est pas une situation récente, depuis l'année dernière, les gens ont peur de venir se faire soigner ou accoucher ici. Ils n'ont pas tort parce qu'un hôpital vide ne peut pas prendre en charge ses patients. A un moment donné, nous avions arrêté de faire la radio parce qu'il y a un matériel qui s'est gâté et qu'on a tardé à réparer. Donc c'est des risques à prendre. Nous sommes conscients de cela mais nous faisons juste notre travail'', fait savoir un médecin. D'après lui, il leur arrive de rester deux à trois jours sans faire de consultation faute de patients. ''Dans la semaine, je ne reçois que 7 voire 10 patients. Et c'est vraiment très grave pour un hôpital digne de ce nom surtout une structure publique'', dénonce notre interlocuteur.

Son constat est partagé par son collègue de service : ''Même à la maternité, seuls les patients habitués à l’hôpital y viennent. Si ces derniers ont évoqué la peur de se faire tuer à cause du manque de matériel, ils ont tout à fait raison. Nous travaillons avec le peu que nous avons, c'est ça la vérité. C'est un mort-vivant, et un malade ne peut pas se faire soigner par un mort. Tout le monde a fait le constat. La structure ne marche plus''. Et notre source de lâcher la sentence : ''Je ne compte pas faire venir un membre de ma famille ici pour quoi que se soit. C'est un suicide. Même mes amis, je ne leur conseille pas de venir ici pour se faire consulter encore moins faire un accouchement. Abass Ndao a perdu ses valeurs, il n'est plus un hôpital de référence''.

Abass Ndao est décidément un urgent nécessitant des soins intensifs.

 

 

 

 

 

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